jeudi 29 février 2024

Musique pour bébés : sous le signe du berceau

par Olivier Pernot   publié le 23 février 2024

L’éveil musical des tout-petits, en famille ou auprès de professionnels, constitue un facteur important de leur épanouissement et de leur développement artistique.

Chargé de mission au sein de l’association Musique et Santé qu’il a fondée et dirigée entre 1998 et 2022, Philippe Bouteloup a mené un projet avec des bébés prématurés à l’hôpital Robert Debré à Paris. «Les parents pouvaient dormir sur place et je me souviens que certains écoutaient du hard rock et d’autres du zouk antillais. Il n’y avait pas de prescription musicale mais un volume sonore adapté à la fragilité des oreilles des enfants. D’une manière générale, l’écoute dans l’espace, aérienne, est conseillée, et celle au casque est à proscrire. Surtout, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise musique : le plus important, c’est le plaisir partagé entre les bébés et leurs parents. Cela peut être autour d’une berceuse kabyle, alsacienne ou bretonne.»

La psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos va dans le même sens : «Les bébés reçoivent la vibration de la musique, même les enfants sourds et malentendants.» Auteure du rapport Une stratégie nationale pour la santé culturelle en 2019 pour le ministère de la Culture, cette spécialiste de l’enfance loue les bienfaits de la musique pour les bébés : «Les tout-petits sont orientés vers le «regarder», qui devient souvent le sens prioritaire. Mais ils ont besoin d’être dans un bain sensoriel et l’écoute de sons et de musique est essentielle. D’autant plus que les bébés sont friands de la rythmicité et ils aiment les chansons avec des refrains. Ils attendent avec bonheur ce refrain ou également des notes qui reviennent.»

En somme, la musique comme une «nourriture culturelle» qui contribue au développement des bébés, ainsi que le définit Sophie Marinopoulos : «La musique permet de se poser, de faire des moments calmes, de rêvasser, de faire marcher leur imaginaire. De plus, elle fortifie le lien parents /enfants.» Clémence Gali, habitant à Narbonne, mère de Romy (1 an) et Milo (4 ans) confirme : «La musique fait partie de notre quotidien. Nous dansons, nous chantons, ce sont des moments joyeux, de détente, de partage entre nos enfants, Florian, leur père, et moi. Nous pouvons écouter aussi bien des comptines que Bob Marley, DJ Snake, Pep’s, Magic System ou Crazy Frog. La musique a un effet positif sur nos enfants : ça les met de bonne humeur !»

La playlist est différente chez Chloé Fabre qui vit à Saint-Yrieix-la-Perche. «Avec Doryce, 7 ans, et Romy, 4 ans, nous écoutons Angèle, Amy Winehouse, Stone et Charden. Et leur père, Rémy, leur fait découvrir Johnny Hallyday. Quand elles étaient bébés, nos filles écoutaient davantage de comptines. Cela a éveillé leurs sens et ça a participé à développer leur langage.»

Premier opéra

Avant même la naissance, la perception intra-utérine des sons par les fœtus est reconnue. «L’audition est un des premiers sens à se développer», explique Philippe Bouteloup. «Le premier contact du fœtus est la musicalité de la voix de ses parents. C’est son premier opéra. Ces voix, chantantes, véhiculent des messages, par les mots, et des émotions. Puis après la naissance, le bébé va jouer avec les objets qui produisent des sons, comme la petite cuillère sur son bol. Il y a le plaisir des oreilles d’entendre ces sons.» Cet éveil sonore va ensuite se développer tout au long de la petite enfance, et il est devenu fréquent que certains bébés participent à des ateliers d’éveil musical. «Il y a quarante ans, on nous prenait pour des cinglés quand on parlait d’éveil musical», se souvient Philippe Bouteloup. «Certains nous disaient que c’était une idée farfelue parce que les bébés ne parlent pas, ne lisent pas.»

L’éveil artistique et culturel des jeunes est aujourd’hui pleinement reconnu : en 2017, un protocole interministériel a été signé entre le ministère de la Culture et celui des Familles et de l’Enfance. Ce protocole précise que «l’éveil artistique et culturel répond aux besoins fondamentaux des bébés (cognitifs, émotionnels, psychologiques et d’expression par le langage) et contribue à les inscrire dans une culture qui elle-même conditionne le développement et le bien-être de l’enfant et, au-delà, celui de chaque personne adulte». Par ailleurs, cet accord souligne que «la sensibilisation aux pratiques culturelles et artistiques, dès le plus jeune âge et avant même l’entrée à l’école maternelle, favorise la curiosité, la construction et l’épanouissement de l’enfant».

