jeudi 5 janvier 2023

« Professeur Yamamoto part à la retraite » : dernières séances chez le psy

Par   Publié le 4 janvier 2023

Dans un documentaire, Kazuhiro Soda filme les liens si particuliers noués entre un psychanalyste sur le point de partir à la retraite et ses patients.

« Professeur Yamamoto part à la retraite », documentaire japonais de Kazuhiro Soda.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Comment faire ses adieux à son psychothérapeute quand celui-ci est sur le point de vous quitter ? Un patient de la petite clinique d’Okayama accepte difficilement le départ à la retraite du professeur Yamamoto, tout de même âgé de 82 ans. Il enregistre sa dernière séance pour réécouter à vie celui qu’il considère comme son sauveur : « réduire son désir à zéro » serait la clé du bonheur. De ces adieux, il ne reste rien tant que le souvenir d’une grande proximité affective, presque familiale, mêlée d’un respect mutuel entre les deux hommes. D’autres patients, en situation de fort handicap psychique, exprimeront leurs dernières volontés auprès de celui qui les a accompagnés de nombreuses années…

Au-delà de la fébrilité des malades, pour la plupart venus accompagnés d’un des leurs, la première chose qui frappe tient dans la convivialité de ces derniers rendez-vous. Alors que la culture occidentale lie le flux de l’inconscient au secret du cabinet, où les cinéastes qui s’y aventurent se font les plus petits possibles, Kazuhiro Soda est invité à rester vivant, dans son sens le plus anatomique du terme. Libre de respirer, tousser, marcher, tourner. On devine sa présence à la mobilité de sa caméra.

« Cinéma d’observation »

Cette approche donne toute l’ampleur du travail du professeur Yamamoto, pionnier en psychiatrie au Japon, qui s’est battu pour que les malades sortent des hôpitaux pour bénéficier, au sein de la communauté civile, de soins affectifs, qu’il appelle « la médecine humaine ». Son mantra, sans doute inspiré du bouddhisme et du shintoïsme – « réduire ses désirs à zéro » –, trouve son application dans la méthode de Kazuhiro Soda. Embarrassé par des projets formatés pour la télévision, le cinéaste s’est fixé « dix commandements du cinéma d’observation », parmi lesquels : ne faire aucune recherche sur le sujet du film, ne pas écrire de scénario, ne pas décider du thème avant le montage, ne pas utiliser de narration, de surtitres ni de musique, faire tourner la caméra soi-même…

Plus le cinéaste devient l’alibi du médecin qui, par ce biais, tente d’échapper à sa retraite, plus la caméra s’intéresse à ce qu’il fuit

Cette forme de passivité obligée atteint son paroxysme lorsqu’elle se frotte au quotidien du médecin désormais retiré de la vie active. Replié dans son salon avec sa femme, Yoshiko, dont on comprend par la persistance de son silence qu’elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer, Yamamoto convie Soda à sa table et l’incite à boire pour faire durer le moment. N’importe quel filmeur aurait été un peu gêné de ce pas grand-chose, picorant quelques sushis, faisant coulisser sa caméra dans le face-à-face muet des époux, s’arrêtant vaguement sur un petit radiateur électrique… A ne rien provoquer, il aurait été qualifié de fumiste.

Derrière la sobriété formelle du réalisateur s’opère un glissement de terrain qui déplace imperceptiblement les positions des uns et des autres : plus le cinéaste devient l’alibi du médecin qui, par ce biais, tente d’échapper à sa retraite, plus la caméra s’intéresse à ce qu’il fuit, la présence silencieuse, monolithique, inamovible de sa femme, dont le professeur dit qu’il l’a sacrifiée au bénéfice de ses patients. C’est avec elle – pure figuration du « désir réduit à zéro » – que le film trouve sa grâce et saisit à demi-mot la proximité affective des époux, qui raconte quelque chose de l’amour pur après l’oubli.

Documentaire japonais de Kazuhiro Soda (1h59). Avec Masatomo et Yoshiko Yamamoto.


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