samedi 18 novembre 2023

Parlement'hair Contre les discriminations capillaires, un projet de loi qui cheveu du bien

par Balla Fofana   publié le 16 novembre 2023

Déterminé à «offrir une plus grande reconnaissance» aux discriminations liées aux cheveux, le député Liot Olivier Serva poursuit l’effort pédagogique entourant sa proposition de loi et organise un colloque ce jeudi 16 novembre sur le sujet.

Méconnu, ignoré, voire parfois tourné en dérision, le sujet des discriminations capillaires peine à s’imposer dans le débat public français. «Les députés vont-ils proposer une allocation pour les chauves ?» s’amuse ainsi l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), un groupe de réflexion libéral, en réaction à une proposition de loi initiée par le député Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) Olivier Serva, visant «à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire». Autrement dit interdire toute discrimination liée aux cheveux (longueur, couleur, texture), qu’ils soient portés au naturel, tressés, tissés ou encore locksés, dans la rue, à l’école ou au travail.

La France accuse un retard, tandis que dans la plupart des pays anglo-saxons, le sujet est pris au sérieux et étudié depuis de nombreuses années, notamment dans de prestigieuses facs britanniques et américaines. La Californie a par exemple adopté, en juillet 2019, le Crown Act, acronyme que l’on pourrait traduire en français par : «Créer un environnement respectueux et ouvert pour les cheveux naturels». La loi a depuis été adoptée par quatorze autres Etats (dont New York et le New Jersey).

Conscient de l’effort de pédagogie qu’il va devoir déployer pour inscrire son projet législatif dans le calendrier de l’Assemblée nationale, le député guadeloupéen organise ce jeudi 16 novembre après-midi à Paris un colloque intitulé «Proposition de loi visant à reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire : quels enjeux et perspectives pour cette évolution législative en France ?»

Législation incomplète

Le texte a pour point de départ l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 23 novembre 2022 qui estime qu’Air France ne peut interdire le port de tresses afro à ses stewards. L’affaire remonte à 2005. Un steward de la compagnie aérienne nationale se présente à l’embarquement avec des tresses nouées en chignon. Son employeur le refuse en précisant que sa coiffure n’est pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin. Pendant deux ans, le salarié devra porter une perruque pour exercer son métier. S’estimant victime de discrimination, il saisit le conseil des prud’hommes. Le steward est dans la foulée sanctionné par son employeur qui finit par le licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l’entreprise. Les conclusions de l’arrêt relèvent une «discrimination […] fondée sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes».

Une décision qui fait dire à Olivier Serva que le dispositif législatif actuel est incomplet : «Le plaignant l’emporte non pas sur le principe de discrimination physique mais sur un principe de discrimination de genre.» L’élu guadeloupéen poursuit : «Je me suis dit qu’il y avait un trou dans la raquette et que l’article 225‑1 du code pénal devait être modifié.» Le texte propose ainsi de modifier le code général de la fonction publique, le code pénal et le code du travail, afin d’y ajouter une précision portant spécifiquement sur la discrimination capillaire. Ainsi, après la phrase : «Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite en raison de l’apparence physique», il souhaite ajouter la mention suivante : «notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux».

S’il n’existe pas de rapport sur le sujet en France, aux Etats-Unis la discrimination capillaire fait davantage débat. Début 2023, un sondage LinkedIn pour Dove révélait que 66 % des femmes noires changent de coiffure pour un entretien d’embauche. Selon ces données, «les cheveux des femmes noires ont 2,5 % [plus] de chance d’être perçus comme non professionnels». En août 2020, l’université Duke, en Caroline du Nord, publiait une étude révélant que les femmes noires faisant le choix de s’afficher avec leurs cheveux naturels ont moins de chances de décrocher un entretien d’embauche que si elles les défrisent ou arborent des perruques ou tissages à la chevelure lisse.

Risques du défrisage

En 2019, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait essuyé les indignations d’une partie de la classe politique, de commentateurs et d’internautes qui estimaient son afro volumineuse indigne de sa fonction. La même année, en juillet, une polémique avait éclaté sur les réseaux sociaux après la publication d’une affiche d’un établissement scolaire guadeloupéen. Le lycée privé Bel-Air, situé à Baie-Mahault, qui impose déjà le port de l’uniforme, avait placardé dans ses murs des affiches portant la mention «Coupes de cheveux femmes /hommes non autorisées au lycée Bel-Air». Y étaient proscrits les afros, tresses, locks et autres colorations, dégradés, etc. Après une vive indignation sur les réseaux sociaux, les affiches avaient été retirées le jour même.

