lundi 31 octobre 2022

Anticipation Deuil et numérique : y aura-t-il une métavie après la mort ?

par Katia Dansoko Touré   publié le 31 octobre 2022

Nombre de start-up et de géants du secteur des nouvelles technologies, Meta et Alphabet en tête, surfent sur le fantasme de l’immortalité, en comptant sur les promesses du métavers et de l’intelligence artificielle.

Redonner vie aux morts. C’est l’une des promesses du métavers – ce monde virtuel dans lequel des avatars de personnes réelles interagissent socialement ou économiquement – que bon nombre considèrent comme le futur de la technologie numérique, Mark Zuckerberg, PDG de Meta, en tête. Mirage, construction marketing, bulle qui ne manquera pas de faire pschitt grincent d’aucuns. Toujours est-il que de nombreuses start-up s’échinent à donner vie au concept de l’immortalité numérique. Parmi elles, Somnium Space, à Londres, qui, au printemps dernier, a annoncé travailler sur une fonctionnalité baptisée Live Forever. Objectif proclamé : prolonger notre existence dans le métavers, voire pouvoir parler avec les morts – en zappant que l’on a affaire à une intelligence artificielle.

Il existe déjà les «deadbots» (interlocuteurs virtuels) qui, grâce à l’intelligence artificielle (IA), permettent de tchatter avec un disparu sur la base de données récoltées à partir de textos ou de publications postées sur les réseaux sociaux. Certains sont même capables d’imiter la voix du défunt. Mais Somnium Space promet quelque chose de bien plus sophistiqué. «La technologie de la réalité virtuelle peut recueillir la façon dont vos doigts, votre bouche, vos yeux et votre corps tout entier bougent, pour vous identifier rapidement et de façon beaucoup plus précise que les empreintes digitales», assure son PDG, Artur Sychov, dans un entretien accordé à Vice. Somnium Space collabore, pour ce projet, avec une autre société britannique qui développe de nouveaux prototypes de combinaisons pour capter les mouvements du corps dans le métavers.

Des hologrammes d’Elvis et de Tupac

Flippant ? Pas forcément pour tout le monde. «Nous sommes à un moment de l’histoire de l’humanité où l’on voit la mort comme un problème à résoudre. Des sociétés comme Calico, qui appartient à Alphabet, maison mère de Google, cherche à retarder les effets du vieillissement, expose Stéphanie Lehuger, chercheuse en philosophie à l’Université de Reims et spécialiste des nouvelles technologies. D’autres entreprises ou chercheurs s’emploient à “guérir” la mort. Et cet espoir démiurgique repose désormais sur la technologie. Au sein de la Silicon Valley, un courant estime qu’avant tout, l’homme est une machine dont les parties du corps peuvent être réparées. Certains vont jusqu’à dire que télécharger l’esprit dans une machine suffirait pour vivre et serait le futur de l’humanité. Nous vivons déjà les prémices du phénomène.»

Ces dernières années, on a par exemple vu défiler des hologrammes d’artistes morts et enterrés, d’Elvis Presley à Tupac, se produire sur scène, voire en interview dans des émissions télé – par exemple Hôtel du temps animée par Thierry Ardisson, avec feue Dalida. Le procédé peut s’appliquer à la sphère privée : en octobre 2020, le rappeur Kanye West offrait en cadeau d’anniversaire à sa compagne de l’époque, Kim Kardashian, un hologramme de son avocat de père, Robert Kardashian, décédé en 2003. En Asie, notamment en Corée du Sud et au Japon, le phénomène va grandissant. Séoul a d’ailleurs dévoilé cette année un «plan stratégique pour les nouvelles industries du métavers», pour faire du pays l’un des cinq premiers marchés métavers au monde et créer 220 entreprises dans ce secteur d’ici 2026.

Mais l’immortalité numérique que fait miroiter le métavers est-elle un projet réaliste ? Si l’on en croit Clément Merville, cofondateur de Manzalab, société qui organise des évènements ou réunions virtuelles pour entreprises et institutions, le train serait en marche. «Cela fait longtemps que les recherches autour de l’intelligence artificielle incluent la question de la mort. Rappelons aussi qu’il y a une vingtaine d’années, on parlait déjà de protométavers. Désormais, on cherche à recréer un sentiment de présence, d’incarnation dans un univers virtuel qui se voudrait quasi-réel», explique-t-il au cours d’un échange par avatars interposés dans Teemew, le métavers généré par sa société. Parmi les technologies existantes, il cite la reproduction de la voix, des «deepfakes» de plus en plus réalistes (techniques de synthèse permettant de modifier un visage ou reproduire une voix grâce à l’IA), etc. «Vous avez aussi des sociétés qui travaillent sur la recréation des odeurs», ajoute-t-il.

«Numériser notre cerveau»

Pour certains, les nouvelles technologies sont un moyen de désacraliser la mort. Tel Lilian Delaveau, fondateur de la start-up française Life ! (anciennement Requiem Code). Depuis mars 2021, sa société basée à Rennes est dédiée à la digitalisation des obsèques. Elle met les particuliers en relation avec plus de 250 entreprises de pompes funèbres inscrites sur sa plateforme. Dès son lancement, Life ! proposait notamment d’accéder à des souvenirs dématérialisés d’un défunt (photos, vidéos, etc.) grâce à un QR Code. «L’idée est de permettre aux gens de pouvoir organiser des funérailles de la même façon qu’ils réservent un rendez-vous chez le médecin ou une semaine de vacances sur le web. Cela dit, il faut savoir où placer exactement le numérique car, selon moi, accompagner une famille en deuil se fera toujours de façon humaine», dit l’entrepreneur qui estime que la mort est «un tabou, un domaine qui souffre d’un manque d’intérêt et qu’il convient d’améliorer grâce aux outils numériques». Il cite notamment la tendance des enterrements à distance, en visio, qui a explosé pendant la crise sanitaire, par la force des choses – rassemblements limités, frontières fermées. On objectera que l’expérience a souvent été d’une violence extrême pour les familles.

Avec d’autres start-up hexagonales du secteur, Lilian Delaveau a créé un consortium baptisé Death Tech : Repos Digital, Tranquillité.fr, Testamento, etc. A l’entendre, il nous faudra peut-être, dans un futur pas si lointain, se doter systématiquement d’un smartphone ou d’un ordinateur pour enterrer nos morts ou se recueillir sur leurs tombes… Clément Merville dit aussi : «Peut-être qu’un jour, on sera en mesure de numériser notre cerveau, de transformer le milliard de neurones qu’il comporte en masse de données afin qu’une fois décédé, notre esprit puisse être téléchargé dans une machine.» Mais le cofondateur de Manzalab avertit : «Refaire vivre un mort posera, sans aucun doute, une problématique psychologique. Comment ses proches feront-ils le travail du deuil et de l’acceptation ? Il faut être conscient des risques». Mais vivre est un risque en soi…


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire