lundi 16 octobre 2023

Critique «Le Ravissement», berceau d’illusions


 


par Sandra Onana   publié le 10 octobre 2023

Lydia (Hafsia Herzi) est sage-femme. Sa meilleure amie est enceinte. Au vrai-faux malentendu qui lui permettra de se faire passer pour la mère qu’elle n’est pas, Iris Kaltenbäck n’apporte ni jugement ni analyse, mais la grâce et le trouble.

Pour dire la force captivante du Ravissement dès ses premiers instants, rien ne sert d’évoquer autre chose que le visage de son interprète. On le savait, chaque apparition de Hafsia Herzi à l’écran se prête à une étude sur son sourire laconique, sa manière de bouger les yeux, ces paupières lourdes d’un vécu qu’on ignore. Ce nouveau personnage d’amoureuse au cœur brisé, larguée au tout début de l’histoire, semble d’ailleurs échouer d’un précédent film qu’elle réalisait en 2019, Tu mérites un amour. Dans le premier long métrage de la Française Iris Kaltenbäck, la superbe de l’actrice frappe encore d’un grand coup de blues et de grâce.

Surtout pas évanescente, la grâce. Toujours cette trempe du réel et du contemporain dans lequel la cinéaste veille à ancrer son film, dans le concret de la matière. Lydia, la trentaine, ne connaît en effet que ça, travaillant dans une maternité comme sage-femme. Le premier beau programme du film consiste à l’accompagner au travail, enregistrant son passage parmi les foules d’anonymes qui, comme elle, mènent une existence de nuit. Un sentiment reconnaissable file dans la cohue parisienne, quelque chose comme la solitude des villes, imprégnée des mines absorbées des passants au hasard de leurs circulations. Un autre film les aurait voulus «sans fard», or celui-ci les farde au contraire – fards d’une nuit de synthèse, marbrée de couleurs romantiques, phare rouge de ce manteau que Lydia ne quitte jamais.

Il y a un chauffeur de bus dans le paysage, Milos (Alexis Manenti, à contre-emploi en doux gaillard jarmuschien) avec qui Lydia passera une nuit, encore sous le coup de son chagrin d’amour. Surtout, une meilleure amie enceinte, Salomé (la trop rare Nina Meurisse), qu’elle accompagnera jusqu’au bout de sa grossesse et au-delà. Le film touche ici à l’ambiguïté de l’expression «mettre au monde» : il n’y aura certes qu’un seul bébé, mais elles seront en quelque sorte deux à l’avoir. La mère, que cette naissance fait dépérir dans la dépression post-partum, et sa sage-femme, hypnotisée par «cette merveille», renaissant à son contact.

Une beauté de l’accident qui va à ravir

La suite se devine au titre, sans que l’intérêt profond de l’intrigue ne s’en trouve défloré, puisque l’envie d’enfant – prise au sens du péché capital, la convoitise des envieux – est l’autre sujet du film. Inspiré d’un fait divers, le Ravissement est l’histoire classique d’un mensonge qui grandit et finit par dépasser son instigatrice. Parti d’un quiproquo, comme souvent les bobards, celui-ci aura le pouvoir de dessiller le regard d’un homme indifférent, Milos n’ayant jamais autant aimé Lydia qu’en la croyant maman. A la fin, c’est tout vu, Lydia possède tout ce dont elle a rêvé, l’homme aimé dans ses filets, le bébé dans ses bras, mais rien ne sera vraiment à elle, rien n’aura été obtenu à la loyale.

Si le film marque, c’est qu’il prend en traître les tics de tension du thriller. Le rythme sera lâche et gazeux au contraire, sensuel comme ces tableaux parmi lesquels Lydia aime flâner au musée, chevelure lâchée, parfait négatif du chignon enroulé de Vertigo. Trop souvent, les adaptations de fait divers laissent voir un fond de mauvaise fascination pour les maternités monstrueuses, un plaisir d’entomologiste à décortiquer la sociopathie sans limite, autopsier le cœur des femmes qui perdent pied. On ne saurait en être plus loin avec le Ravissement, puisque la caméra d’Iris Kaltenbäck ne veut rien faire cracher de force à Lydia, n’extorque aucune réponse à son océanique solitude. Des scènes de procès, grandes absentes du film, l’auraient agonie de questions qui clouent au mur, «Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?», quand le film préfère en faire une inconnue pour toujours, la fixer en son mystère de Madone. Son souvenir est imparfaitement reconstitué au passé, en voix off, à travers les yeux de l’homme qu’elle a dupé et des hypothèses formées par son imagination. Dindon de la farce, le voici réennobli par ce pouvoir de narrateur, délicatesse qui donne une idée des attentions qu’a la fiction pour ses personnages. Une autre s’illustre dans une scène qu’on sent tributaire de l’imprévu du tournage. Alors que Lydia se blottit dans un rideau, prise en chasse et sans échappatoire, le bébé dans ses bras agrippe le tissu avec sa petite pogne pour le rabattre sur elle, comme pour la protéger. Beauté de l’accident que le film semble toujours prêt à accueillir, et qui lui va en effet à ravir.

Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse, 1h37

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