«Mon fils Milo a commencé à faire de la guitare, du piano et des percussions», se souvient Clémence Gali. «Depuis quelques mois, il participe à un atelier d’éveil musical où il découvre les différents instruments. Cela participe pleinement à l’éveil de ses sens.»

Philippe Bouteloup souligne le caractère «vivant» de la musique : «Les jeunes enfants doivent donner vie par eux-mêmes aux objets, aux instruments. Il faut qu’ils aient le plaisir de la découverte, du jeu, avec des professionnels, leurs parents, ou d’autres enfants. Il y a le partage et aussi la découverte de l’altérité, du faire ensemble. Il y a beaucoup d’initiatives locales, avec des structures, des crèches, des associations qui travaillent sur la musique et la petite enfance, notamment à Rennes, à Bordeaux ou à Clermont-Ferrand.» Le spécialiste recommande évidemment les vrais instruments tout comme Sophie Marinopoulos : «Un violon en plastique, je ne vois pas l’intérêt. Autant que les jeunes enfants aient accès à un objet musical de qualité. Donc, un objet en bois plutôt qu’en plastique. Il ne faut pas prendre les enfants pour des imbéciles.»

Avant Internet et la dématérialisation de la musique, le secteur des disques pour les tout-petits était assez riche. Maintenant, les parents écoutent de la musique sur les plateformes de streaming et ce secteur est devenu une toute petite niche. «Dans les années 90, un album comme ceux d’Henri Dès par exemple, pouvait se vendre entre 20 000 et 100 000 exemplaires», se souvient Philippe Bouteloup. «Aujourd’hui, une très bonne vente se situe plutôt aux alentours de 3 000 ou 4 000 exemplaires.» Certains labels sont spécialisés dans la musique pour les jeunes enfants, à l’image d’Enfance et Musique qui propose des disques de comptines et de chansons. De nouveaux projets voient le jour également en tentant de se démarquer. Comme The Lullabeats avec des reprises en version berceuses de classiques pop, R’n’B, rap ou reggae empruntés à Rihanna, Gorillaz, Bob Marley ou 2Pac. «Ces adaptations sont super originales», témoigne Clémence Gali. «Mes enfants adorent et je peux chanter avec eux.» Philippe Bouteloup est plus dubitatif : «Cela les infantilise et les réduit à leur condition de bébés. Autant leur faire écouter les originaux. Ils y découvriront la complexité de la musique, les couleurs, les timbres, les harmonies, les voix.» En plus des classiques boîtes à musique, des objets d’aujourd’hui sont aussi imaginés pour les petits : enceintes connectées en textile en forme de nuage, coussins musicaux, etc. Notamment par la marque française Mellipou.

Les disques en berne, les concerts en plein essor

A l’inverse du disque, plutôt moribond, le secteur du concert pour les bébés se développe. Beaucoup de musiciens indépendants proposent des mini-concerts pour les plus jeunes, même si les jauges réduites compliquent la rentabilité de cette économie. «Il y a une grande qualité dans les spectacles présentés», apprécie Sophie Marinopoulos. «Avec une esthétique, de la poésie et une sensibilité à des questions de notre époque comme l’environnement. Chaque année, le festival Au Bonheur des Mômes au Grand-Bornand donne un bel aperçu des nouveaux spectacles proposés.»

Certains ensembles classiques se lancent aussi dans des concerts pour les bébés. Cette tendance est suivie par des orchestres de plusieurs opéras (Tours, Rouen, Lorraine, Amiens, etc.). En 2016, l’Orchestre Lamoureux était le premier à s’aventurer sur ce créneau. Marie de Lombardon était à ce moment-là la responsable du développement de l’ensemble : «Nous avons ramené cette idée du Japon où l’Orchestre Lamoureux était en tournée. Cela a été un succès immédiat avec à chaque fois entre cinquante et cent bébés présents. Et il faut savoir les accueillir car c’est un public qui n’a pas les codes de bonne conduite d’un concert de musique classique !» Après la Salle Gaveau et le Théâtre des Champs-Élysées à Paris, l’orchestre propose maintenant ses Bébé Concerts au Théâtre de l’Atelier et à La Seine Musicale. «Il y a une gourmandise des bébés face à la musique», se réjouit Sophie Marinopoulos. «Devant un concert, s’ils s’ennuient, ils bougent, se promènent, pleurent. Les bébés sont un public difficile et exigeant.»


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