dimanche 22 octobre 2023

Sécurité routière Gaz hilarant au volant : «Il serait temps de prendre des mesures nationales car ce phénomène est devenu un vrai fléau»

par Sarah Finger, correspondante à Montpellier  publié le 19 octobre 2023

La consommation de protoxyde d’azote prend un nouveau virage : ce sont désormais de lourdes bonbonnes que policiers et gendarmes retrouvent sur l’autoroute ou dans des voitures accidentées, comme dans le Gard et l’Hérault où la mode du «proto» explose.

Un chiffre illustre à lui seul l’ampleur du phénomène : 1,2 tonne de bonbonnes de protoxyde d’azote ont été ramassées le long de l’A9, cet été, dans le Gard. Une fois vidées de leur contenu, ces bonbonnes d’acier sont tout simplement jetées par les fenêtres de voitures circulant sur l’autoroute. «Or ces contenants de format quasi industriel peuvent peser 4 kg. Imaginez qu’ils percutent un pare-brise, ou le casque d’un motard, ou qu’ils finissent sous ses roues… C’est quasi miraculeux qu’un tel accident n’ait pas encore eu lieu», explique le responsable communication de Vinci Autoroutes, Laurent Noé.

«Pas considéré comme une drogue»

Exit les petites cartouches grises de protoxyde d’azote ne pesant que quelques grammes, et qui s’accumulaient dans les caniveaux, les parcs, les parkings. Place aux bonbonnes, qui contiennent l’équivalent de plusieurs dizaines, voire centaines de cartouches et favorisent une consommation plus massive. En vente dans des épiceries, des supermarchés et sur Internet, certaines pèsent jusqu’à 15 kg. Grâce à elles, «il n’est pas nécessaire de disposer d’un cracker ou décapsuleur pour vider le gaz dans un ballon de baudruche. Ces contenants permettent une consommation considérable de protoxyde d’azote par un même consommateur sur une courte durée», notait, dès novembre 2021, un bulletin de vigilance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Un mois après cette alerte, une conductrice de 20 ans et son passager de 30 ans percutaient un arbre de plein fouet sur une départementale à Saint-Thibéry (Hérault). Les deux personnes sont mortes. Juste avant de perdre le contrôle de son véhicule, la jeune femme, qui transportait 4 bonbonnes de gaz hilarant, diffusait sur Snapchat une vidéo montrant les passagers en train d’inhaler du «proto». Depuis, policiers et gendarmes retrouvent régulièrement des bonbonnes dans des véhicules accidentés, comme le 23 septembre, à Nîmes, où deux jeunes d’une vingtaine d’années sont morts après avoir percuté un mur.

«A la base, le protoxyde d’azote sert à faire de la chantilly. Mais c’est le cerveau que ce gaz transforme en chantilly», déplore le capitaine Olivier Galon, commandant de l’escadron départemental de la sécurité routière dans le Gard. Lui-même a constaté plusieurs accidents liés au gaz hilarant, comme ce conducteur, dont la voiture contenait des bonbonnes, qui a percuté l’arrière d’un poids lourd sur l’A9. «Nous avons aussi eu le cas d’un trentenaire qui s’est garé en pleine nuit sur la bande d’arrêt d’urgence, est descendu de sa voiture et a traversé l’autoroute, pieds nus. Quand nous l’avons interpellé, il disait n’importe quoi et perdait la mémoire», raconte Olivier Galon. Il se souvient également d’un autre conducteur qui se tordait de rire, par terre, lors d’un contrôle. «Conduire sous l’emprise de ce gaz relève de l’ivresse manifeste, poursuit le capitaine, avec à la clé suspension du permis de conduire et immobilisation du véhicule. Le problème, c’est que le protoxyde d’azote ne se dépiste pas dans le corps et n’est pas considéré comme une drogue.»

Complications neurologiques graves

Pourtant, l’Etat a commencé à légiférer : une loi de juin 2021 interdit la vente de ce produit dans les bars, les boîtes de nuit, les débits de boissons ou de tabac, ainsi qu’aux mineurs. Mais pour le secrétaire général de la Fédération autonome de la police municipale Gard et Hérault, Jean-Michel Weiss, il faut aller plus loin : «Dans notre région, de nombreux maires ont pris des arrêtés interdisant la consommation de ce gaz sur la voie publique. Mais en l’absence de tels arrêtés, nous sommes démunis face à tous ces jeunes qui se partagent des bonbonnes en voiture. Il serait temps de prendre des mesures nationales car ce phénomène est devenu un vrai fléau.»

Un fléau qui inquiète aussi et surtout nombre d’acteurs de santé publique. Depuis 2019, le nombre de complications évaluées par les centres d’addictovigilance (CEIP-A) a été multiplié par dix ; celles mentionnant des complications neurologiques graves (atteintes de la moelle épinière ou des nerfs) ont triplé entre 2020 et 2021. En juin 2022, le réseau de vigilance estimait que les consommations étaient «quotidiennes dans près de la moitié des cas» et pouvaient atteindre «plusieurs dizaines de bouteilles par jour», avec une évolution des effets recherchés : de l’euphorie, on est passé à «la défonce».


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