mardi 30 août 2022

Sí es sí L’Espagne consacre le consentement sexuel dans la loi

par François Musseau, correspondant à Madrid   publié le 28 août 2022

Les députés espagnols de gauche ont voté une loi qui place le consentement explicite au cœur des relations sexuelles, au terme d’un combat de plusieurs années et une sordide affaire de viol collectif. L’extrême droite dénonce le «grand festival des infamies féministes»

Toute relation sexuelle dans laquelle le consentement n’est pas explicite est un viol. C’est ce qu’établit désormais la législation espagnole, approuvée jeudi par 205 voix favorables contre 141 à la chambre basse, et qui entrera en vigueur dans les prochaines semaines. Désignée comme la loi du «Sí es sí» («oui, c’est oui»), arrivée au Parlement il y a environ un an, objet de moult polémiques, elle a été accueillie comme un triomphe du camp féministe, au même titre que la législation sur les violences conjugales. «C’est la victoire de tant de mobilisations, de luttes sociales, de toutes ces femmes qui ont défilé dans la rue et se sont battu pour que ce droit soit pleinement reconnu», s’est réjouie la socialiste Andrea Fernández.

Aux yeux d’Irene Montero, la ministre de l’Egalité et dirigeante de la gauche radicale de Unidas Podemos – parti au gouvernement en coalition avec les socialistes depuis 2020 –, c’est un changement de paradigme : «Cette loi met le consentement au cœur des relations sexuelles hommes-femmes. Elle établit sans ambages que seule la femme décide pour son corps et sa sexualité. Celle-ci n’a plus à démontrer si elle a résisté ou non, s’il y a eu violence ou non, si elle s’est sentie intimidée. Dans la mesure où elle n’a pas exprimé son plein accord, alors c’est une agression.»

Manifestations monstres dans tout le pays

Le code pénal prévoit des peines allant jusqu’à 15 ans de prison en cas de viol. La nouvelle loi établit des sanctions plus sévères encore si l’agresseur a eu recours à des substances chimiques versées dans le verre de sa proie afin que celle-ci soit pleinement à sa merci, n’offrant aucune résistance. La consécration du consentement explicite en matière de sexualité est directement liée à un fait divers qui avait choqué une bonne partie du pays. Il remonte à juillet 2016. Au cours des célèbres «Sanfermines», les fêtes de Pampelune, un groupe de cinq jeunes Sévillans avaient abusé d’une adolescente de 18 ans dans une cage d’escalier, par voie orale, vaginale et anale, comme l’a confirmé le procès. L’affaire avait eu un écho national immédiat. Rapidement, le groupe de violeurs avait été dénommé «la manada» («la meute»), devenant le symbole de la violence machiste, qui perçoit le corps de la femme seulement comme un objet de plaisir.

Mais ce viol devient un scandale national deux ans plus tardlorsqu’en avril, l’audience nationale de Navarre tranche pour un «abus sexuel» – punissable de 9 ans de prison pour chacun des auteurs et 50 000 euros d’amende. Des manifestations monstres défilent dans toute l’Espagne, emmenées par les organisations féministes, estimant que la peine est dérisoire en regard de la gravité des faits. Le débat porte essentiellement sur le consentement : étant donné que la victime, elle-même en état d’ébriété, a subi ces agressions sexuelles avec une certaine passivité, les yeux fermés, les juges ont considéré qu’il y avait «abus», et non «agression». Le code pénal d’alors établissait cette même distinction, que le gouvernement de gauche a éliminée depuis. Dans les rues, on entend alors ces slogans : «ma sœur, moi je te crois», ou «ce n’est pas un abus, c’est un viol», et surtout «seul un oui est un oui».

Pour Vox, «les féministes veulent détruire l’homme»

Interpellé, le tribunal suprême allait donner raison à la victime et à la déferlante féministe : la jeune fille qui a subi l’assaut de cinq hommes n’a pas à démontrer qu’elle s’est pleinement refusée à ces agresseurs ; ceux-ci ont tout bonnement profité de la situation pour disposer d’elle à leur guise, lui voler son téléphone portable et filmer la scène avant de la poster sur les réseaux sociaux. En juin 2019, les cinq furent finalement condamnés à 15 ans de prison. Grâce au scandale de la «meute», et à ses suites judiciaires, la «loi de garantie intégrale de liberté sexuelle» est donc en vigueur.

Elle reçoit aujourd’hui deux types de critiques. D’une part, celle du Conseil général du pouvoir judiciaire, pour qui cette loi est «néfaste» car «elle inverse la charge de la preuve et met en danger la présomption d’innocence». En d’autres termes, le témoignage de toute femme abusée aura dès lors une force prééminente. D’autre part, celle de l’extrême droite qui, avec les conservateurs du Parti populaire, s’est opposée à son approbation. «Cette loi s’inscrit dans le grand festival des infamies féministes, a enragé la députée de Vox Carla Toscano. Sous couvert de défendre la femme, elles veulent détruire l’homme.» L’autre grande nouveauté de la législation est la création de 50 centres de crise (un par région), ouverts 24 heures sur 24, dans lesquels toute femme abusée pourra se rendre, recevoir les conseils de psychologues et de médecins, et, en cas de procédure pénale, profiter des services d’un avocat.


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