mardi 13 février 2024

Chronique «Aux petits soins» Au ministère de la Santé, les drôles de parcours des directeurs de cabinet

par Eric Favereau   publié le 6 février 2024 

En attendant la nomination des derniers membres du gouvernement, petit retour sur les choix des directeurs de cabinet des ministres de la Santé, qui en disent long sur l’incohérence des politiques ministérielles.

par Eric Favereau

publié le 6 février 2024 à 7h14

Faut-il y voir simplement une habitude à la française sur la carrière de nos hauts fonctionnaires ? Dans le monde de la santé, les nominations de Georges-François Leclerc au poste de directeur de cabinet de la ministre Catherine Vautrin, et quelques jours plus tard de Yann Bubien comme adjoint – mais aussi, semble-t-il, comme futur directeur de cabinet de la ministre déléguée à la Santé –, sont néanmoins symptomatiques de la trajectoire de ces hauts fonctionnaires qui poursuivent leurs carrières quelles que soient leurs réussites – ou leurs échecs – à leurs postes précédents.

Commençons par Georges-François Leclerc. L’homme est réputé avoir de la poigne. Et des convictions. C’est un préfet. Directeur de cabinet de 2007 à 2009 de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, il va contribuer à l’élaboration et à l’adoption de la loi HPST (hôpital, patients, santé, et territoires), loi qui a certes créé les agences régionales de santé (ARS), mais qui va réformer l’hôpital public, l’entraînant dans une pente catastrophique. Petit retour en arrière pour nous souvenir du refrain qui présidait alors à la loi : «L’hôpital a besoin d’un patron.» L’histoire a retenu que c’est lors d’un déplacement à Neufchateau (Vosges), le 17 avril 2008, que Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait lancé ladite réforme. «La gouvernance de l’hôpital public doit être réformée, avait-il expliqué. […] Il faut à l’hôpital public un patron et un seul. Ce patron, c’est le directeur. Cela ne veut pas dire qu’il agit seul. Cela ne signifie pas qu’il peut ignorer la réalité médicale dans ses décisions. Lui qui n’est pas un médecin, mais il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui décide et qui assume ses responsabilités. […] C’est ce que nous attendons d’un directeur d’hôpital.»

«Principe néolibéral»

La loi HPST a ainsi déplacé fortement le curseur du pouvoir vers l’administratif. Et ce fut une erreur. De même, cette loi a supprimé les services. Ce fut encore une erreur. «Le volet hôpital-entreprise a été une catastrophe et il n’est pas absent de la crise actuelle de l’hôpital», nous disait récemment le professeur André Grimaldi, ajoutant : «Au fond, ils ont proposé d’appliquer à la santé au nom de la lutte contre la bureaucratie, le principe néolibéral : moins d’Etat, plus de marché.» A son poste de directeur de cabinet, Georges-François Leclerc a élaboré puis mis en musique la loi. C’était son boulot. Et il l’a fait. Il a même dit, lors d’une audition au Parlement, que «ce fut son grand honneur d’avoir participé à son élaboration». Peu après, c’est également lui qui était à la manœuvre sur la commande de 50 millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1, commande fortement critiquée par le Parlement avant d’être annulée. Que va-t-il faire dans son nouveau poste ? L’inverse d’hier ? Redonner du pouvoir aux médecins hospitaliers comme tout le monde le recommande ? Redonner vie à l’échelon des services dans l’organisation hospitalière ? Bonne chance.

Quant à son adjoint, c’est autre chose. Voilà, un tout autre itinéraire. Yann Bubien vient par la filière «directeur d’hôpital». L’homme est habile, ambitieux et toute sa carrière est un exemple à méditer pour rebondir toujours plus haut, d’un poste à l’autre. Dernièrement, il était le directeur du CHU de Bordeaux, et cela pendant quatre ans. Comme l’écrit Sud Ouest, le personnage aime la lumière. «Ce fut le directeur général du CHU de Bordeaux le plus médiatique. Ainsi, sur Instagram, Facebook ou X, on sait toujours où il est : en vacances au Pays basque, dans un service du CHU tout juste réhabilité, auprès du nouveau patron des urgences adultes de Pellegrin, ou en train de couper un ruban, signer une convention, remettre une Légion d’honneur… C’est d’ailleurs de cette manière que l’on a su qu’il avait basculé vers la direction du cabinet de la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin. Donc, il sait faire savoir.»

Belle et habile carrière

Reprenons son parcours. D’abord Yann Bubien rejoint le lobby qu’est la Fédération hospitalière de France (FHF) puis va ensuite régulièrement entremêler des nominations à des postes de directeur d’hôpitaux et à des postes de cabinets ministériels. En juin 2007, il est ainsi conseiller social de Roselyne Bachelot tout juste nommée ministre de la Santé. Il part puis revient fin 2009 au cabinet de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé et des Sports, cette fois comme directeur adjoint de cabinet. Fin 2010, après un remaniement qui a modifié les attributions des ministres, il devient conseiller au cabinet de Xavier Bertrand, nouveau ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Le voilà ensuite directeur du CHU d’Angers pour rejoindre le cabinet de l’ancienne ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, en tant que directeur adjoint en charge de la Santé. Enfin donc, poste très important, celui de directeur du CHU de Bordeaux. Comme on dit dans le milieu, c’est une belle et habile carrière. «Yann Bubien est un très bon connaisseur de l’hôpital», soulignait néanmoins un ancien syndicaliste hospitalier, «et il n’y en a pas tant que ça». En quittant le CHU de Bordeaux, Yann Bubien est content de ce qu’il a accompli : «En 2019, mon premier objectif était de reconstruire l’hôpital vétuste, on a lancé tous les projets tout de suite et obtenu des crédits importants de l’Etat et de l’ARS, ainsi que des garanties des différents ministres.» Ce n’est pas tout à fait l’avis du syndicat Sud Santé Sociaux du CHU de Bordeaux qui reproche à l’ancien directeur général de l’établissement d’avoir «aggravé la vétusté des infrastructures». Les syndicalistes jugent son bilan «catastrophique» et estiment que «ce départ est une très bonne nouvelle».

On ne va reprocher, ni à l’un ni à l’autre, leur carrière, ni le fait qu’ils n’ont fait qu’appliquer la politique de leur ministre. Reste qu’aujourd’hui, on attend avec impatience quel type de politiques hospitalières ces nouveaux responsables appliqueront. Encore faudrait-il qu’il y en ait une.


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