samedi 25 novembre 2023

TRIBUNE Répression de l’homosexualité avant 1982 : la France face à son histoire


 


publié le 22 novembre 2023par Antoine Idier, Maître de conférences à Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip)

Une proposition de loi pour la réparation des personnes condamnées pour homosexualité est discutée le 22 novembre au Sénat. Un débat historique majeur mais un texte incomplet et lacunaire selon le chercheur Antoine Idier.

publié le 22 novembre 2023 à 7h05

Le Sénat examine ce 22 novembre une proposition de loi, déposée par Hussein Bourgi (Parti socialiste), «portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982». Si elle devient loi, la France rejoindra ses voisins : le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Allemagne ont déjà adopté des dispositions similaires, l’Autriche s’apprête à le faire.

Un débat historique majeur arrive au Parlement. Dans une relative indifférence pour l’instant, voire avec le souci de réécrire l’histoire : désigné rapporteur de ce texte, le sénateur Francis Szpiner (Les Républicains) – qui a refusé d’auditionner des chercheurs – écrit en effet qu’il n’y a pas eu de «“politique de discrimination” globale menée par l’Etat de manière continue et indistincte entre 1942 et 1982». C’est, il faut y insister, une grossière falsification du passé.

La répression explicite de l’homosexualité est apparue dans le code pénal en 1942, par un âge spécifique du consentement sexuel. Alors de 13 ans pour les relations hétérosexuelles, cet âge est fixé à 21 ans pour les relations de même sexe : toute relation homosexuelle consentie impliquant au moins un mineur de 21 ans tombe sous le coup de la loi. L’incrimination est maintenue à la Libération, comme tout un pan de la législation de Vichy.

En 1960, la peine prévue pour l’outrage public à la pudeur est doublée en cas d’homosexualité (que l’Assemblée nationale avait qualifiée de «fléau social») : délit aux contours flous et sans victime, l’outrage public a permis de punir massivement des personnes arrêtées dans la rue, sur des lieux de drague ou dans des clubs.

Les deux incriminations ont disparu en 1980 et 1982, à la suite de mobilisations politiques et militantes, non sans résistances au Sénat et à l’Assemblée nationale. En 1981, l’élection de François Mitterrand constitue un tournant, notamment incarné par Gisèle Halimi, députée, et Robert Badinter, garde des Sceaux.

En réalité, bien avant 1942, la répression pénale de l’homosexualité (principalement masculine) a été une constante des XIXe et XXe siècles. Les juges ont utilisé de multiples incriminations : outrage public à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, racolage, excitation de mineurs à la débauche, etc. Des militants ont été poursuivis, à l’image des éditeurs de la revue Inversions dans les années 30, du fondateur du mouvement homophile Arcadie, André Bardy, en 1955-1956 ; des livres ont été saisis et interdits.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, des dizaines d’individus ont été déportées sur la base de décisions administratives. Des victimes d’agressions sexuelles et de viols n’ont pas été prises en considération : homosexuelles, elles étaient nécessairement «dépravées».

En 1949, une ordonnance préfectorale interdit aux hommes de danser ensemble à Paris. La répression a pu perdurer après 1982. A cet égard, la proposition de loi présentée au Sénat est largement lacunaire et incomplète, en se concentrant sur la seule période 1942-1982 et sur deux incriminations pénales ; il faut espérer que les débats l’enrichiront, sans créer d’arbitraire entre des condamnations «réparées» et d’autres laissées de côté.

Le Parlement face aux vies brisées et saccagées

C’est tout une histoire de vies brisées et saccagées que doit affronter le Parlement. De séjours en prison, de réputations détruites, d’emplois perdus, d’ostracisation familiale et sociale, de chantage, de déménagements forcés. D’humiliation et de honte réinscrites par la force dans les corps. De suicides, parfois. Emprisonné plusieurs mois, le chanteur Charles Trenet est l’une des victimes les plus connues.

Aujourd’hui, certaines exigent réparation, tel Michel Chomarat, arrêté dans un bar en 1977, condamné en 1978, et qui porta l’affaire, en vain, en cassation. Sur la période 1942-1982, mes collègues Florence Tamagne, Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen, évoquent entre 10 000 et 50 000 condamnations ; les chercheurs continuent de dépouiller les archives judiciaires.

De multiples facettes de l’histoire française sont concernées par le sujet. Il y a eu un laboratoire colonial de la répression de l’homosexualité : dès 1913, les administrateurs français ajoutent sa condamnation au nouveau code pénal du protectorat tunisien. Le rôle de la police, l’autonomie de son action sont convoqués ; elle a quotidiennement harcelé les minoritaires sexuels, sans qu’il y ait nécessairement des suites judiciaires : contrôles d’identité, retenues au poste, humiliations et menaces, révélations à l’employeur ou à la famille.

Au Sénat, le rapporteur indique vouloir considérer à part la période 1942-1945, réactivant le vieux mythe d’une «parenthèse» de Vichy. Or, pour l’homosexualité comme pour d’autres sujets, il n’y a pas eu de parenthèse : mise en place en 1942, la répression directe de l’homosexualité avait été envisagée dès les années 30, avant d’être sciemment conservée en 1945.

Tout aussi fondamentalement, une telle discussion ouvre très largement le débat sur la responsabilité de l’Etat dans la perpétuation des discriminations et de la non-égalité des droits. Jusqu’où aller dans la relecture de l’action homophobe des autorités publiques ? L’homophobie de l’Etat réside aussi dans l’absence d’action : le sida, le retard dans la lutte contre une épidémie qui touchait principalement homosexuels et groupes minoritaires, témoignent de cette homophobie par refus d’agir.

La discussion, alors, ne concerne pas que le passé : aujourd’hui, alors que des campagnes homophobes et transphobes sont d’une effroyable violence, la lâcheté du système éducatif, l’absence de protection effective, mais aussi les entraves à l’accès à la santé, à l’éducation au genre et à la sexualité, constituent autant de carences qui soutiennent une structure de domination, d’infériorisation et de précarisation des minorités sexuelles.

Antoine Idier vient de publier avec Pochep, la BD Résistances Queer. Une histoire des cultures LGBTQI + (éditions Delcourt-La Découverte, 2023).

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