mardi 26 septembre 2023

« Je fume des joints du matin au soir pour me déconnecter. Je fume aussi pour “dealer” avec ma solitude »

Par     Publié le 25 septembre 2023

« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Ana (le prénom a été modifié), 31 ans, raconte comment elle a surmonté sa dépression et son addiction à plusieurs drogues pendant sa vingtaine.

La première fois que je tire sur un joint, j’ai 14 ans et je suis en classe de 3e. Comme tous les ados de cet âge, c’est simplement pour tester, pour voir un peu les effets. Dans mes souvenirs, la 3e est l’une de mes plus belles années scolaires : je suis populaire, sociable, j’ai des résultats convenables. Tout ça est très paradoxal, car 14 ans, c’est aussi l’âge où je perds mon père. Il s’est suicidé et, derrière lui, il n’a rien laissé, aucune lettre. Est-ce que j’aurais goûté à la « fumette », si mon père n’était pas mort ? Je pense sincèrement que oui. Est-ce que je serais devenue accro ? Ça, je ne sais pas. Ma sœur, elle, n’est jamais tombée dedans.

Au lycée, ma consommation reste récréative, mais elle augmente nettement. Je me revois avec ma bande de potes nous rassembler pendant les heures de perm ou avant le début des cours pour partager un pétard. A cette époque, je ne fume jamais seule mais j’initie beaucoup. A la fin de ma terminale, j’obtiens le précieux sésame, mon bac scientifique avec mention. Et là, c’est le grand vide : je ne me projette pas. J’ai toujours eu des facilités scolaires et j’ai l’impression qu’on attend de moi que je fasse ce qui, dans l’imaginaire collectif, est qualifié de « grandes études ». Le problème, c’est que je n’aspire ni à une prépa maths, ni à des études de médecine, ni à me lancer dans la finance, ni à faire une école de commerce. Par contre, je ressens le besoin de partir coûte que coûte. En octobre, je m’envole donc pour un pays lointain.

Pendant un an, je vis sur une île. Je suis inscrite dans une université où je suis des cours d’anglais pour étrangers. Mais cette expérience à l’autre bout du monde ne me plaît pas, je m’ennuie. A cette époque, je ne fume presque plus, seulement quand l’occasion se présente. Mais une chose est sûre, dans ma consommation, il y a eu un avant/après ce voyage. Des années de thérapie plus tard, je pense que ma dépression était déjà latente. Je n’ai alors fait ni mon deuil ni ma crise d’adolescence.

Quand je rentre en France, je suis toujours aussi perdue. Difficile d’assumer que je n’ai pas aimé cette année de périples. Ajouté à cela, je ne retrouve pas mon noyau dur d’amis, éparpillés pour les études, et je ne sais toujours pas vers quelle branche m’orienter. Alors, sur les conseils de ma mère, je m’inscris en licence de droit. Il paraît que le droit ouvre plein de portes. Je suis un peu plus âgée que mes camarades et les cours sont beaucoup trop théoriques, mon esprit de matheuse s’ennuie profondément. L’année est compliquée, je ne travaille pas. Comme beaucoup, je retape.

« A un moment, les joints ne me suffisent plus »

Dans le même temps, je commence à me renfermer sur moi. Je consomme de plus en plus. Je fume des joints du matin au soir pour me déconnecter. Je fume pour dealer avec ma solitude. Je me rends bien compte que je ne peux pas m’arrêter. Sans le vouloir, je deviens cette personne qui appelle des potes simplement pour se fournir. Et puis, à un moment, les joints ne me suffisent plus. Je passe donc aux drogues plus dures : la cocaïne, la MDMA. Ces nouvelles drogues, je ne les consomme qu’en soirée, mais mes soirées ont lieu quatre fois par semaine.

L’idée est toujours la même, se déconnecter du monde réel. Sous leurs effets, on adore tout le monde, on a chaud, on se sent bien, on est super heureux. La première prise de MDMA, par exemple, elle est géniale. Mais c’est un one shot, on aura beau courir après, on ne retrouvera jamais cette sensation.

Et puis il y a les redescentes. Les miennes sont longues et compliquées. Je suis épuisée, j’ai des sautes d’humeur à répétition. Progressivement je m’enfonce dans la dépression et perds goût à la vie. Je ressens une grande solitude couplée à une immense tristesse. A cette époque, je vis toujours chez ma mère. Ma mère, elle, a été ma colonne vertébrale dans cette longue descente aux enfers. C’est grâce à elle, notamment, que je n’ai jamais décroché scolairement.

Plusieurs fois, je suis allée voir des psychologues pour « calmer les esprits », surtout le sien. Je faisais une séance mais n’y retournais jamais. Je suis en deuxième année de droit et, sur un énième conseil maternel, je consulte un psychologue clinicien, spécialiste des addictions. Avec lui, ç’a tout de suite été différent. Il m’a parlé avec des images. Il m’a expliqué que tout le monde avait des cailloux dans sa chaussure. Certains, des petits qui ne les empêchent pas d’avancer ; d’autres, des boulets chevillés au corps et pour qui progresser était forcément plus compliqué.

« En trois mois, j’ai tout stoppé »

Je me suis alors rendu compte que je n’étais pas seule. Et puis j’avais l’envie de m’en sortir. Mes études commençaient à m’intéresser et je sentais que si je n’arrêtais pas maintenant, je ne le ferais jamais. A partir de là, ç’a été très vite. En trois mois, j’ai tout stoppé. Le plus dur à arrêter, ç’a été le joint du soir, celui qui te permet de glisser sereinement dans les bras de Morphée. Les premiers temps, je me réveillais en nage la nuit.

L’arrêt a été rapide, mais ce spécialiste, je l’ai consulté plus ou moins régulièrement sur une longue période – je dirais cinq ans. Au début, deux fois par semaine, puis progressivement les rendez-vous se sont espacés : une fois par semaine, une fois par mois, quelques fois par an. Confiance en moi, deuil… il y avait des choses à travailler.

Depuis, j’ai déjà retouché à quelques pétards, mais sans replonger. Désormais je n’ai plus cette appréhension à retourner en soirée, je sais dire non. Certaines drogues me font toujours peur mais je pense être assez bien dans ma tête et dans ma vie pour me rendre compte que j’ai une faiblesse de ce côté et ne plus y retourner.

Depuis quatre ou cinq ans, je vais mieux. C’est un tout. J’ai finalement renoncé à une carrière dans la justice. A la place, j’ai pris mon sac à dos et, avec une copine, on a voyagé. Au fil du temps et au gré des rencontres, je me suis réorientée vers une voie plus artistique, dans laquelle désormais je m’épanouis.

Et puis, depuis quelques années, j’ai quelqu’un dans ma vie. C’est ma première vraie relation. Ça n’a pas toujours été facile. Mon mec, c’est quelqu’un de très équilibré. Moi, je suis en dents de scie. Mes hauts sont très hauts ; mes bas, très bas. Quand je suis dans ces bas, j’ai toujours peur de retomber en dépression et de repartir dans cette spirale infernale. Mais maintenant, je me connais. Je sais que dans ces moments de down, pour me protéger, je dois ralentir le rythme, mieux manger, mieux dormir et je repense à tout ce que j’ai traversé. Etre heureuse et se sentir bien, c’est du travail.


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