lundi 27 novembre 2023

Interview Aurélien Rousseau, ministre de la Santé : «Qu’on accuse le gouvernement d’inaction dans l’accès aux soins m’énerve»

par Nathalie Raulin et Sylvain Mouillard   publié le 23 novembre 2023

Pénurie d’amoxicilline, traitement contre la bronchiolite, réforme de l’aide médicale d’Etat… Alors qu’il s’apprête à vivre son premier hiver en poste, le ministre de la Santé revient sur les craintes des Français.

Ses mots-clés sont «confiance» et «responsabilité». Depuis son entrée en fonction le 20 juillet, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, use à l’envi du premier pour galvaniser les hospitaliers, faire oublier aux pharmaciens les traumatismes liés aux pénuries de médicaments, obtenir des médecins qu’ils jouent plus collectif pour répondre aux attentes des Français. En appelle au second pour rappeler chaque acteur à ses devoirs, y compris envers les contribuables. Cela «infuse», estime l’ex-directeur de cabinet d’Elisabeth Borne, qui, sachant le progrès «fragile», reste sur ses gardes. Entretien.

L’an dernier, à la même époque, la France faisait face à une triple épidémie (Covid, grippe, bronchiolite). Qu’en est-il aujourd’hui ?

A ce stade, la France ne connaît pas de triple épidémie, et la tension sur notre système de santé est moins forte qu’en 2022. La très bonne nouvelle, c’est le succès de la vaccination contre le Covid. On compte un million de vaccinations supplémentaires par rapport à l’an passé, avec un total de 3,8 millions de doses injectées, à 75 % à destination des personnes fragiles. Concernant la grippe, on n’est pas encore entré dans l’épidémie, donc il faut rester prudent. D’autant qu’il y a une certaine lassitude au vaccin. Quant à la bronchiolite, toutes les régions françaises sont aujourd’hui dans une situation épidémique, mais on constate moins de formes graves dans les réanimations pédiatriques. Quelle est la part du climat, des gestes barrières ou celle de l’immunisation par le Beyfortus [un traitement préventif contre la bronchiolite, ndlr] de 60 à 80 % des enfants nés depuis septembre ? Difficile à dire. A ce stade il faut rester prudent.

Concernant le Beyfortus, a-t-on assez de doses pour cet hiver ?

On risquait d’en manquer à partir du 1er décembre dans les maternités, qu’on avait décidé de prioriser dans cette campagne. J’ai eu de nombreux échanges avec les dirigeants de Sanofi ou d’AstraZeneca. J’ai réussi à en obtenir 50 000 supplémentaires, soit 250 000 au total. Cela nous permettra de tenir la saison hivernale dans les maternités.

Quid des parents qui n’ont pas pu faire vacciner leur enfant à la maternité et qui voudraient se procurer du Beyfortus en pharmacie ?

On a pu avoir 20 000 doses supplémentaires de 100 mg pour les enfants de plus de 5 kilos, destinées aux pharmacies, mais j’assume de faire porter l’essentiel de notre effort sur les maternités et les nourrissons qui sont les plus touchés par les formes graves.

Vous parliez d’une campagne vaccinale encourageante contre le Covid. Celle contre le HPV [pour «Human Papillomavirus»], lancée dans les collèges depuis septembre, semble, elle, patiner

Lancer une campagne à cette échelle, sur un sujet comme celui-ci, c’est compliqué. Il faudra de la ténacité. Je pense que 150 000 enfants de cinquième auront été vaccinés à l’issue de cette année scolaire. On sera peut-être légèrement en dessous de ce qu’on espérait [sur son site, le ministère de la Santé fixe un objectif de 30 %], mais surtout les résultats seront très hétérogènes. On constate par exemple une forte augmentation de la vaccination contre le HPV en ville, mais qui concerne surtout les CSP +. Quand on regarde les taux d’acceptation, on se rend compte de fortes disparités socio-économiques. Faut-il modifier le cadre de la campagne de vaccination ou rédiger les documents d’information en plusieurs langues, comme on l’a fait pendant le Covid ? C’est là où la prévention doit s’adapter au public.

