vendredi 1 décembre 2023

Inégalités Violences, emploi, logement : ce que révèle le premier rapport sur les discriminations en France


 


par Lucie Lefebvre   publié le 28 novembre 2023

L’Observatoire des inégalités a publié mardi 28 novembre son premier rapport sur les discriminations en France. Il regroupe un ensemble complet de données commentées sur l’origine, le sexe, le handicap, l’orientation sexuelle, ou l’appartenance syndicale. Le document pointe notamment une hausse des actes de violence enregistrés ces dernières années.

Près d’un Français sur cinq déclare avoir été victime de discrimination ces cinq dernières années, selon les données 2019-2020 de l’Insee, reprises par l’Observatoire des inégalités. L’organisme publie ce mardi 28 novembre son tout premier rapport complet sur les discriminations. Il collecte auprès de divers organismes ou institutions un ensemble de données chiffrées sur les différences de traitement ressenties et mesurées en raison de la couleur de peau, du sexe, du handicap, de l’orientation sexuelle ou encore de l’appartenance syndicale. Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités : «Il y a un manque évident de données sur le sujet, il est important de rendre accessibles aux citoyens des éléments factuels et toutes les sources d’information, elles n’existent nulle part ailleurs sous une forme complète, et il faut encore les étayer, notamment avec des chiffres au niveau local.» L’Observatoire anime par ailleurs un site pour regrouper tous les nouveaux documents sur le sujet. «Nous voulons aborder les discriminations d’une manière plus globale, qui dépasse le côté illégal, par exemple en prenant en compte les structures non adaptées au handicap», souligne Louis Maurin.

Hausse des crimes et délits racistes, sexistes et anti-LGBT+

Anne Brunner, directrice des études, constate au travers des enquêtes d’opinion «une société française plus ouverte et tolérante aujourd’hui qu’il y a vingt ans». La Commission nationale consultative des droits de l’homme indique que 60 % des personnes interrogées ont déclaré n’être «pas du tout racistes», soit deux fois plus qu’au début des années 2000. De son côté, le ministère des Solidarités montre que la part de ceux qui considèrent que, «dans l’idéal, les femmes devraient rester à la maison pour élever les enfants» a été divisée par deux, de 40 % à 20 %. Sur la même période, la proportion de celles et ceux qui considèrent l’homosexualité comme «une manière comme une autre de vivre sa sexualité» est passée de 67 % à 85 % selon l’Ifop.

Les actes de violence enregistrés ont, eux, augmenté selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. La police et la gendarmerie ont enregistré 12 500 crimes et délits à caractère raciste en 2022, un chiffre en hausse de près de 30 % ces cinq dernières années. Sur la même période, les crimes et délits anti-LGBT+ ont plus que doublé, avec 2 400 actes enregistrés l’an dernier. Près de 200 000 crimes et délits à caractère sexiste ont été signalés en 2020 dont la quasi-totalité touche des femmes. «Ces chiffres ne montrent que la pointe de l’iceberg, ils ne prennent en compte que les actes signalés, précise Anne Brunner, qui ajoute que, ces dernières années, les faits sont plus souvent dénoncés et enregistrés, alors qu’ils ont longtemps été passés sous silence.»

Patrick Simon, démographe et spécialiste des discriminations, évoque «une mine de paradoxes» «S’il y a consensus à dénoncer les discriminations en théorie, il n’y en a pas pour les constater en pratique.» Si, dans le discours, les stéréotypes sexistes semblent avoir diminué, en 2023 les femmes gagnent toujours 4,3 % de moins que les hommes pour un même temps de travail et un poste comparable. De plus, elles ne représentent que 39 % des personnes vues à la télévision. Sur ce dernier point, l’Arcom indiquait en 2022 que les personnes perçues comme «non blanches» ne représentaient que 15 % du total général. Le rapport souligne qu’il «faut interpréter ces données avec prudence mais qu’elles éclairent malgré tout sur les écarts entre la société française et l’image qu’on en donne».

Le patronyme d’origine étrangère, un frein à l’embauche

Plus d’un quart des personnes immigrées et leurs descendants déclarent avoir ressenti une discrimination en France ces cinq dernières années. Le principal motif réside dans l’origine, la nationalité ou la couleur de peau pour 82 % d’entre elles. La directrice des études, Anne Brunner, souligne : «Le sentiment de discrimination ne mesure pas les faits, ce sont des éléments subjectifs, mais ils restent intéressants à prendre en compte.» Une technique de mesure s’est développée ces vingt dernières années, il s’agit du testing. Le rapport le définit comme une méthode qui compare «les résultats de deux types de candidats en tout point identiques à l’exception de la caractéristique testée, par exemple l’origine, le lieu d’habitation ou encore le sexe».

Les traitements inégalitaires commencent dès les études, particulièrement en droit, économie, gestion et dans les filières scientifiques. Le rapport révèle que, «lorsque les étudiants en licence contactent des enseignants responsables de masters pour leur demander comment candidater, ceux qui portent un nom d’origine maghrébine ont 13 % moins de chances d’obtenir une réponse que le candidat avec un nom d’origine française». L’écart se creuse encore pour l’accès au logement : lorsqu’une personne au patronyme africain présente son dossier, elle a deux fois moins de chance d’obtenir un rendez-vous pour visiter un appartement qu’un candidat au nom français. Près de la moitié des agences immobilières accepteraient de trier les dossiers de location à la demande des propriétaires avec un refus des candidatures de «profils dits arabes ou noirs».

Même constat pour les recrutements : un candidat au nom français a près de 50 % de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom maghrébin. Selon les chercheurs qui ont mené le testing, un autre type de candidat subit une discrimination à l’embauche «du même ordre de grandeur» : les personnes en situation de handicap.

La pauvreté touche davantage les personnes handicapées

En 2022, près de 3 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans sont reconnues handicapées par l’administration française. La part de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté atteint presque 20 %, un niveau très supérieur à celui des personnes valides (12,8 %). Le document ajoute que près d’un tiers d’entre elles sont considérées comme «pauvres en conditions de vie» selon l’Insee en 2018 : elles font donc face à plus de difficultés pour se loger, faire des repas complets ou partir en vacances une semaine une fois par an. C’est plus du double que le reste de la population du même âge. Anne Brunner reconnaît «des formes de discriminations indirectes, elles sont obligées de se restreindre en termes de biens et services en l’absence de structure adaptée à leur situation». Les chiffres du chômage démontrent cette différence de niveau de vie : le taux pour cette catégorie de personnes s’élève à 12 % selon l’Insee, soit près du double de celui de la population totale. Par ailleurs, la fonction publique d’Etat ne montre pas l’exemple : elle comptait seulement 5,4 % de travailleurs handicapés parmi ses agents en 2022, malgré son obligation d’en employer au minimum 6 %.

Pour mieux mesurer et lutter contre les discriminations, une proposition de loi a été déposée le 4 juillet par le député Renaissance Marc Ferracci pour généraliser le testing auprès des entreprises, de l’administration ou encore des banques. Elle sera examinée en séance à l’Assemblée nationale le 6 décembre.


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