mardi 21 novembre 2023

Le portrait Samuel Le Bihan, mine d’aplomb

par Nathalie Rouiller   publié le 15 novembre 2023

L’acteur, qui incarne Alex Hugo dans la série du même nom et joue un mineur dans «Gueules noires», se mobilise pour la prise en charge de l’autisme et contre le plastique.

On pensait descendre, pioche en tête, dans le quotidien claustrophobe des mineurs et charbonner sur le portrait d’un outsider adoubé, il y a belle lurette, par le monde du ciné. On avait oublié que le petit train de la mine est aussi une attraction, et que l’horreur planque parfois 1000 mètres sous terre. Dans Gueules noires, long métrage de Mathieu Turi, Zola copine avec l’écrivain américain H.P. Lovecraft et la misère anthracite se teinte d’hémoglobine. Regard halluciné, Samuel Le Bihan y campe un chef d’équipe obligé d’encadrer, avec ses hommes, les déambulations d’un chercheur.

A l’air libre, l’acteur et coproducteur a troqué le teint hâve du mineur de fond contre la carnation terracotta des gens du Sud. Adepte de légendes crépusculaires «pour autant qu’il y ait un pont entre le fantastique et le romanesque», l’homme n’a rien d’un monomaniaque de l’épouvante. En salle, il a vu le Règne animal et Anatomie d’une chute, «brillants», et regrette d’avoir raté le Procès Goldman. Côté bouquins, il erre dans les dédales de la psychologie humaine, termine Jung, un voyage vers soi de Frédéric Lenoir, cite, en coups de cœur récents, Son fils de Justine Lévy, journal imaginaire de la mère d’Antonin Artaud, ou les Sacrifiés de Sylvie Le Bihan. En dehors de ce patronyme d’importance («le petit» en breizhou) et de leurs initiales, les deux artistes n’ont aucun lien de parenté. Ce qui ne les empêche pas de s’apprécier et de s’appeler, entre eux, «les cousins».

Abdos moulés dans un pull marine, le quinqua habille sa décontraction d’un pantalon prince-de-galles. Maniant l’autodérision, il se moque gentiment des enchaînements téléphonés de l’interview, s’imagine répondre «perfectionniste» à la question «qualité première», puis balancer le même adjectif pour son pire défaut. Entre deux bâillements, ce célibataire père de trois enfants oscille entre l’envie de dire et la volonté de préserver. Comme sur la slackline, discipline funambule qu’il maîtrise à demi, il sait que la moindre erreur se paie comptant. Alors il tait ses amours, et invisibilise son aîné comme sa benjamine. Internet est plus bavard. Créatif, Jules conçoit des hologrammes et bosse dans le mapping, la projection d’images sur les monuments. Emma Rose n’a que 5 ans et, fort heureusement, aucun profil numérique.

L’ascendance posait ses filets en rade de Brest et à la voile. Une pratique que l’écologie réactive quand le grand-père manquait simplement de moyens pour se payer un moteur. Ayant appris à naviguer sans instruments, SLB s’est mis à la plaisance et cabote volontiers avec ses amis. Dans Seul, programmé l’an prochain, il campe le navigateur Yves Parlier. Bien qu’il n’ait pas connu le stress du démâtage dans un Vendée Globe, l’exercice, intense, lui a valu de perdre dix kilos, à mesure qu’il gagnait en pilosité naufragée.

Dans la bouche de ce fils d’un laveur de vitres et d’une mère au foyer, le mot «défi» a son importance. Très tôt, il brusque son destin, abandonnant un BTS de dessin technique pour suivre des copains au cours Florent. Avant d’entrer au Conservatoire et à la Comédie française, il monte un spectacle de rue. Cracher le feu, il sait encore ? Techniquement oui, mais «c’est dégueulasse». Ensuite le cinéma l’embarque. Kieslowski, Wargnier, Tavernier, Gans. Un sans-faute plutôt arty, qu’il panache de comédies grand public et de séries. Depuis neuf ans, il est Alex Hugo, flic marseillais désabusé que la montagne revigore et que les téléspectateurs plébiscitent.