Après d’importantes pénuries de médicaments l’hiver dernier, de nombreux Français peinent encore à se procurer de l’amoxicilline, un des antibiotiques les plus prescrits…

L’an passé, on manquait de certains médicaments. Aujourd’hui, la situation est différente. Concernant l’amoxicilline, les stocks sont constitués sur le territoire national, mais mal répartis. J’ai de nouveau réuni mercredi les acteurs de la filière pour qu’ils signent une charte de bonnes pratiques. Le but est d’en finir avec le surstockage, que chacun fasse confiance à la chaîne de distribution. Et de réaffirmer qu’on ne peut pas réaliser d’affaires commerciales sur ces médicaments essentiels.

Il y a deux semaines, Libération révélait que 12 % des pharmacies disposaient de 50 % des volumes disponibles d’amoxicilline. Où en est-on aujourd’hui ?

La situation ne se dégrade plus. Maintenant, il faut que ça remonte. Quand ils reçoivent une énorme commande d’une pharmacie, les fabricants devront dire non. Pour l’instant, on en appelle à la responsabilité des acteurs du secteur. Mais en parallèle, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), on élargit les compétences de police sanitaire de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Si la situation ne s’améliore pas, l’Etat prendra ses responsabilités en désignant les acteurs qui bloquent ou des mesures plus contraignantes. Car ce problème d’accès à des médicaments essentiels donne aux Français le sentiment d’un délitement du système de santé. S’ils ne voient que les difficultés, on ne redonnera pas confiance.

Les syndicats de médecins libéraux ont repris les négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie le 15 novembre, avec pour objectif une revalorisation du tarif des consultations. Etes-vous disposé à porter la consultation de base à 30 euros ?

J’estimais essentiel que le dialogue entre les médecins et la puissance publique reprenne, car la négociation conventionnelle est un bon outil pour améliorer l’accès aux soins. Avec l’inflation, le tarif des consultations est un vrai sujet. Les médecins ont vu leurs charges de personnel et de matériel augmenter. Il y a donc une question de pouvoir d’achat qui n’est ni méprisable, ni secondaire. Porter la consultation à 30 euros, c’est aujourd’hui le point de convergence des demandes des syndicats. Encore faut-il savoir à quel rythme. Il faut aussi discuter d’une évolution des modes de rémunération, peut-être moins à l’acte et plus sur un mode forfaitaire. Tout est ouvert mais la négociation sera forcément difficile. Pour l’Assurance maladie, l’enjeu est financièrement colossal. On a une progression de la dépense de ville qui est extrêmement rapide en France, de même pour la dépense de médicaments, de l’ordre de 7 % par an. Donc le point d’arrivée sur le tarif dépendra des engagements concrets que prendront les médecins.

Sur quels sujets ?

Par exemple sur la pertinence des soins. Aujourd’hui, une de nos grandes difficultés ce sont les actes redondants ou les prescriptions abusives, d’antibiotiques notamment. L’antibiorésistance, c’est un vrai risque pour la santé publique. Il faut aussi aborder la question de la pertinence de l’apport du médecin dans le parcours de soins. L’enjeu, c’est qu’il intervienne au bon moment, quand il est le seul à avoir la compétence requise. A contrario, quand cela est possible, il faut qu’il accepte de déléguer certains actes à d’autres. Sur ce point, on a avancé. Dès l’an prochain les pharmaciens seront autorisés à prescrire des antibiotiques contre les cystites et les angines bactériennes… Cela représente 9 millions de consultations, 6 millions pour les angines et 3 millions pour la cystite ! C’est du temps médical libéré et une façon de valoriser les pharmaciens.

La volonté de la SNCF d’installer des espaces de téléconsultation dans 298 gares d’ici à 2028 suscite l’indignation des médecins. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas encore d’avis arrêté. J’aurais bien aimé que la SNCF m’en parle avant d’annoncer quoi que ce soit. L’expérience montre que les cabines de téléconsultation isolées, non inscrites dans un parcours de soins, ça marche très moyennement. En outre, je pense qu’il ne faut pas mélanger soin et consommation : une consultation, ce n’est pas un photomaton. Une fois qu’on a dit cela, s’il y a une infirmière présente pour accompagner les patients, cela peut répondre à une demande. Mais je ne pense pas que la téléconsultation soit la réponse universelle à l’accès aux soins.

