jeudi 13 avril 2023

Fin de vie : « La situation des personnes âgées très dépendantes est trop peu abordée »

Publié le 12 avril 2023

TRIBUNE

Mathias Wargon

L’urgentiste Mathias Wargon, chef de service à l’hôpital Delafontaine, en Seine-Saint-Denis, raconte, dans une tribune au « Monde », comment sa mère, atteinte de démence, a vécu ses dernières années. Il plaide pour une meilleure prise en compte de ces situations dans les débats actuels sur la fin de vie.

Aujourd’hui, maman est morte, ou peut-être hier, ça n’a pas d’importance. Ma mère est morte, deux ans et demi après un accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’a touchée plus mentalement que physiquement, provoquant une démence croissante. Pendant ces deux ans et demi, moi qui suis médecin urgentiste, j’ai touché du doigt les difficultés des familles que, pourtant, j’entends quotidiennement. Bien que privilégiés, elle et nous, sa famille, avons subi les carences des prises en charges à domicile et de la fin de vie. Ces patients n’iront jamais en soins palliatifs. Ils sont pourtant les plus nombreux.

Après son AVC, elle a été hospitalisée en soins de suite et de réadaptation, ce qui n’a pas amélioré sa condition ; elle s’est dénutrie dans un environnement finalement peu adapté. Le choix aurait pu être de l’institutionnaliser, c’est-à-dire de la mettre dans un Ehpad, et probablement de la condamner à court terme, sans moyen suffisant de s’en occuper, de l’inciter à manger et à continuer à se déplacer, ne serait-ce que pour aller aux toilettes.

Rien n’est facile pour les familles et les aidants. Ni le quotidien, avec des aides à domicile peu nombreuses et souvent peu qualifiées, ni la prise en charge médicale, avec une désertification et un vieillissement médicaux peu propices au maintien à domicile. Combien de fois aurais-je dû emmener ma mère aux urgences pour un bilan ou même une hospitalisation si je n’avais pu régler le problème à domicile ? Nos institutions savent-elles que, même en région parisienne, il est difficile de faire une prise de sang à domicile (et encore faut-il avoir une prescription) et que les infirmières qui se déplacent pour prendre une tension ou remplir le pilulier ne font pas ou plus des gestes comme poser une perfusion ou prélever pour un examen sanguin ?

La peur de la mort

Comment, avec une assistance réduite et sans soutien médical, peut-on imaginer préserver la qualité de vie de patients dépendants ? Comment imaginer que ces passages aux urgences, ces transports, ces longues attentes dans des couloirs ou des hospitalisations dans des services de courte durée sans différence entre le jour et la nuit n’affectent pas ces patients ?

Ce handicap et cette démence progressifs conduisant peu à peu à la grabatisation ont un impact sur le patient, mais aussi sur son entourage, qui s’épuise peu à peu. Au-delà des grandes phrases sur la vie et sa sacralisation, quand on voit l’être aimé dépérir et se poser la question de la dignité, on ne peut que s’interroger sur la volonté du patient et le regard qu’il aurait eu sur lui-même. La question n’est pas si simple, parce que, aussi ténue que reste sa conscience, elle doit également être prise en compte. Et jamais, au cours de ces longs mois, ma mère ne fit la demande d’en finir ; au contraire, la peur de la mort semblait l’habiter.

La maladie démentielle, fréquemment associée à d’autres problèmes médicaux, est l’occasion d’épisodes d’infection respiratoire ou de déshydratation. Ces patients sont en général hospitalisés aux urgences, avant d’être transférés dans d’autres services, voire d’être renvoyés dans leur maison de retraite quasi immédiatement. Lorsque leur état est grave, il y a souvent une discussion avec les réanimateurs. Il est rarissime que ceux-ci l’admettent dans leur service, le bon sens prévalant. On parle alors de limitation des soins. Ou, plus techniquement, de limitation et arrêt des thérapeutiques actives.

Sauf que non. Aux urgences, en gériatrie, en médecine, on va soigner, réhydrater, stopper l’infection sans jamais se poser la question de l’acharnement thérapeutique parce que ce n’est pas très invasif. Après tout, ce n’est qu’une perfusion. Mais pourquoi ? Le patient peut espérer, au mieux, retourner à son état antérieur, parfois de démence totale, quand ne surgissent pas de nouveaux problèmes liés à l’alitement, comme les escarres. Le fait-on pour eux, pour la famille ou pour les soignants à qui on laisse l’illusion de « faire quelque chose » ?

Les limites de la discussion

Maman est morte à la maison. Est-ce que si je n’avais pas été médecin, chef de service, cette fin de vie mise en place en urgence aurait été possible ? J’en doute. En l’absence de support médical, il a fallu faire un point de la situation, décider à plusieurs médecins (sans moi), mettre en place la structure et le matériel en quelques heures, puis la sédation terminale qui lui a permis de finir sa vie calmement entourée des siens. La facilité était de garder ma mère à l’hôpital, pour évaluer plus longuement la situation et se donner le temps. Le temps, à ce moment, on ne l’avait pas. Il fallait aussi pouvoir appeler un médecin au cas où. Quel médecin, sinon ceux que je connais personnellement ?

La discussion de la fin de vie ne se limite pas à ces patients qu’on pense pouvoir admettre dans les quelques unités de soins palliatifs qui ne les accueilleront pas. Elle ne se limite pas non plus aux dernières heures. C’est un problème difficile de se saisir du cas très répandu de patients très dépendants, incapables de prendre une décision par eux-mêmes. Et il sera commode de tomber dans la caricature et de parler d’eugénisme ou, a contrario, de brandir les cas d’homicides compassionnels commis par le conjoint. Chacun doit se poser la question pour lui-même et pour ses proches sans tomber dans les extrêmes. La situation des personnes âgées très dépendantes est trop peu abordée. On ne peut pourtant pas non plus se passer de ce débat.

Mathias Wargon est chef de service urgences-SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation) au centre hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)


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