vendredi 23 février 2024

Animations Anniversaires d’enfants : nos surenchères têtes blondes

par Marie-Eve Lacasse et collage Anne Horel  publié le 10 février 2024

Initiation à la peinture sur soie, location d’une troupe de théâtre ou d’un château gonflable… Célébrer les années de notre progéniture tourne parfois à la débauche d’activités aussi improbables que coûteuses. Et si, derrière l’envie de faire plaisir à notre rejeton, se jouait plutôt notre désir d’être validé par la communauté des parents ?

Au début, c’était mignon. Les quatre premières années, disons. C’était en comité réduit. On s’était contenté de lui faire un gâteau, d’y planter une bougie, d’accrocher trois ballons et de lui offrir, au choix, un livre en mousse qui flotte, une peluche brocoli qu’elle perdra au parc une semaine plus tard, ou un casse-tête en bois en forme d’atomes dans l’espoir d’en faire une astronaute. En une heure, c’était plié. Et maintenant, la sieste !

Et puis sont arrivés les «vrais» anniversaires, sortes d’ersatz des premières boums ou des rave parties format miniature. Dix enfants surexcités ont débarqué chez vous avec la ferme intention de s’ennuyer, à moins que vous n’y mettiez le paquet en termes d’animations. Et comme vous n’êtes ni instit ni animateur de centre aéré, vous avez rapidement compris qu’animer un atelier «dessin de fresque» (qui n’intéresse que les filles, et encore, pendant deux minutes pour être gentilles), ça ne s’improvise pas, tout comme l’atelier «lanternes chinoises» ou «biscuits aux graines» (les murs et le plafond s’en souviennent).

En deux heures, votre appartement s’est transformé en un zapping réel entre Koh-Lanta, Fort Boyard et Fear Factor, avec une touche de Jackass dans les W.-C. Alors que vous aviez bien dit aux parents que l’anniversaire se terminait à 17 heures, certains d’entre eux n’avaient «pas du tout compris» et pensaient que c’était «7 heures du soir» (apéro compris). C’est ballot, non ? Alors que le dernier enfant vient de partir et que vous appelez les assurances pour savoir si la clause «anniversaire» est bien dans le contrat, vous comprenez que Junior n’est même pas ravi de sa journée. Epuisé, il pleure, assis sur sa montagne de cadeaux, et ne sait plus quoi piocher telle une mouette repue dans une déchetterie. Vous retenez vous-même vos larmes – à quel moment êtes-vous devenu ce parent-là ?

Clown privé et piscine à toboggans

C’est alors que vous prenez conseil auprès d’autres géniteurs, plus expérimentés. Ceux-là avaient déjà senti le coup venir. Comme leur benjamine est née en mars, dès septembre, ils avaient tout prévu. Avec un budget moyen de 200 euros par anniversaire (comptez 100 euros de plus dans une grande ville), certains parents loueront les services d’un clown, d’un magicien, voire d’une petite troupe de théâtre pour l’après-midi (entre 200 euros et 500 euros) avec plus ou moins de succès. Les plus renseignés (ou les plus élitistes) les emmèneront dans un concert de musique classique gratuit à la mairie (de Paris), mais les dates doivent correspondre. Petit à petit, au fil de l’année scolaire, votre progéniture sera invitée tous les week-ends à des anniversaires tous plus fabuleux les uns que les autres, avec transmission en direct sur les réseaux sociaux (ah, le live Instagram «amis proches»). Vous apprendrez à aimer ces moments miraculeux, qui sont autant d’heures de baby-sitting gratuits. Mais c’est aussi l’enfer parce que 1- vous vous rendez compte que les autres parents ont tous des idées géniales et que 2- cela met la barre haut à chaque anniversaire qui vient. Et comme ils sont 30 dans la classe…

C’est alors que la spéculation commence.

En faisant le bilan (financier), vous comprenez que votre enfant chéri aura fait, en dix ans, le tour de tout ce qu’une ville peut être en mesure d’offrir en une vie. Moult fois, il sera allé dans des ateliers de musées où il aura «fait ses premiers pas dans le dessin animé», sans oublier «l’initiation à la physique» au musée des Arts et Métiers (oui, certains parents sont cruels). Pour les familles sportives, il aura connu les cours d’escalade indoor, l’accrobranche de l’extrême, mais aussi l’initiation au patinage artistique, voire une après-midi à la piscine à toboggans et tyroliennes (mille fois mieux que votre proposition d’atelier d’ombres chinoises, franchement). Il sera aussi allé à la fête foraine et au cinéma, suivi d’un goûter sur place (bonjour le budget churros-popcorn). Et comment oublier les innombrables après-midi de laser game et d’escape game ? Quant aux spectacles de clowns ou de nô japonais, soyons honnêtes : certains sont trop longs ou inadaptés (mais comme les enfants ne se souviendront de rien deux jours plus tard, quelle importance ?) En rase campagne, à Coutiches (Hauts-de-France), nous avons vu des parents dévoués inviter toute une classe pour une après-midi barbecue-piscine avec location de château gonflable (comptez 200 euros en moyenne la structure).

Pour chacune de ces situations, les parents, qui n’ont même pas le Bafa, se sont transformés en animateurs de centre aéré-infirmiers-psy avant d’enchaîner leur semaine de travail. Par ailleurs, nous n’avons pas évoqué le compte épargne «cadeaux» pour tous ces marmots… Entre les gommettes, stylos, carnets à paillettes des premières années (pour les filles) jusqu’au maquillage au collège («J’ai vu un baume à lèvres Laneige, ça coûte 18 euros pour 2 ml, tu m’en achètes trois ?») ou les jeux vidéo, mieux vaut provisionner très tôt.