Conscient des outrances de la célébrité et de ses indécences salariales, pris en tenaille entre la fierté de planter son drapeau au sommet et un tenace sentiment d’usurpation, notre interlocuteur s’engage largement. Angia, sa fille de 12 ans, dont il a la garde exclusive, souffre d’autisme. «Ça m’a vachement éduqué, la rencontre avec ma fille. J’ai appris à aimer mieux, avec beaucoup de maturité.» Délocalisé à Nice depuis quatre ans, il est très fier des progrès réalisés par sa collégienne, scolarisée en 5e dans un établissement classique. «Elle fait de la danse, du piano, elle a des amies. Quand le collège s’est esquissé, j’en ai chialé.» Ferraillant tous azimuts, il a cofondé la plateforme Autisme Infos Services et publié Un bonheur que je ne souhaite à personne. Son enfant «se dirige gentiment vers un Asperger», rendant presque caduc l’oxymore de son roman. «Elle a EXTRÊMEMENT confiance en elle», martèle-t-il. Cela vaut pour les discussions sur des sujets pointus, comme la notion de genre. «L’autre jour, elle m’a demandé si un pansexuel pouvait participer à la Gay Pride ! Il va bientôt falloir que j’arrête de parler d’elle, elle ne veut plus être différenciée.»

Ses voyages l’ont éveillé au fléau du plastique. Earthwake, société qu’il a cofondée, gère l’urgence. Son principe : donner une valeur marchande au plastique en le transformant, grâce à la pyrolyse, en carburant, et traiter les déchets sur place.

Amnésique de l’isoloir (a-t-il seulement voté à la dernière présidentielle ?), il se remémore un monde perdu : «On était tous socialistes quand il y avait un Parti socialiste.» Logiquement, il croit moins à la politique qu’aux effets de l’associatif. Et Dieu dans tout ça ? S’il prie volontiers, il est assez apocryphe, voire surréaliste, de la déduction : «Si Dieu a créé l’homme, c’est qu’il avait besoin qu’on le contemple.» Pause. «C’est qu’il n’est pas très bien.» Pause. «C’est un artiste qui n’a pas confiance en lui.» CQFD.

Généreux mais épidermique, on l’imagine partir en vrille pour des broutilles. «Mon caviar, c’est la complicité et les fous rires qu’on peut avoir avec une femme», glisse-t-il. Sa plus grande crainte ? Etre emprisonné dans une relation. «J’ai des réactions de défense très fortes, brusques et impulsives, il y a un vrai dossier psy là-dessous. Il faut que je découvre d’où ça vient.» Et puisque les répliques sismiques de #Metoo ébranlent le ciné, le récent signataire de la tribune que nous avions publié Pour la reconnaissance d’un féminicide de masse en Israël le 7 octobre ajoute : «Je trouve salutaire que la parole ait pu se prendre sur les dérives. A une époque, sous couvert de blagues, on se permettait des comportements pas possibles.»

Pendant les pauses des tournages, l’obsessionnel autoproclamé crayonne compulsivement. Sur son portable, il nous montre un portrait hyperréaliste de Marilyne Canto, un autre de… Samuel Beckett. Il parle bien de Picasso et de l’artiste espagnol Miquel Barceló, à qui on doit notamment Gran Elefant Dret, la sculpture d’un pachyderme en équilibre sur sa trompe. Sinon faire pousser agaves, kumquats et oranges sanguines l’éclate. Fier de ses agrumes, il propose une citronnade maison à ses visiteurs, et bichonne ses palmiers Washingtonia et ses Yucca rostrata. «Je suis un peu dans la plante exotique», lâche-t-il. Comme on connaît son attirance pour les lianes venues d’ailleurs, on sourit et il commente : «C’est le mec qui tend le bâton pour se faire battre.»

2 novembre 1965 Naissance à Avranches.

1994 Trois couleurs-Rouge de Krzysztof Kieślowski.

1999 Vénus beauté (Institut) de Tonie Marshall.

Depuis 2014 Série Alex Hugo.

15 novembre Gueules noires de Mathieu Turi.


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