jeudi 27 octobre 2022

Crises non épileptiques psychogènes : à Marseille, un service hospitalier «fait le pont entre le corps et l’esprit»

par Samantha Rouchard, correspondance à Marseille  publié le 25 octobre 2022 

A la Timone, un service se spécialise dans le traitement de cette maladie rare, dont les manifestations ressemblent à s’y méprendre à celles de l’épilepsie, sans toutefois en être.

«Mes crises ont commencé à 16-17 ans. La première, je ne m’en souviens pas. Les médecins m’ont expliqué qu’elles font partie des plus violentes du service, avec pertes de connaissance, convulsions, morsures de la langue… Je me suis retrouvée plusieurs fois dans le coma et en réanimation», explique Zoé (1), 22 ans. Les crises dont elle souffre plusieurs fois par jour ressemblent à s’y méprendre à des crises d’épilepsie, mais elles n’en sont pas. Zoé a connu trois ans d’errance médicale, soignée par des traitements lourds pour une maladie qu’elle n’a pas, avant d’atterrir au premier étage de l’hôpital de la Timone, à Marseille, dans le service d’épileptologie et de rythmologie cérébrale du professeur Fabrice Bartolomei.

Au fond d’un couloir, un panneau indique la salle d’électroencéphalographie (EEG), examen qui permet de mesurer l’activité électrique du cerveau grâce à des électrodes placées sur la tête du patient. Zoé n’en garde pas un bon souvenir – le stress et les stimuli lumineux lui avaient déclenché une crise. C’est pourtant cet examen, avec l’interrogatoire du neurologue, qui a permis de poser le diagnostic de sa maladie. Zoé souffre de crises non épileptiques psychogènes, ou Cnep. Cela touche environ 5 personnes sur 100 000 par an, à 80 % des femmes. Si ses manifestations ressemblent à l’épilepsie, sur l’EEG la Cnep se différencie car elle n’implique pas de perturbations de l’activité électrique.

«La parole ne peut pas se faire»

Que les femmes soient plus touchées par des troubles comme l’anxiété ou la dépression peut expliquer qu’elles soient plus enclines aux Cnep. «Derrière ces crises, on trouve une portion non négligeable de cas d’abus sexuels, de traumatismes physiques et de violences qui s’expriment par le corps car la parole ne peut pas se faire. Et les personnes victimes d’abus sont majoritairement des femmes, souligne la psychiatre Marie Arthuis. Le corps se lâche là où la personne ne s’autorise pas à le faire. Ce qui est probablement lié à la position des femmes dans la société.» Les Cnep se soignent principalement grâce à une psychothérapie.

Il y a trois ans, la spécialiste des Cnep – elle en a fait son sujet de thèse – a intégré cette unité de neurologie, rejointe depuis par deux psychologues. Ce service, centre ressource des épilepsies résistantes au traitement, voit 20 à 30 % de sa patientèle atteinte de Cnep. D’où le choix de créer un dispositif pluridisciplinaire pour prendre en charge le patient dans son entièreté, s’inspirant de ce qui se fait déjà au CHRU de Nancy. «En médecine, on distingue souvent corps et esprit et dans ce service, on fait le pont entre les deux», souligne la psychologue Marine Cossettini. Pour la neurologue du service, Agnès Trébuchon, la présence psy a permis de faire «progresser» les choses. A la Timone, les patientes Cnep viennent parfois de loin pour consulter après avoir été pas mal «ballottées». Car cette maladie reste très mal appréhendée par le corps médical. Aux urgences, il est fréquent que les patientes soient traitées d’hystériques. «Le mot hérité de l’histoire n’a pas du tout disparu», note la psychiatre.

«Ils pensent que j’ai une maladie imaginaire»

Zoé raconte des prises en charge par le Samu et les pompiers d’une violence inouïe. Tentatives d’étranglement, réveils à coups de gifles, moqueries, un corps meurtri de bleus au réveil. «Avec tous mes allers-retours en réa, j’ai eu longtemps l’impression que mon corps ne m’appartenait plus, comme une perte de dignité», souligne-t-elle. Les Cnep sont handicapantes. Il est compliqué de garder une activité. Elsa, 23 ans, est en arrêt maladie depuis un an et demi. Ses crises quotidiennes ne lui ont pas permis de maintenir son poste chez McDonald’s : «Je sais que mes collègues m’ont traitée de simulatrice. Ils pensent que j’ai une maladie imaginaire.» Mais elle n’aurait jamais pensé devoir affronter l’incrédulité du médecin de la Sécurité sociale : «J’avais les attestations médicales nécessaires, mon père a même dû lui montrer une vidéo d’une de mes crises. Il voulait que je reprenne le travail et n’arrêtait pas de dire : “Ça guérit quand ça ?”» Elsa a vécu ce moment comme une humiliation, sentiment qui vient souvent s’ajouter à l’impression d’être un fardeau pour ses proches.

Médecin et psychologues du service œuvrent pour faire évoluer les mentalités et transmettre ce qu’ils savent de cette maladie. Pour Marie Arthuis, les nombreuses femmes qui travaillent dans ce service ont peut-être aussi changé la donne : «On est loin de l’époque de Charcot où tous les médecins étaient des hommes, ce qui a joué sur la manière dont on a perçu ces symptômes jusqu’ici.» Précisant que ces dernières années, tout ce qui s’est joué autour de #MeToo a eu un impact jusque dans le service. Zoé a mis cinq ans à pouvoir verbaliser le traumatisme de ses 11 ans. «Parler, c’est un apprentissage», sourit celle dont les crises s’éloignent enfin. Elle n’en fait plus qu’une par mois.

(1) Le prénom a été changé.


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