Beauty routine

Arrivé à la date anniversaire de votre propre enfant, vous comprendrez bien vite qu’il faudra vous mettre au pas pour ne pas être ostracisé à vie. Ainsi va le principe du contre-don ; ce contrat social intrinsèque, basé sur la réciprocité, vous garantit d’appartenir à une société, merci Marcel Mauss. Et c’est là où se joue bien autre chose que l’idée de faire plaisir à votre enfant : ce que vous voulez, c’est être validé par la communauté des parents. Vous voilà donc, à votre tour, à réserver une après-midi de bowling huit mois à l’avance (rare à Paris, parce que les pistes, ça prend de la place – comptez six mois d’attente pour celui de la rue Mouffetard). Il y a aussi eu la pièce de théâtre pour dix enfants suivi d’un déjeuner au resto (message subliminal : «on est des parents cultivés») et le spectacle de magie suivi d’une distribution de DVD dudit spectacle (mais qui a encore un lecteur DVD ?).

La bonne nouvelle, c’est qu’autour de 12 ans, une cassure se crée dans la courbe spéculative. Plus question que maman ou papa ne fassent quoi que ce soit pour égayer la morne compagnie. Enfin ! On a donc vu une troupe de jeunes filles s’enfermer pour une soirée maquillage, démaquillage, peeling de pieds et beauty routine sur fond de musique commerciale et vidéos d’influenceuses, tout ceci la porte bien fermée à double tour («Mais, moi, à son âge, je lisais des liiiiivres ! bouhouhouhou», chouinerez-vous toute la soirée, révélant soudainement votre vraie nature réac). Et ne pensez pas les amadouer d’aucune façon. Lorsque vous oserez toquer pour proposer un repas équilibré à base de frites en espérant pathétiquement les faire sortir de leur tanière, vous recevrez un glacial «Non merci, on n’a pas faim, bisou», avant d’entendre, derrière la porte, un tonitruant «TROP GÊNAAAAANT».

Parents, prenez les choses avec philosophie. Il y a un avantage à ne plus servir à rien dans ce genre de situation. Désormais, vous pouvez enfin épargner pour d’autres raisons : quand vous commencerez à lui payer des soins orthodontiques, vous regretterez aussitôt les châteaux gonflables et surtout les petits carnets à paillettes où vous trouverez un jour un dessin tout mignon à l’intérieur, un cœur avec maman écrit dedans.

Témoignages

«Aux Etats-Unis, les parents restent pendant l’anniversaire. Soudain, ils étaient 36 à la maison»

Flore D. et son mari ont vécu pendant six ans sur la Côte Ouest et ont dû se conformer aux us et coutumes locales.

«Notre fille avait 4 ans quand nous sommes arrivés à Oakland, et l’école de notre fille était à Berkeley. Pour son premier anniversaire, elle avait invité douze enfants. Moi, j’avais prévu de faire un petit goûter, comme en France, sauf qu’une mère américaine m’avait prévenue : aux Etats-Unis, les parents restent pendant l’anniversaire. Soudain, ils étaient 36 à la maison. Il a fallu prévoir à la fois des activités pour les enfants, et un cocktail pour les parents. L’angoisse. On a fini par réserver un lieu dans lequel il y avait des jeux “safe”, concept très important, et aussi toute la déco et un gâteau en forme de licorne sans gluten, sans lait, sans œufs, sans cacahuètes, etc. Chaque année, il fallait trouver une nouvelle idée, et ça coûtait autour de 500 dollars minimum. Pour la déco, les parents faisaient affaire avec une entreprise pour faire gonfler des centaines de ballons à l’hélium et les ramener en voiture… J’ai fini par le faire aussi, parce que tout était très codé. Les invitations se faisaient sous forme de cartes virtuelles avec des “reminders”. Et puis les cadeaux étaient toujours démesurés, comme des peluches géantes.»

«Même inviter un magicien, ce n’est plus suffisant»

Louise R., mère d’une fille de 8 ans, vit à Paris. Elle constate que, désormais, rares sont les parents qui invitent chez eux.

«Aujourd’hui, plus personne n’invite chez soi pour les anniversaires. Il n’y a que des activités à l’extérieur, avec un point de rendez-vous précis et un départ en voiture. Les parents préfèrent se décharger de l’organisation plutôt que de les animer pendant trois heures. Je ne pense pas que ce soit une histoire de surenchère à l’américaine, mais plus un effet d’entraînement, à la fois de la part des parents et des enfants. Dernièrement, ma fille a été invitée dans une sortie “ninja” où les enfants ont été emmenés à la campagne, dans un hangar, pour qu’ils sautent partout avec des chaussettes antidérapantes pendant une heure et demie. A la fin, il y avait un gâteau et des boissons super sucrées, fournies par la structure organisatrice, bien sûr. Et elle était ravie. C’est comme si les parents avaient peur qu’il n’y ait pas assez de stimuli pendant une période donnée, qu’ils ne puissent pas fournir l’énergie nécessaire pour animer un groupe. C’est une sorte d’externalisation de la charge mentale. Désormais, même inviter un magicien, ce n’est plus suffisant. Et en plus de toute cette activité, les enfants doivent repartir avec des pochettes-surprises !»


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