lundi 3 octobre 2022

Reportage Devoirs à la maison : «Plus l’école externalise, moins elle joue son rôle démocratique»

par Lucie Beaugé   publié le 2 octobre 2022

Tous les élèves ne sont pas égaux pour réaliser leurs devoirs, entre manque de lieu calme et difficultés des parents à venir en aide. L’association Zup de Co permet aux collégiens en difficulté de travailler au sein de l’établissement et de manière encadrée.

«Allez allez, on se met au boulot là !» Au collège Magellan à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), dans une salle où les tables en bois et pieds verts en métal rappellent les pupitres d’antan, quatorze élèves de 5e sortent leurs tablettes numériques. Ce lundi après-midi, après les cours, ils rechignent à faire leurs devoirs listés dans Pronote, le logiciel d’emploi du temps et de suivi des notes. Six garçons, un brin chahuteurs, fringues de sport estampillées de la célèbre marque à virgule, planchent sur les grands principes du conte. «On a une évaluation demain», grimace l’un d’eux. Face à eux, Amandine, 21 ans, encadre la séance aux côtés de Christophe Pottier, prof de maths, et jongle entre encouragements et conseils. «Le but n’est pas d’apprendre par cœur, mais de savoir en quoi un conte est un conte», rappelle la jeune femme. Amandine n’est ni prof, ni surveillante. En service civique pour l’association Zup de Co, qui lutte contre le décrochage scolaire à travers la France, elle endosse le rôle de tutrice auprès d’élèves en difficulté de cet établissement, dans le cadre du dispositif Devoirs faits.

Lancé en 2017 par le ministère de l’Education nationale, Devoirs faits propose aux élèves une aide aux exercices et à l’apprentissage des leçons entre les murs du bahut, par le biais de profs volontaires ou d’intervenants extérieurs. Objectif : remédier à certaines inégalités sociales, et donc scolaires. «On a ici des parents qui ne parlent pas la langue, quand d’autres sont confrontés à des matières pour lesquelles eux-mêmes ont des difficultés. Il y a aussi des parents séparés, qui ont des emplois du temps chargés, finissant tard le soir… Et pour qui il est difficile d’assurer le suivi des devoirs», liste Alain Wodey, coordinateur de l’association dans les Yvelines. En France, la corrélation entre origines socio-économiques et bonnes notes à l’école est l’une des plus élevées des pays de l’OCDE. Dans ses résultats sur les performances des élèves en 2018, Pisa pointe «une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé» en France, contre 89 points pour la moyenne des 38 Etats membres de l’organisation.

«On leur apporte une méthode»

S’ajoutent à ces difficultés des facteurs environnementaux qui creusent le fossé : chambre bruyante, absence de bureau, de connexion wi-fi ou encore d’ordinateur… Une enquête Pisa de 2014consacrée aux devoirs constatait que «les élèves favorisés sont plus susceptibles que les élèves défavorisés de disposer d’un endroit adéquat pour étudier chez eux et d’avoir des parents impliqués». Résultat, «plus l’école externalise ce qu’elle donne à faire aux élèves, moins elle joue son rôle démocratique», analyse Patrick Rayou, sociologue et professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII.

Les parents issus de milieux populaires ne sont pas pour autant désintéressés du parcours scolaire de leurs enfants. «Ils ont souvent des pratiques coercitives, sont sur des modèles anciens, pensent que l’école devrait contraindre davantage, souligne le sociologue. Si l’enfant oublie un mot d’une leçon, le parent aura tendance à considérer qu’il n’a pas bien appris.»

Dans la deuxième version de son mode d’emploi sur Devoirs faits, publié en août, le ministère assure qu’«un collégien sur trois bénéficie du dispositif à l’échelle nationale, et un élève sur deux en éducation prioritaire». A Magellan, collège classé REP, pas loin de la moitié des élèves sont accompagnés. Le but n’est pas d’augmenter la moyenne générale de plusieurs points, il s’agit surtout d’apprendre aux élèves à apprendre. «On les pousse à faire leurs devoirs, tout en leur apportant une méthode», souligne Amandine. Maëla Jorda, prof d’histoire-géo, constate de son côté que les élèves en difficulté baissent moins facilement les bras depuis qu’ils sont encadrés. «Avant, il y avait souvent des pages blanches. Aujourd’hui, ils n’ont plus peur d’essayer», affirme celle qui est aussi référente du dispositif à Magellan.

Repenser l’utilité des devoirs donnés

Pour le sociologue Patrick Rayou, il est toutefois «difficile de régler les problèmes d’apprentissage au seul moment des devoirs». L’accompagnement «profite surtout aux élèves moyens-bons, moins à ceux qui viennent sous la contrainte». Ces derniers s’investissent moins et trouvent peu d’intérêt aux sessions. «Si j’avais pu choisir, je ne serais pas venu», assume Hamza (1), scolarisé à Magellan, mains dans les poches et mine blasée. Un autre abonde : «Moi, j’ai souvent la flemme des devoirs.»

Pour la principale de Magellan, Léa Viso, une réflexion doit être enclenchée en salle des profs sur l’utilité des travaux à faire à la maison. Pourquoi, par exemple, demander aux élèves d’illustrer, chez eux, la page de garde de leurs cahiers pour chaque matière ? «C’est une manière de s’approprier la discipline en début d’année, mais on peut aussi admettre que cela ne correspond pas à certains élèves», admet Léa Viso. En 6e, Maëla Jorda estime que seul un apprentissage des leçons doit être demandé hors de la classe. «Pour les 3e, je fais en sorte que les devoirs impliquant des exercices écrits ne durent pas plus de trente minutes», assure la prof d’histoire-géo.

Quitte à interdire totalement les devoirs ? Depuis 1956, une circulaire les interdit en primaire, mais dans les faits, cette mesure reste très peu appliquée, soit par méconnaissance des profs, soit par crainte des critiques. «Les parents sont de plus en plus inquiets du futur de leurs gamins et pensent que les enseignants qui ne donnent pas de devoirs sont laxistes», analyse Patrick Rayou.

Le dispositif Devoirs faits n’inclut pas les parents dans la boucle. Certes, les élèves bénéficient d’une aide grâce à leur aval. Mais faudrait-il aller plus loin en les faisant participer aux sessions, et permettre un meilleur relais à la maison ? Dans le cadre de ses recherches, Patrick Rayou invitera plusieurs parents à assister à une session d’encadrement des devoirs, en décembre. «L’idée est de faire comprendre ce qu’on y fait et ce qui est en jeu concernant l’autonomie de l’élève.» Une indépendance indispensable pour François-Afif Benthanane, fondateur de l’asso Zup de Co, pour qui les parents ne doivent pas surinvestir le domaine des devoirs : «Ce n’est pas le rôle des parents d’aider les enfants à les faire. Donner le petit-déjeuner le matin et s’intéresser à la journée de son enfant, c’est tout ce qu’on peut leur demander.»

(1) Le prénom a été modifié.


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