samedi 10 décembre 2022

Écoles : les bienfaits de la neuro-éducation sont-ils surévalués ?

Marion Rousset   Publié le 09/12/22

En matière éducative, méfions-nous des solutions miracles : le chercheur en psychologie du développement Édouard Gentaz met en garde contre la fascination qu’exercent les neurosciences sur les politiques scolaires. Il publie un ouvrage à ce sujet. Rencontre.

La neuro-éducation est à la mode. Consacrée par le précédent ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, qui avait créé un Conseil scientifique de l’Éducation nationale présidé par le chercheur Stanislas Dehaene, elle est souvent présentée comme un remède à tous les maux de l’école. Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement, publie un ouvrage intitulé Neurosciences à l’école. Leur véritable apport (éd. Odile Jacob) qui met en garde contre les « neuro-illusions » de l’époque. De quoi doucher l’enthousiasme suscité par cette spécialité qui repose sur l’imagerie médicale.

« Identifier et valider les pratiques pédagogiques et les outils qui permettent à tous les élèves de réussir était au centre des préoccupations des fondateurs français des sciences de l’éducation », rappelle cependant Édouard Gentaz. À commencer par le pédagogue Henri Wallon – connu pour avoir donné son nom avec Paul Langevin à un plan de réforme du système éducatif à la Libération –, qui avait lancé un laboratoire de psychobiologie de l’enfant. Aujourd’hui, fonder la politique éducative sur des preuves reste un objectif louable… à condition que les chercheurs travaillent main dans la main avec les enseignants. Autant dire que face aux solutions miracles il faut raison garder.

“Les neurosciences étayent des découvertes sur le cerveau très pertinentes mais ne nous disent en rien comment enseigner.”

Pourquoi faut-il, d’après vous, pondérer la passion pour la neuro-éducation qui est en odeur de sainteté depuis quelques années ?

En France comme dans bien d’autres pays, on a tendance à ajouter le préfixe neuro- à tous les concepts en vogue : on parle de neuro-marketing, de neuro-management… et de neuro-éducation. Cela permet d’insister sur le côté scientifique d’une pédagogie et sur son efficacité. Des expériences montrent qu’on est beaucoup plus crédible quand on illustre son propos en présentant des photos de cerveau. Pourtant, si les neurosciences étayent des découvertes très pertinentes sur la plasticité cérébrale par exemple, elles ne nous disent en rien comment enseigner. De temps en temps, on met un enfant dans un tube pour voir quelle zone cérébrale est mobilisée quand il acquiert telle ou telle compétence, c’est fascinant mais ce n’est pas très utile en matière de pédagogie. Il ne s’agit pas de rejeter les neurosciences, mais de les remettre à leur juste place : les apports de cette approche restent en fait très limités et sont souvent confondus, à tort, avec ceux des sciences cognitives en général et de la psychologie comportementale en particulier.

Il n’existe donc pas de pédagogie validée par les neurosciences ?

On ne peut tirer aucune application concrète, utile à l’enseignement, d’une étude portant exclusivement sur le fonctionnement des bases neuronales. Même lorsque Stanislas Dehaene valide une méthode en particulier, il ne va jamais puiser dans les neurosciences mais toujours dans des études comportementales classiques, issues de la psychologie. Lesquelles ont ainsi permis de prouver qu’entrer dans la lecture par le graphème est un bon prédicteur de la réussite en matière de décodage et de compréhension. Observer si l’enfant sait lire après avoir été formé grâce à cette méthode relève de la psychologie traditionnelle telle qu’elle se pratique depuis un siècle ! En outre, ça ne préjuge pas de la manière dont les enseignants doivent l’appliquer. Ça ne tranche même pas le débat qui oppose les fameuses approches globale et syllabique car on ne dispose pas d’études comparatives suffisamment nombreuses et étayées.

La méthode Montessori bénéficie de l’aura des neurosciences… Est-ce justifié ?

