samedi 22 avril 2023

A 50 ans, des femmes toujours poubelles

par Cécile Daumas  publié le 14 avril 2023

A part Sophie Marceau peut-être, les femmes de plus de 50 ans sont souvent disqualifiées dans la vie professionnelle et la sphère privée. Une discrimination âge-genre encore taboue, analyse la psychanalyste Charlotte Montpezat dans un essai.

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A quel âge une femme est-elle jugée périmée ? 25 ans, selon Leonardo DiCaprio qui n’est pas sorti avec une fille plus âgée depuis 1999. Et 45 ans, théorisent les DRH des grandes boîtes qui décrètent ces femmes «technophobes». Ou encore 50 ans, admet la société dans sa grande mansuétude. Coach et psychanalyste, Charlotte Montpezat vient de publier un essai titré, comme pour conjurer le sort, les Flamboyantes (éd. Equateurs). Soit 17 millions de personnes de plus de 45 ans, et 9 millions en âge de travailler et qui ne sont ni à la tête des grandes entreprises, ni dans les médias, ni représentées dans les fictions, constate la psy-coach. «Le potentiel romanesque d’une femme ménopausée est inexistant dans l’imaginaire des diffuseurs», écrit celle qui a passé une bonne partie de sa carrière à Canal+. Un potentiel proche de zéro dans le reste de la société ?

La journaliste et écrivaine Laure Adler, 73 ans, a beau déclarer, bravache, «je suis vieille et je vous emmerde» dans une tribune remarquée dans Libé, la journaliste Sophie Fontanel, 60 ans, assumer ses cheveux gris devenus blancs, l’actrice Monica Bellucci, 58 ans, déclarer profiter à fond «de cette féminité nouvelle qui vient avec l’âge et l’expérience de la vie», les faits restent têtus. A l’orée de la cinquantaine, les femmes sont généralement invisibilisées comme l’essentiel des tâches cruciales qu’elles accomplissent : nettoyer, soigner, enseigner, prendre soin. Certes, il y a Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne ou Elisabeth Borne à celle du gouvernement, autant d’exceptions qui ne confirment aucune règle. Pour l’instant.

«L’appauvrissement des femmes âgées est écrit»

Si un homme de plus de 50 ans n’est guère attendu sur le marché du travail, une femme du même âge l’est encore moins. Une double discrimination se met en place : le sexisme et l’âgisme les frappent plus durement. Selon une étude américaine basée sur l’envoi de CV fictifs à 40 000 annonces d’emploi (1), la catégorie «femmes âgées» est systématiquement celle à laquelle les entreprises répondent le moins. Une discrimination qui sévit à bas bruit, difficile à prouver juridiquement – aucune affaire ou presque n’est portée devant les tribunaux. Dans cette deuxième partie de vie, après un divorce souvent, les femmes courent généralement après un boulot pour collecter les trimestres nécessaires à une retraite à taux plein nettement moins évidente à décrocher que pour les hommes. Une course rendue plus ardue encore par la nouvelle réforme Macron que rejette l’immense majorité des Français. «A terme, l’appauvrissement des femmes âgées est écrit», analyse dans Libération la sociologue Céline Bessière, spécialiste de la situation économique des femmes.

La sentence est impitoyable : «Elles travaillent plus et gagnent moins», et cela augmente avec l’âge, avec une inflexion nette marquée à 50 ans, ajoute Charlotte Montpezat. «La majorité est cantonnée à des emplois dégradés, bien inférieurs à ceux qu’elles occupaient plus jeunes», constate le Conseil supérieur à l’égalité professionnelle (CSEP). Résultat : «Le destin d’une femme de plus de 50 ans est la paupérisation, et personne ne fait rien pour changer la situation», juge la psy-coach. Pour certains spécialistes, l’âgisme agit bien plus gravement que le sexisme. Aujourd’hui, les femmes de plus de 50 ans constituent la moitié des chômeurs aux Etats-Unis. Le futur horizon des Françaises ?

