lundi 31 octobre 2022

Le nombre de détenus atteint un niveau historique en France

Par    Publié le 31 octobre 2022

Au 1er octobre, on recense 72 350 personnes dans les prisons françaises, un chiffre record. Le nombre de matelas au sol dans les établissements a bondi de 39 % en un an.

Des détenus dans leur cellule à la prison de Gradignan (Gironde), le 3 octobre 2022.

Au 1er octobre, les prisons françaises comptaient 72 350 détenus. Un niveau jamais atteint. Plus préoccupant est le rythme auquel la population carcérale progresse. Le solde des entrées et sorties au cours du mois de septembre a été positif de 681. Selon nos informations, cela s’est encore accéléré en octobre, approchant les 200 détenus supplémentaires chaque semaine. Un emballement inquiétant. Contrairement à ses voisins, la France continue d’incarcérer toujours plus et pour des peines de plus en plus longues.

Depuis le point bas atteint le 1er juin 2020, avec 58 109 personnes détenues au sortir du premier confinement, le nombre de personnes placées en détention par les juges a ainsi bondi de 24,5 %. Une croissance que rien ne permet de corréler avec une évolution démographique ni avec les statistiques du ministère de l’intérieur sur les chiffres de la délinquance ou de la criminalité. La justice est de plus en plus sévère et le développement des peines alternatives à la prison n’y change rien. Comme si les magistrats tentaient, lancés dans cette spirale, de tordre le cou aux clichés évoquant une justice laxiste.

Le résultat de cette inflation est sans surprise. Le nombre de détenus contraints de dormir sur un matelas au sol, relevé la journée afin de permettre aux autres détenus de descendre des lits superposés, atteint 2 053. C’est 39 % de plus en un an. Des conditions d’entassement dans les cellules sources de tensions entre détenus et avec les surveillants. Car le personnel pénitentiaire ne progresse pas au même rythme, les activités scolaires, culturelles ou sportives non plus.

Hasard du calendrier, alors que ces chiffres étaient publiés dans la soirée du vendredi 28 octobre par le ministère de la justice, Eric Dupond-Moretti était la veille, jeudi, à l’Assemblée nationale lors du vote des crédits de la justice pour 2023 dans le cadre du projet de loi de finances. Le ministre de la justice a fait voter à cette occasion un amendement « pour porter au 31 décembre 2027 la date jusqu’à laquelle il peut être dérogé au principe du placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ».

« Déficit de 10 000 places »

Car la doctrine carcérale, née d’une loi de 1875, a consacré le principe de l’encellulement individuel. Le gouvernement de François Fillon avait de nouveau gravé ce principe dans le marbre à l’occasion de la loi pénitentiaire de 2009, en repoussant son entrée en vigueur à novembre 2014, le temps, a rappelé M. Dupond-Moretti au Palais-Bourbon, « de permettre l’achèvement du programme de construction de 13 200 places de prison » lancé en 2002.

Il n’a jamais été question de retirer de la loi cet impératif de l’encellulement individuel, mais de moratoires en moratoires, votés en 2014, 2019 et maintenant 2022, les gouvernements successifs ont obtenu du Parlement le feu vert pour ne pas le respecter. Le ministre de la justice s’est montré rassurant devant les députés, évoquant aujourd’hui « un déficit de 10 000 places de prison ». Ce qui lui fait dire que le programme de construction de 15 000 places de prison lancé en 2017 et censé s’achever d’ici à 2027 résoudra le problème. Comme si construire des prisons allait ralentir la croissance du nombre de détenus. Rien n’est moins sûr.

D’après les chiffres du ministère de la justice, au 1er octobre, seuls 41 % des 72 350 détenus bénéficient d’une cellule individuelle. 20 000 personnes sont même incarcérées dans des prisons affichant un taux d’occupation dépassant 150 % de leur capacité. Trois établissements ont par exemple franchi la barre des 200 % de surpopulation, comme le quartier maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan avec 727 détenus, soit 208 % de sa capacité. Une prison sur laquelle la contrôleuse générale des lieux de privation de libertés avait pourtant tiré le signal d’alarme en juillet.

Les prochains mois promettent d’être compliqués à gérer dans les prisons. Certes, l’année 2023 devrait bénéficier d’un premier lot important de mises en service d’établissements issus du « programme 15 000 ». Environ 2 500 places nettes devraient être livrées. Mais, pour la plus grosse partie, elles n’arriveront qu’au second semestre. D’ici là, surveillants et détenus vont devoir continuer à endurer ces conditions aux antipodes des principes réaffirmés par la loi.


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