samedi 7 janvier 2023

Décryptage Grève des médecins généralistes : plutôt que le prix des consultations, il faut comparer les rémunérations

par Théodore Laurent et Savinien de Rivet  publié le 4 janvier 2023

Lors de la mobilisation prévue ce jeudi 5 janvier, les médecins libéraux défendront la consultation à 50 euros en s’appuyant sur des comparaisons avec les tarifs des autres pays européens. L’argument ne convainc pas les experts.
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Une augmentation de 100%. La hausse du tarif de la consultation de médecine générale de 25 à 50 euros figure parmi les propositions phares du collectif Médecins pour demain, qui organise ce jeudi une manifestation entre le Panthéon et le ministère de la Santé. La revendication, qui divise au sein même de la profession, est celle qui a le plus retenu l’attention médiatique. Et avec elle, la comparaison avec le tarif appliqué dans les autres pays d’Europe, qui s’est même invitée sur les plateaux télé sous forme d’infographie. Ce que n’a pas manqué de relayer le groupe de médecins grévistes sur Twitter, qui demande à «s’aligner sur le coût moyen des consultations en Europe».

Dans ces graphiques, le prix de la consultation est évalué entre 95 et 315 euros au Royaume-Uni, à 100 euros en Suisse, 75 euros en Allemagne, et entre 30 et 40 euros en Espagne. Sur cette seule base, les généralistes français apparaissent lésés par rapport à leurs voisins européens.

«Il ne faut pas se laisser berner par le prix de la consultation : ce n’est qu’une composante de la rémunération globale, tempère Nicolas Da Silva, chercheur au centre d’économie de l’université Paris-13 et spécialiste de l’économie de la santé. Je ne comprends même pas comment on a pu arriver à présenter de tels chiffres, car les modes d’exercices et de rémunération sont très différents entre les pays.»

Parmi les mieux rémunérés

En France, les médecins généralistes sont à 80% payés à l’acte, c’est-à-dire qu’ils touchent une rémunération pour chaque consultation. Le reste provient de forfaits en fonction du type de patient, ou d’indicateurs de productivité. Au Royaume-Uni, par exemple, ils sont principalement rétribués en fonction de la taille et de la composition de leur patientèle, la capitation. Le médecin perçoit une somme forfaitaire par patient inscrit à son cabinet, indépendamment du volume de soins prodigué. Le salariat est également développé outre-Manche. «Ces comparaisons [entre les prix des consultations dans les différents pays, ndlr], sont fallacieuses, mais je comprends cette stratégie, qui est de chercher les chiffres favorables à leurs revendications», relevait l’économiste et directeur du Centre d’Economie de Paris Nord (CEPN) Philippe Batifoulier, dans un entretien accordé à Marianne fin décembre.

Il apparaît de ce fait plus judicieux de s’attarder sur les revenus des praticiens plutôt que sur les tarifs de la consultation. En termes de rémunérations, les dernières études disponibles indiquent que les médecins français ne sont pas les plus mal lotis. Loin de là. Selon la Direction de la recherche, des études et de l’évaluation des statistiques (DREES), les généralistes gagnaient en moyenne 91 670 euros en 2017. Si l’on se réfère aux statistiques de l’OCDE, leur rémunération moyenne représente trois fois le salaire moyen brut français, ce qui est supérieur ou égal à tous les autres pays étudiés sauf l’Allemagne (4,4) et le Royaume-Uni (3,3).

Mal-être au sein de la profession

Contrairement à certains de leurs voisins, les praticiens français subissent moins de contraintes. «Les médecins veulent des revalorisations sans contreparties, notamment sur la liberté d’installation», soulève le chercheur Nicolas Da Silva. En France, les médecins sont libres de choisir le lieu où ils exercent. Au Royaume-Uni, leur installation est régulée par l’Etat en fonction des besoins. Le système est plus contraignant encore en Espagne, où ils doivent respecter plusieurs critères d’implantation, certains relatifs aux temps de trajet des patients les plus reculés. En Allemagne, la liberté d’installation est limitée par un système qui n’autorise l’arrivée de nouveaux praticiens que dans des zones où leur nombre par habitant est inférieur à un seuil fixé à l’échelle nationale.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas un vrai mal-être au sein de la profession. Insuffisance du nombre de praticiens, pesanteurs administratives, consultations à la chaîne et semaines de «60 heures» encouragées par le paiement à l’acte sont autant de raisons qui peuvent expliquer leur malaise grandissant. «Il faut prendre au sérieux la revendication de l’amélioration des conditions de travail. C’est même une priorité, appuie le spécialiste de l’économie de la santé. Mais l’augmentation du prix de la consultation n’est pas une réponse.»


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