jeudi 11 janvier 2024

Interview Troubles mentaux chez les enfants défavorisés : «Il n’y a pas de déterminisme, l’accès aux soins doit être mieux adapté»

par Apolline Le Romanser   publié le 9 janvier 2024

Les données publiées ce mardi 9 janvier par Santé publique France montrent que les enfants défavorisés sont davantage susceptibles de développer des troubles du comportement et psychiatriques. Maria Melchior, épidémiologiste à l’Inserm, revient sur les facteurs sociaux de ces troubles et les solutions envisageables.

En matière de santé mentale aussi, les inégalités sociales sont nombreuses. Et elles débutent dès l’enfance«De nombreuses pathologies sont plus fréquentes en présence d’un désavantage social (surtout financier), notamment les troubles mentaux», assène une étude de Santé publique France publiée ce mardi 9 janvier. Qu’il s’agisse de troubles du spectre autistique, du comportement, émotionnels, les enfants des milieux défavorisés apparaissent les plus touchés.

Les scientifiques s’appuient sur les données recueillies auprès de 13 millions de personnes de moins de 18 ans, dont ils ont évalué le niveau social selon un indice de défaveur sociale et leur couverture par la complémentaire santé solidaire.

Si ce type de données est relativement nouveau en France, d’autres pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni le documentent depuis plusieurs années. Et leurs recherches vont dans le même sens : les causes expliquant ces troubles sont multifactorielles, mais l’environnement social des enfants peut jouer un rôle important. Maria Melchior, épidémiologiste à l’Inserm et spécialiste des déterminants sociaux de la santé mentale, revient pour Libération sur ces facteurs de risque et les solutions pour améliorer la situation.

Comment expliquer la prévalence plus importante des troubles mentaux chez les enfants issus de milieux défavorisés ?

La biologie joue un rôle, mais les événements de vie des enfants et adolescents sont très importants, probablement à parts égales avec la génétique. L’environnement au sens large (comme la pollution et certains types d’exposition physico-chimiques) entre en compte, ce que vivent les enfants au quotidien également : le fait d’avoir une situation sociale plus compliquée a un impact sur le stress, ou la manière dont les parents parviennent à interagir avec leurs enfants.

Concernant les troubles du neurodéveloppement [qui regroupent ceux du spectre autistique, de déficit de l’attention (TDAH), du développement intellectuel, du langage, des apprentissages, etc., ndlr], la naissance prématurée est l’un des principaux facteurs de risques. Or, dans les endroits plus défavorisés, les femmes peuvent rencontrer des problèmes d’accès aux soins et de suivi lors de leur grossesse, ce qui peut favoriser ce type de complications.

On sait aussi que 20 % des femmes souffrent de dépression après l’accouchement, avec un ratio plus important pour celles issues de milieux défavorisés, ce qui n’aide pas à l’installation d’interactions au sein de la famille. Donc les enfants sont moins stimulés. Autre exemple : l’exposition aux écrans, très inégalitaire sur le plan social. Il y a, aussi, un lien entre la situation sociale et le fait que les parents aient déjà des troubles psychiatriques.

Est-ce que ce qu’il y a un risque de cumul des inégalités ?

Ce qui est certain, c’est qu’il y a une forme de répétition d’une génération à l’autre. Si les parents ont déjà eux-mêmes un trouble psychiatrique, le risque que les enfants en développent un est plus élevé. Et puis c’est un cercle vicieux. A l’Inserm, on a étudié les données d’une cohorte, baptisée Tempo, qui suit des personnes depuis leurs 10 ans et maintenant adultes : celles ayant des signes d’hyperactivité et d’inattention depuis l’enfance ont moins bien réussi scolairement, avec une moins grande probabilité d’avoir un diplôme – y compris le baccalauréat –, sont au chômage une fois adulte, consomment plus d’alcool, de tabac, de cannabis, ont plus de difficultés relationnelles…

Plus globalement, il faut être attentif au risque de stigmatisation que les données liant pauvreté et troubles psychiatriques ou du neurodéveloppement : des solutions, des médicaments, des prises en charge existent.

Quelles actions peuvent être mises en place pour les prévenir ?

Coordonner l’offre de soins avec les besoins du territoire me semble être l’un des leviers principaux. Parce qu’il n’y a pas de déterminisme : ce que ces chiffres devraient nous dire, c’est que l’accès aux soins doit être mieux adapté aux besoins. Dans les endroits les plus pauvres se cumulent les plus grandes difficultés, notamment l’éloignement du système de santé. Il est dès lors difficile de mener des actions de prévention, de repérage précoce et donc une prise en charge adaptée : ces enfants n’arrivent généralement dans le soin que lorsqu’ils vont très mal.

Un autre levier est la lutte contre la pauvreté. Des études montrent que cet objectif, en aidant financièrement les familles en difficulté par exemple, permet de réduire le niveau de dépression chez les parents et les problèmes de comportement des enfants.

La plupart du temps, l’enfance est le moment où ces troubles, qui pourront être problématiques toute la vie, commencent ; c’est aussi celui où on peut accompagner les enfants. Avec la bonne prise en charge, ils peuvent en général mieux gérer leurs symptômes, suivre une scolarité ou avoir une formation. Et cela ne devrait pas être uniquement à la charge des familles.


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