mardi 29 novembre 2022

Cancer : les inégalités d’éducation en cause dans la mortalité

Par    Publié le 28 novembre 2022

Une étude du Centre international de recherche sur le cancer menée dans dix-huit pays européens confirme que moins on est éduqué, plus le risque de mourir de cette maladie est grand.

Dans une rue de Liverpool (Royaume-Uni), en mai 2020.

Les inégalités socio-économiques pèsent lourd dans la mortalité liée au cancer en Europe. Et si le cancer touche tout le monde, il frappe plus durement les personnes les moins éduquées. Une équipe de chercheurs du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé, en collaboration avec le centre hospitalier universitaire néerlandais Erasmus MC, ainsi qu’une dizaine d’autres organiseuromes, ont analysé et comparé des données sur le risque de décès par cancer selon le niveau d’éducation dans dix-huit pays en Europe, sur une période comprise entre 1990 et 2015, et sur l’ensemble de la population âgée de 40 à 79 ans. Ce qui représente environ 70 % de tous les décès par cancer en Europe.

Le constat des chercheurs est sans appel. L’étude parue, lundi 28 novembre, dans The Lancet Regional Health Europe et financée par l’Institut national du cancer (INCa), confirme à quel point la position socio-économique, ici mesurée par le niveau d’éducation, joue dans le risque de mourir d’un cancer. Elle offre à la fois une vision globale des inégalités en comparant les pays mais aussi les populations à l’intérieur de chacun des Etats. « Partout en Europe, que l’on habite en République tchèque, en Finlande, en Espagne ou encore en France, ces inégalités existent pour la plupart des formes de cancer, notamment les cancers liés au tabac et à l’alcool, celui du poumon en tête », note Salvatore Vaccarella, épidémiologiste au CIRC, qui a coordonné cette étude.

Les inégalités sociales face à la mortalité du cancer ont déjà été pointées dans de nombreuses études. « Cette étude a le mérite de la largeur géographique et chronologique et offre une photographie intéressante », relève le médecin et épidémiologiste Jean-David Zeitoun, qui n’a pas participé à ce travailLes différences géographiques apparaissent secondaires pour les catégories les plus instruites. En revanche, lorsque l’on est peu éduqué, l’importance du pays joue à plein.

Fortes variations d’un pays à l’autre

Les taux de mortalité sont plus élevés dans la population située au bas de la hiérarchie sociale et l’ampleur des inégalités varie fortement d’un pays à l’autre, précisent les chercheurs du CIRC. « Une fraction substantielle – environ 32 % chez les hommes et 16 % chez les femmes – des décès par cancer sont associés aux inégalités en matière d’éducation », ajoutent-ils. Proportion qui peut aller respectivement jusqu’à 46 % et 24 % en Europe de l’Est et dans les pays baltes. L’étude révèle aussi que les hommes moins éduqués ont plus que deux fois plus de risque de mourir d’un cancer du poumon que ceux plus instruits. En ce qui concerne le cancer du col de l’utérus, les femmes d’un milieu défavorisé ont un risque d’en mourir trois fois plus élevé que les autres.

Le cancer du sein fait exception. Dans plusieurs pays, ce sont au contraire les femmes ayant une position socio-économique élevée qui ont le plus de risque d’en mourir. L’une des explications possibles est que ces femmes font des enfants plus tard, en ont moins, et qu’elles ne les allaitent pas. « Mais cette tendance pourrait s’inverser bientôt, signale Salvatore Vaccarella. C’est déjà le cas en Norvège, où les tendances du cancer du sein commencent à être plus défavorables aux femmes de bas niveau socio-économique, comme c’est déjà le cas pour la plupart des autres types de cancer. »

Les inégalités observées peuvent être liées à plusieurs paramètres, listent les auteurs : des comportements individuels et collectifs influant sur l’exposition aux facteurs de risque et l’incidence des cancers, l’accès à un diagnostic précoce et des programmes de dépistage, et à des traitements efficaces. Des facteurs en grande partie socialement déterminés, selon eux.

Selon l’étude, les pays d’Europe du Sud s’en sortent plutôt mieux du point de vue de l’inégalité devant la mort. Il faut y chercher des raisons autres que les politiques sociales ou de santé égalitaires, qui n’y sont pas particulièrement fortes. « Les raisons peuvent être diverses. A commencer par une épidémie de tabagisme retardé, en particulier chez les femmes et peut-être aussi le fait qu’un groupe plus important et plus instruit a émergé plus tard », explique l’épidémiologiste.

Dans ce panorama, comment se situe la France ? Si l’on prend en compte tous les cancers concernant les hommes, elle se place à un niveau intermédiaire, même si, hors Europe de l’Est et pays baltes, les inégalités devant la mort y sont les plus élevées. En revanche, les taux français de mortalité due au cancer du sein sont mauvais par rapport aux autres pays.

Le cancer est la deuxième cause de décès dans le monde derrière les maladies cardio-vasculaires. Une enquête menée dans le cadre du Global Burden of Disease, qui évalue la mortalité et l’invalidité dues aux principales maladies, parue en août dans The Lancet, a révélé que 44,4 % des morts par cancer dans le monde sont « attribuables à un facteur de risque qui a été mesuré », le tabac en premier lieu puis l’alcool. La prévention est donc indispensable. Mais sans doute faut-il repenser les campagnes afin de mieux cibler les populations défavorisées. Pour Salvatore Vaccarella, les messages consistant à dire de façon générale « il ne faut pas fumer, c’est mauvais pour la santé », ne sont pas efficaces. Selon lui, toutes les interventions et politiques de lutte contre le cancer doivent tenir compte des facteurs socio-économiques.

Une « future crise du cancer » liée au Covid-19

L’autre moitié des cancers n’étant pas imputable à un facteur de risque modifiable, la prévention ne suffit pas. Elle doit donc s’accompagner, selon les auteurs, de deux autres piliers : un diagnostic suffisamment précoce et des traitements efficaces. Sur ce plan, il y a urgence. A la mi-novembre, des experts se sont alarmés, chiffres à l’appui, dans une étude publiée dans The Lancet Oncology, d’une « future crise du cancer ». Selon eux, cent millions de dépistages n’ont pas été effectués en Europe pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 et un million de cas de cancers n’ont pas été diagnostiqués.


QQuant au suivi des malades, le constat n’est guère réjouissant : 1,5 million de consultations ont été annulées pendant la première année de la pandémie ; un malade sur deux n’a pas pu être opéré ou n’a pas pu suivre son traitement dans le délai imparti. Mark Lawler, professeur et chercheur de l’université Queen’s, à Belfast, a alerté : « Les progrès dans la lutte contre le cancer en Europe ont reculé d’une dizaine d’années. Nous craignons que l’Europe ne se dirige vers une épidémie de cancer au cours de la prochaine décennie si les systèmes de santé contre le cancer et la recherche ne sont pas prioritaires de toute urgence. »

Le Covid-19 n’est pas le seul responsable. Le conflit ukrainien pourrait aussi avoir un impact important. La Russie et l’Ukraine sont en effet deux grands contributeurs à la recherche clinique sur le cancer dans le monde. Enfin, le Brexit pourrait également peser sur l’avenir de la recherche.



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