«Mais que se passe-t-il dans la tête des gens pour vouloir à tout prix mettre à l’écart les femmes dépassant la quarantaine ?», se demande Charlotte Montpezat. Des stéréotypes durs comme l’acier trempé persistent malgré l’émancipation féminine, la réussite exemplaire des filles à l’école, leur entrée massive et accomplie sur le marché du travail depuis le début des années 60. Avec les cheveux gris et la ménopause, c’est comme si elles devenaient aussi invisibles qu’impuissantes : 37 % des cabinets de recrutements et leurs clients interrogés dans une étude pour l’association Force Femmes (2) estiment que les femmes de plus de 45 ans ne s’adaptent pas bien aux changements, aux nouvelles technologies particulièrement. Et 21% pensent qu’elles manquent de dynamisme. Une immense majorité (78%) leur reprochent leur apparence. «On est dans une société patriarcale qui associe la beauté féminine à la jeunesse. Une belle femme est jeune et fertile», constate Amanda Castillo, dans son livre Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ?(éd. L’Iconoclaste). L’adage féminité égale jeunesse et beauté se vérifie également sans surprise sur le marché de la séduction. Sur les applis de rencontres, un homme de plus de 50 ans est considéré comme désirable, les femmes les plus likées ont entre 20 et 24 ans. «La société nous dit que passé un certain âge, on doit s’acheminer vers le coin tranquille de la non-existence, analyse Amanda Castillo. On n’a plus de place. A part être mère, grand-mère, on s’efface.»

«Moins elles sont montrées, moins elles se sentent montrables»

Sandrine Kiberlain, Juliette Binoche ou Charlotte Gainsbourg pourraient démentir ce sombre tableau de la féminité mature. Ces «flamboyantes» sont bel et bien en haut de l’affiche mais la majorité des femmes se convainc plutôt de ce que leur renvoie la société, selon une mécanique dépréciative bien connue de la psychologie humaine. «Moins les femmes de plus de 50 ans sont montrées, moins elles se sentent montrables. Plus on leur dénie de la valeur, plus elles se mettent en retrait du pouvoir, du travail, de la séduction, analyse Charlotte Montpezat. Plus les symptômes de leur obsolescence programmée sont pointés, plus elles se montrent à l’affût des défaillances de leurs corps. Moins on est désirées, moins on se rend désirable.»

En 1972, l’intellectuelle américaine Susan Sontag publie un article devenu référence, «le Double Standard de l’âge», cité aujourd’hui par Charlotte Montpezat et Amanda Castillo. Pourquoi les femmes mentent-elles davantage que les hommes sur leur âge, se demande l’essayiste, à une époque où la question est peu abordée dans les milieux féministes. Au centre de son raisonnement, le double critère de séduction selon le sexe – encore à l’œuvre aujourd’hui. Pour les hommes, deux figures possibles, le «jeune homme» et l’«homme mûr». Pour les femmes, un seul et même modèle, celui de la jeune femme. Susan Sontag conseille aux femmes de «laisser voir sur leur visage la vie qu’elles ont vécue». Cinquante ans plus tard, elles n’y parviennent pas vraiment.

Pour les hommes, deux figures possibles, le «jeune homme» et l’«homme mûr». Pour les femmes, un seul et même modèle, celui de la jeune femme.

Ce sont dans les sociétés où les relations entre les sexes sont les plus équilibrées qu’il est possible d’envisager différemment les femmes, rappelle le psychiatre et anthropologue Daniel Delanoë cité par Charlotte Montpezat. Les reconnaître pour d’autres valeurs que leur capacité à engendrer des enfants ou à séduire à 20 ans un prince charmant. La ménopause ne signifie pas la fin du désir, mais un stade normal de l’évolution d’une vie de femme, un non-événement ou presque.

Dans des sociétés plus égalitaires, les êtres humains, à l’orée de leur deuxième partie de vie, seraient crédités des mêmes potentialités ou caractéristiques : expérience, énergie, capacités à gérer ou à dénouer des problèmes, beautés grisonnantes et ventripotentes. Assez logiquement, remarque Charlotte Montpezat, pour «combattre le problème, il faut le regarder en face et le nommer». La discrimination genre-âge est encore un tabou en France.

Les Flamboyantes de Charlotte Montpezat, éd. Equateurs.
Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ? d’Amanda Castillo, éd. L’Iconoclaste.

(1) Etude «Is it Harder for Older Workers to Find Jobs ? New and Improved Evidence From a Field Experiment», menée par trois économistes du National Bureau of Economic Research entre 2015 et 2017.

(2) Cette association s’occupe de la réinsertion professionnelle des femmes de plus de 45 ans.


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