C’est un bon exemple ! Non seulement l’imagerie cérébrale ne garantit en aucun cas l’efficacité de cette pédagogie à la mode, mais les évaluations comportementales réalisées en classe ne permettent pas non plus d’affirmer que ça marche. Récemment, une équipe lyonnaise conduite par Jérôme Prado, chercheur au CNRS, a étudié pendant trois ans une cohorte d’élèves répartis dans une classe Montessori et dans une classe conventionnelle, au sein d’une école maternelle publique d’un quartier défavorisé. Le dispositif n’a pas permis de prouver la supériorité de Montessori, sauf en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture. En effet, les deux groupes d’enfants obtenaient des résultats similaires dans tous les autres domaines. Les effets positifs de cette pédagogie qui ont été vraiment validés par les sciences cognitives sont donc très modestes.

Les bienfaits de la méditation ont en revanche fait l’objet de nombreuses études. Cela plaide-t-il en faveur de son introduction à l’école ?

On connaît depuis très longtemps les effets bénéfiques de la médiation sur le stress, la concentration, l’attention… Largement démontrés dans le domaine de la santé mentale et des fonctions cognitives, ils sont aussi visibles sur les clichés d’imagerie médicale. Mais récemment cet intérêt s’est élargi au domaine de l’école, et de nombreuses études cherchent à adapter les exercices de pleine conscience au contexte scolaire. Pour l’instant, les résultats sont mitigés. Une équipe de Bordeaux a en effet testé un programme de méditation à destination des enfants, tiré du best-seller Calme et attentif comme une grenouille, qui s’est vendu à des millions d’exemplaires dans le monde entier. Conclusion, les chercheurs n’ont pas constaté d’effet significatif pour l’échantillon global composé majoritairement d’élèves de CE2, principalement des filles. Aucune diminution de l’anxiété ni amélioration du sentiment de bonheur et du bien-être global… En revanche, les résultats étaient beaucoup plus probants pour les 30 % d’enfants qui présentaient le plus de difficultés.

“Les chercheurs peuvent donner des repères, des outils mais, à la fin, le geste professionnel revient à l’enseignant.”

Pourquoi est-il si difficile de passer de la connaissance des mécanismes de l’apprentissage à des préconisations sur la manière d’enseigner ?

L’acte d’apprendre implique des compétences telles que l’attention, la perception, la mémorisation, le contrôle de soi, l’intelligence et enfin la nécessité de faire des essais et des erreurs. Lesquelles jouent un rôle positif qu’on a parfois du mal à valoriser. Le conditionnement et l’imitation sont par ailleurs des mécanismes connus de l’apprentissage. Nous, chercheurs, connaissons les mécanismes généraux de l’apprentissage. Nous pouvons donner des repères et des outils mais, à la fin, le geste professionnel revient à l’enseignant, qui seul peut adapter ces grandes recommandations aux contraintes qu’il rencontre et au contexte qui est le sien. On n’enseignera pas de la même manière à Mayotte et dans le 15e arrondissement parisien, à la montagne et en ville. Nos préconisations doivent être adaptées au profil des élèves, aux effectifs des classes, etc.

Quelles sont ces grandes recommandations ?

À l’école maternelle, on gagnerait à utiliser davantage le corps pour apprendre, de même qu’il est prouvé que travailler les compétences socio-émotionnelles des élèves est utile à leur développement, voire facilite les apprentissages scolaires plus traditionnels. C’est aussi fondamental que les maths et le français, si l’on considère que l’école a pour mission de fabriquer des citoyens capables d’entretenir des relations positives avec leurs proches. Ce travail repose sur plusieurs étapes. D’abord apprendre aux élèves à identifier des émotions comme la colère, la surprise et le dégoût sur des visages, à partir de sons ou encore de postures. Ensuite les entraîner à comprendre ces émotions, leurs causes et leurs conséquences, à savoir les exprimer et les réguler. Mais attention, toutes ces techniques ne peuvent marcher qu’à la condition que les enseignants y soient associés et formés. Pour concevoir des gestes pédagogiques adaptés à une situation de classe, il est indispensable qu’ils participent aux recherches avec nous.


À lire
Neurosciences à l’école. Leur véritable apport, d’Édouard Gentaz, éd. Odile Jacob, 228 p.


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