jeudi 1 septembre 2022

Répression des Ouïgours : l’ONU dresse un réquisitoire accablant contre la politique de la Chine au Xinjiang


 






Publié le 1er août 2022

« L’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire » de membres de la minorité musulmane dans la région peut constituer « des crimes contre l’humanité », selon le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme publié le 31 août.

Des membres de la minorité musulmane ouïgoure montrent des photos de leurs proches détenus en Chine, lors d’une conférence de presse à Istanbul (Turquie), le 10 mai 2022.

A 23 h 47 le 31 août, treize minutes seulement avant la fin de son mandat, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a publié le rapport tant attendu de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les droits de l’homme dans la province chinoise du Xinjiang.

Détentions arbitraires, tortures, stérilisations forcées… Les 46 pages du rapport sonnent comme un véritable réquisitoire contre la politique menée par Pékin. Le verdict est sans appel : « L’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire d’Ouïgours et de membres d’autres groupes essentiellement musulmans (…) dans un contexte de restrictions et de privation des droits fondamentaux tant individuels que collectifs peut constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité. »

Pour arriver à cette conclusion accablante, l’ONU dit avoir été informée « fin 2017 » de « disparitions » au Xinjiang, et s’être mise au travail dès 2018. Le rapport est fondé sur les écrits et déclarations des autorités chinoises elles-mêmes, mais aussi sur le travail de chercheurs, sur des images satellites, des informations en libre accès ainsi que sur quarante entretiens approfondis, avec notamment vingt-six personnes ayant été internées ou ayant travaillé dans des camps du Xinjiang depuis 2016.

Témoignages jugés « crédibles »

L’ONU condamne à la fois les fondements juridiques de la politique menée par Pékin – « le système juridique antiterroriste chinois repose sur des concepts vagues et larges » – et sa mise en œuvre. La Chine a longtemps expliqué que les Ouïgours coupables de délits « mineurs » n’étaient pas envoyés en centres de détention mais dans des centres de formation professionnelle. L’ONU fait remarquer qu’aucun des témoignages qu’elle a recueillis n’indique que les « stagiaires » avaient le droit de sortir de ces centres, qu’aucun ne s’était vu proposer une offre alternative, que la plupart avaient auparavant été détenus par la police et qu’ils n’avaient jamais eu accès à un avocat.

Pire : les deux tiers des vingt-six personnes interviewées qui ont été détenues dans ces « centres de formation » ont « reporté avoir subi des traitements qui peuvent aller jusqu’à la torture ». Violences sexuelles notamment, à l’égard des femmes, administration forcée de produits médicamenteux suspects… Ce que les ONG dénoncent depuis des années est confirmé par les témoignages jugés « crédibles » par l’ONU.

Alors que la Chine s’est toujours refusée à indiquer le nombre de personnes qui, selon elle, ne faisaient que « passer » dans ces « centres de formation », l’ONU indique qu’« entre 2017 et 2019 au moins » ce nombre a été « très important ». Faute de chiffres officiels, l’Organisation souligne que des chercheurs estiment qu’entre 10 % et 20 % de la population adulte « ethnique » aurait, à un moment ou à un autre, été détenue dans ces camps. L’ONU dit ne pas avoir eu les moyens de vérifier s’ils avaient été effectivement fermés en 2019, comme la Chine l’affirme. Plus largement, le rapport dénonce également la détention d’artistes et d’intellectuels ouïgours, ainsi que celle de personnes en raison de leurs pratiques religieuses.

Outre l’internement d’innombrables Ouïgours et de membres d’autres communautés musulmanes, essentiellement kazakhs, le rapport décrit longuement d’« autres atteintes aux droits de l’homme », notamment les entraves à la liberté religieuse, à l’identité linguistique, à la liberté de circulation et aux droits reproductifs. Notant que le taux de naissances est passé de 15,88 pour 1 000 habitants en 2017 à 8,14 pour 1 000 en 2019, soit moins que la moyenne chinoise (10,48 pour 1 000), et que des femmes ouïgoures ont fait état de stérilisation forcée, l’ONU estime qu’« il y a des indications crédibles de violations de droits de reproduction (…) depuis 2017 ».