Face aux inégalités croissantes d’accès aux soins, l’UFC-Que Choisir a déposé un recours devant le Conseil d'Etat pour dénoncer «l’inaction» du gouvernement et son refus de réguler l’installation des médecins… Votre position est-elle tenable ?

Qu’on nous accuse d’inaction m’énerve. Laisser planer cette idée que, pour les politiques, la vie des gens serait un décor dans lequel on se balade, est insupportable. Je ne suis pas déconnecté. Sur les ophtalmos, c’est vrai qu’il y a des difficultés. On ne va pas le nier. Mais c’est justement pour cela qu’on les a poussés à accepter de partager certaines tâches avec les orthoptistes ! On a aussi bougé sur les soins dentaires. Dans le PLFSS 2024, on généralise la présence possible d’une régulation dentaire dans les services d’accès aux soins. Il n’y a aucune inaction. Après, on n’est effectivement pas d’accord pour contraindre un médecin, généraliste ou spécialiste, à s’installer quelque part. Parce que l’on est convaincu que le remède serait pire que le mal : si on les obligeait à aller où ils ne veulent pas aller, beaucoup de médecins préféreraient changer de métier ! Regardons la situation en face : aujourd’hui, on a des places libres dans les facs de pharmacie et 14 % de postes vacants chez les chefs de clinique assistants, passerelle pour accéder au statut de praticien hospitalier. Je comprends très bien la rage d’une partie des élus. Mais la solution face à la pénurie de médecins ce n’est pas de contraindre, c’est de donner envie d’exercer.

Pour limiter le déficit de la Sécu, Bercy envisage de doubler la franchise que payent les assurés sociaux sur chaque boîte de médicament et acte paramédical (de 50 centimes à 1 euro) et la participation forfaitaire sur la consultation médicale (de 1 à 2 euros). Vous y êtes favorable ?

La décision n’est pas prise. Je me suis battu pour qu’on ne touche pas aux deux plafonds de 50 euros annuels afin que les franchises ne soient pas élargies à d’autres dispositifs, pour augmenter le nombre de bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire, qui en sont exemptés. D’après les données de l’Assurance maladie, les personnes en affection longue durée qui seraient a priori les plus touchées sont en grande partie déjà au plafond. Pour elles, cela ne changerait rien. Pour les assurés sociaux en général, cela augmenterait leur reste à charge de 17 euros sur l’année. Ce n’est pas rien. Mais cela permettrait de financer directement notre système de soins.

La volonté de la droite sénatoriale de supprimer l’aide médicale d’Etat (AME) a suscité l’indignation des soignants. Le gouvernement réclamera-t-il une suppression de cet amendement une fois le texte à l’Assemblée le 11 décembre ?

Cette mesure n’a rien à faire dans ce projet de loi. Que le Parlement discute d’une dépense de 1,2 milliard d’euros, pourquoi pas. Mais il ne faut pas prétendre que l’AME est un facteur d’immigration ou qu’une personne sans papiers est mieux couverte qu’un Français qui travaille. C’est faux. J’ai exprimé très fermement ma position sur le sujet. Et je crois qu’elle a été entendue.

Début octobre, votre ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo assurait que le projet de loi sur la fin de vie serait présenté en Conseil des ministres courant décembre pour une discussion à l’Assemblée «en janvier ou février». Ce calendrier sera-t-il tenu ?

Il risque de glisser puisque le texte n’est pas encore parti au Conseil d’Etat. Sa rédaction est cependant très avancée. Sur l’aide active à mourir, des points sont encore en discussion sur la notion de pronostic vital engagé, de consentement libre et éclairé ou s’il faut prévoir une exception d’euthanasie quand un patient est dans l’impossibilité physique de s’autoadministrer un produit létal. Par ailleurs, il faut s’assurer de la robustesse du volet du projet de la loi sur les soins palliatifs. Le président de la République suit ce dossier d’extrêmement près. Il veut être sûr de l’effectivité de ce qu’on va proposer. Je partage sa préoccupation. Il ne faut absolument pas qu’il soit plus facile d’accéder au droit à mourir qu’aux soins palliatifs.


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