vendredi 2 juin 2023

Histoire «Punir et comprendre», retour à la cause prisons pour Michelle Perrot

par Yannick Ripa  publié le 1er juin 2023

Livre d’entretiens entre l’historienne et son ancien étudiant devenu spécialiste des violences Frédéric Chauvaud, sur l’histoire pénitentiaire et les réflexions qui, de Michel Foucault à Robert Badinter, l’ont accompagnée.

Les prisons sont des zones blanches et, infimes les traces de leurs détenus – graffiti sur les murs, tatouages sur les corps, confidences balbutiées, mémoires ébauchés. Ainsi s’explique le long désintérêt des chercheurs qui ont contribué à faire rimer enfermer et oublier. L’après-Mai 68 attire l’attention sur les minorités – ou prétendues telles – et sur les en-marges de l’Histoire. En 1973, Michelle Perrotcrée à Jussieu deux séminaires conjoints, l’un sur l’histoire des femmes, l’autre sur l’histoire de la délinquance et du crime, initiant de multiples travaux d’étudiants. A l’origine de cet échange, riche, profond et passionnant, l’un d’eux, Frédéric Chauvaud, aujourd’hui spécialiste des violences et de leur répression.

Celle-ci convoque la police, la justice, les prisons, en un dispositif inventé par la Révolution française qui met fin aux pratiques de l’Ancien Régime, se prévalant ainsi des penseurs du XVIIIe siècle. Cette interprétation fait débat, alors qu’une révolte a secoué en 1971-1972 le monde carcéral des Etats-Unis. L’opinion publique, sidérée, en conclut que la prison, pourtant en réforme depuis sa création, est un échec. Encore faudrait-il savoir quelles sont, précisément, sa nature et sa fonction. S’agit-il uniquement de «surveiller et punir» ? Parue sous ce titre en 1975, l’analyse de Michel Foucault fait «l’effet d’une déflagration», se souvient l’historienne ; son collègue, le grand antiquisant Paul Veyne, estime que le professeur de philosophie au Collège de France vient de «révolutionner l’histoire». Or, le rendez-vous entre celui-ci et les historiens sera «relativement manqué». D’aucuns, notamment Maurice Agulhon, reprochant à Foucault de ne pas avoir vu dans les Lumières un progrès, ce à quoi le philosophe rétorque, nous dit Perrot, que c’est là une «notion construite, et qu’il faut voir, au-delà des apparences la construction du pouvoir». La prison est un de ses instruments pour «gérer les illégalismes».

En fonction des mœurs et des sensibilités

Ce concept, aussi riche que flou, des thèmes peu traités et la façon foucaldienne de les aborder irriguent nombre d’études historiques, à commencer par celles de Michelle Perrot, rassemblées en partie en 2001 dans les Ombres de l’histoire. Crime et châtiment au XIXe siècle. L’analyse sur le long terme souligne que les illégalismes, parce que définis par la société, varient en fonction des mœurs et des sensibilités ; «La perception de ces actes devient flottante.»Longtemps la violence parentale contre les enfants, ou celle, maritale, contre les femmes échappent à la justice, pour relever de l’autorité légitime du chef de famille. Mais, à «un moment donné, la société prend conscience, ou élabore sa conscience, pour définir un acte ou une conduite comme un illégalisme» ; avant la prison, il y a les délits et les crimes à l’appréhension ambivalente. Craint, le fait divers attire aussi car «il est une brèche dans la parole convenue, dans la bien-pensance», et donc une aubaine pour les journaux, hier comme aujourd’hui, et les réseaux sociaux, entre «voyeurisme» et «admiration». Sensible au genre, Perrot constate que les femmes sont rarement les actrices d’un fait divers, à de rares exceptions près, telles les sœurs Papin, parce que celui-ci se déroule majoritairement dans l’espace public dont elles sont si longtemps absentes et s’inscrit dans une culture de la virilité, aspect négligé par Foucault à propos du parricide de Pierre Rivière. Après la mort de celui-ci en 1984, Robert Badinter, qui souhaite «la jonction entre une recherche historique et le monde politique», prolonge avec l’historienne la réflexion sur la prison, comme le font avec brio ces entretiens.

Michelle PerrotPunir et comprendre. Entretiens avec Frédéric Chauvaud. PUR «Epures», 115 pp.


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