Sur les accusations de travail forcé, l’ONU reprend les critiques déjà exprimées par le Bureau international du travail et estime qu’« il y a un besoin urgent de clarification de la part du gouvernement ». L’instance dénonce également la séparation des familles et les menaces de Pékin contre les familles des victimes, y compris à l’étranger. Si l’ONU ne parle pas de « génocide », contrairement à certains Parlements nationaux, l’accusation portée contre la Chine de « crimes contre l’humanité » est extrêmement grave.

Pékin a d’ailleurs tout fait pour bloquer ce rapport. Juste avant sa publication, l’ambassadeur chinois auprès des Nations unies, Zhang Jun, avait déclaré aux journalistes : « Nous savons tous très bien que le prétendu problème du Xinjiang est un mensonge complètement fabriqué aux motivations politiques et qu’il a définitivement pour but de nuire à la stabilité de la Chine et de faire obstruction à son développement. » « Cela ne va rien donner de bon pour personne. Cela nuit simplement à la coopération entre les Nations unies et un Etat membre », a-t-il ajouté.

Le rôle essentiel de Xi Jinping

Des documents publiés fin 2021 avaient confirmé que le président Xi Jinping a joué un rôle essentiel, depuis 2014, dans la répression des musulmans de cette province à la frontière de l’Asie centrale. Il avait qualifié « l’extrémisme religieux »de « drogue psychédélique », et donné l’ordre d’« arrêter ceux qui doivent être arrêtés et de condamner ceux qui doivent être condamnés ». Le président chinois s’est à nouveau rendu au Xinjiang en juillet. Sa visite avait fait l’objet d’un compte rendu exceptionnellement long de l’agence Chine nouvelle. A aucun moment il n’a semblé prendre ses distances avec la politique menée, bien au contraire.

La publication du rapport à la toute fin du mandat de Michelle Bachelet a pris de court les diplomates new-yorkais en fin de journée. « Cela aurait fait scandale s’il n’avait pas été publié », confie un diplomate européen, satisfait du ton sévère du texte. Seule une minorité de diplomates conservaient une foi sans faille dans le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et en sa responsable.

A la suite de longues négociations avec Pékin, Mme Bachelet s’était rendue en Chine, et notamment au Xinjiang, en mai. Elle avait critiqué la politique de Pékin au Tibet et à Hongkong, mais s’était montrée extrêmement prudente sur le Xinjiang, ce qui lui avait été sévèrement reproché par plusieurs pays occidentaux et par les ONG. La haut- commissaire avait toujours laissé planer un doute sur la publication du document.

Sophie Richardson, responsable de la Chine à l’ONG Human Rights Watch, juge les conclusions « accablantes » et estime que « le Conseil des droits de l’homme des Nations unies devrait utiliser ce rapport pour lancer une enquête complète sur les crimes du gouvernement chinois contre l’humanité à l’encontre, entre autres, des Ouïgours ». Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, juge que « les dénis répétés de Pékin sur les droits de l’homme au Xinjiang sonnent encore plus creux ». Dilxat Raxit, membre du Congrès ouïgour mondial, basé à l’étranger, se félicite que le rapport confirme « les preuves solides d’atrocités » contre les Ouïgours, mais regrette qu’il n’ait pas qualifié « de génocide ces atrocités extrêmes », selon l’agence Reuters.

Un diplomate qui connaît bien la situation sur place déplore, lui, la publication tardive du document : « C’est bien, l’ONU met les choses à plat, c’est l’une des plus graves accusations que l’organisation aurait pu émettre, mais c’est un peu tard ! Pékin arrive à la fin de la phase de sinisation de la région. » « Ce n’est pas la version qu’on souhaitait, le rapport donne peu de voix aux victimes, mais les graines sont plantées pour que cela aille plus loin », juge un autre diplomate onusien, pour qui la prochaine étape devrait être la mise en place d’une commission d’enquête intergouvernementale sur le Xinjiang.


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