Invitée au colloque pour s’exprimer sur les conséquences sanitaires, économiques et sociales du port du cheveu naturel, Kelly Massol, fondatrice de la marque de cosmétique capillaire pour cheveux texturés (non-lisses) les Secrets de Loly, estime qu’il reste encore beaucoup à faire reconnaître au sujet des discriminations capillaires. En 2009‚ à une époque où «huit femmes sur dix se défrisaient les cheveux», elle animait Boucle et Cotons, un forum dédié aux personnes voulant prendre soin de leur scalp sans traitement chimique. Il fallait prévenir des risques du défrisage notamment. «Les femmes qui utilisent des produits défrisants ont trois fois plus de chances de développer un cancer du col l’utérus que d’autres. Et elles ont trois fois plus de chances d’avoir un fibrome. Il s’agit là d’un problème de santé publique.» Pour ne rien arranger, l’accès aux produits adaptés laisse à désirer. «En France, quatre personnes sur dix ont les cheveux texturés. Pourtant, 90 % des produits vendus en grande distribution sont destinés aux têtes raides», indiquait l’entrepreneuse dans le portrait qui lui était consacré en décembre 2022.

Luttes collectives

Autre problème de taille, les formations académiques de coiffure peinent à se moderniser. Résultat, sur les 15 000 salons franciliens, moins de 150 savent coiffer les cheveux texturés, en comptant les boutiques des quartiers parisiens de Château-Rouge (XVIIIe) et de Château-d’Eau. Employée depuis 2019 dans le salon de coiffure mixte Atelier Ismerie (Xe arrondissement de Paris), Clémence Flamme, 31 ans, est consciente des lacunes françaises en matière d’offres pour les cheveux texturés.

Diplômée d’un CAP en 2012 et d’un brevet professionnel de coiffure, elle a dû se former seule, après avoir elle-même dit adieu au défrisage. Un grand pas pour la gamine adoptée par une famille où tous les cheveux sont lisses : «Les complexes allaient grandissant de la cour de récréation au bac. Au début de ma carrière, je passais mon temps sur des chaînes YouTube en langue anglaise pour apprendre le métier et les techniques de coiffage sur des cheveux non lissés.» A présent, la trentenaire se réjouit que pour la première fois en France un diplôme spécifique aux cheveux bouclés, frisés et crépus soit proposé depuis la rentrée.

Mais la coiffeuse salue avant tout les luttes collectives en faveur de la libération du corps des femmes et les initiatives individuelles comme Dioka. Fondée par Daba Diokhané, consultante en mode, la plateforme numérique permet aux personnes aux cheveux texturés de trouver des salons de «qualité» pour s’occuper de leurs tifs. Ou encore les studios Ana’e, fondés par Aude Livoreil-Djampou (docteure en chimie, coiffeuse diplômée), à la tête de plusieurs salons coiffures ouverts à toutes les textures entre Paris et Lyon. De son côté, Kelly Massol annonce pour 2024 le lancement d’une académie et de salons de coiffure : «Il faut mettre un coup d’accélérateur. Même si les écoles intègrent des formations, qui va former tous les coiffeurs et salons déjà en place ? Il faut bousculer les choses et ne pas attendre un remplacement générationnel qui sera trop long.»

«Ça concerne tout le monde»

Le projet de loi souhaite s’attaquer à toutes les formes de discrimination capillaire. «Les hommes chauves en sont victimes aussi», affirme Olivier Serva, même s’il est difficile de mettre la main sur des chiffres le prouvant. Au Royaume-Uni, une étude réalisée en 2009 montrait aussi qu’une femme blonde sur trois se colorait les cheveux en brun afin d’augmenter ses chances professionnelles et d’«avoir l’air plus intelligent» en milieu professionnel. Autre fléau dans les discriminations liées à la couleur des cheveux : celle que subissent les personnes rousses. Elles sont rarement condamnées par la société, notamment dans le cadre scolaire.

Ginger Chloé, 35 000 followers sur Instagram, se fait la voix du body positivisme et de l’acceptation de soi sur les réseaux sociaux. «Les personnes rousses représentent 1 à 2 % de la population mondiale, pourtant, en France, elles souffrent d’une mauvaise réputation, explique-t-elle. Beaucoup de préjugés datent du Moyen Age où la chevelure rousse était associée à la prostitution, au diable ou à la sorcellerie. Comme beaucoup de personnes, l’école était pour moi un lieu de harcèlement. Aujourd’hui encore, je dois faire face à des préjugés négatifs sur notre manque d’hygiène supposé.» Des propos qui font écho à un drame très médiatisé en février 2013 : le suicide de Matteo, un collégien roux de 13 ans, harcelé et battu en Savoie par ses camarades. Adolescente, Chloé voulait, elle aussi, se teindre les cheveux pour passer inaperçue. «Je ne pense pas qu’une loi changera tout. Mais si elle peut mettre la lumière sur des drames vécus et des traumatismes, nous aurons déjà fait un pas énorme», estime l’influenceuse.

Olivier Serva affirme que le texte qu’il défend accompagne un besoin d’égalité et d’acceptation de chaque individu dans sa différence capillaire. «Il ne s’agit pas que d’un problème de noir, de blanc ou de chauve. Ça concerne tout le monde. Les discriminations existent et nous sommes déterminés à leur offrir une plus grande reconnaissance.» La proposition de loi transpartisane (Olivier Serva revendique 50 signatures de tous bords sauf de l’extrême droite) pourrait être présentée et discutée en session parlementaire, en décembre, si le bureau de l’Assemblée nationale décide la mettre à l’ordre du jour.


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