mardi 5 septembre 2023

«Comment peut-on entamer une thérapie sans parler la même langue ?» : la difficile prise en charge psychologique des exilés

par Margaux Gable   publié le 2 septembre 2023 

Public souvent exclu et précaire en France, au passé lourd de traumatismes, les exilés ont besoin d’un accompagnement psychologique spécifique. Mais les capacités des structures restent très limitées, et ce, face à une demande qui ne cesse de croître.

Certains ont traversé la Méditerranée sur des bateaux bondés, d’autres ont été torturés dans leur pays, et tous ont côtoyé la mort pendant des mois. C’est souvent «endeuillées» et «hantées par des images violentes» que les personnes exilées posent le premier pied sur le sol d’un pays inconnu. Si bien qu’une fois en France, «un quart d’entre eux auraient besoin d’un parcours de soins en santé mentale», confie Arnaud Veisse, directeur du Comité pour la santé des exilés (Comede). Pour venir en aide à ces destins brisés qui ont fui leur pays au péril de leur vie, il faut un parcours de soin «spécifique» dispensé par un personnel «compétent et formé à ces questions».

Car pendant le chemin de l’exil, «les traumatismes liés au départ et à la persécution ont le temps de s’enkyster et de s’aggraver», analyse Sibel Agrali, directrice du centre de soins Primo-Levi, à Paris. D’autant qu’à ces traumatismes anciens s’ajoutent les plus récents, vécus dès l’arrivée en France où ils sont, pour beaucoup, plongés dans l’exclusion et la précarité. «Un tiers seulement a accès aux places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile [Cada]. Les autres sont à la rue», déplore-t-elle.

Des «capacités limitées»

Malgré des besoins criants, la prise en charge psychologique apparaît insuffisante. En France, les 1 780 centres médicaux-psychologiques (CMP) dénombrés en 2018 doivent permettre à toute personne d’être suivie gratuitement par un psychiatre ou un psychologue. Et depuis 2019, dix centres régionaux de soin des psychotraumatismes ont ouvert leurs portes pour accueillir des victimes d’attentats, de viols, de violences familiales ou encore de migrations. Des structures qui, en plus d’afficher des délais d’attente interminables, «ne sont pas adaptées aux personnes exilées», selon Sibel Agrali, notamment car ils sont souvent dépourvus d’interprètes professionnels. «Comment peut-on penser pouvoir entamer une thérapie sans parler la même langue ?» blâme la responsable.

«Sous-dotés en personnel» et avec des «capacités limitées» alors que la demande ne cesse de croître, ces centres offrent des modes de prise en charge psychiatrique inadaptés car «souvent basés sur des thérapies courtes et non pas des psychothérapies longues comme en ont besoin les personnes exilées», ajoute Arnaud Veisse. Construire un environnement de soins prend du temps, d’autant plus «face à des gens qui ne font souvent plus confiance en l’homme», note Sibel Agrali. «On ne se rend peut-être pas compte mais tout peut être difficile face à un médecin : parler de ce qu’on a vécu, devoir se faire ausculter ou se déshabiller.»

Ne pas imposer de parcours de soins

Pour pallier ce manque de soins psychologiques, plusieurs services associatifs proposent des prises en charge avec des professionnels. C’est le cas du centre Primo-Levi et du Comede, qui permettent «de suivre une partie non négligeable de ces personnes dans la limite de [leurs] moyens», poursuit le directeur du Comede, Arnaud Veisse. Sur une année, ce dernier accueille tout de même «au moins 8 000 personnes de 150 nationalités dans les différentes régions de France».

Parmi les personnes reçues, «50 % viennent d’elles-mêmes» car «voir un psychologue est devenu de plus en plus intégré», note Sibel Agrali. La moitié restante est détectée par le biais du monde associatif, des Cada et des lieux d’hébergement qu’elles fréquentent. Dans une logique d’«aller vers», pour toucher celles et ceux qui ne seraient pas venus d’eux-mêmes, des équipes mobiles psychiatrie précarité ont été mises en place en 2005. «Une très bonne initiative de repérage et de soins mais comme tout, encore insuffisamment dotée»,regrette Arnaud Veisse.

Malgré la nécessité de toucher le plus grand nombre et de détecter les personnes ayant besoin d’aide psychologique, «il ne faut pas imposer un parcours de soins», avertit Sibel Agrali. Pas question de rendre obligatoire un rendez-vous médical ou psychologique dès l’arrivée en France. «Il faut laisser les personnes prendre leurs marques, chercher si elles ont un entourage ou des nouvelles de leur famille, énumère-t-elle. Après on verra. Chacun a sa temporalité.»


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