vendredi 26 août 2022

Interview Bilan des urgences après l’été : «On a limité la casse mais on a toujours un énorme problème de lits»


 


par Nathalie Raulin   publié le 25 août 2022

Pour le professeur Louis Soulat, vice-président du Samu-Urgences de France, chef du service des urgences du CHU de Rennes et responsable du Samu 35, le filtrage des demandes de soins par le 15 a permis de maintenir l’hôpital à flot mais a mis sous pression les opérateurs de régulation.

Pas de drame, mais des inquiétudes persistantes. Grâce aux mesures prises début juillet suite à la mission flash pilotée par François Braun, président de Samu-Urgences de France avant son entrée au gouvernement – à commencer par le filtrage des demandes de soin via le 15 –, les urgences hospitalières ont «limité la casse» cet été, admet aujourd’hui le professeur Louis Soulat, vice-président du syndicat professionnel. Au prix d’un report de tension sur les centres de régulation du Samu qu’il invite à renforcer au plus vite. Surtout, selon le chef du service d’urgences du CHU de Rennes, la rentrée s’annonce à haut risque pour les services d’urgence hospitalière si le gouvernement ne reconduit pas le 15 septembre les dispositions prises pour passer l’été.

Après une enquête auprès de 330 services d’urgences hospitalières, Samu-Urgences de France dénonçait début août une situation «excessivement critique». Une appréciation trop pessimiste ?

On a effectivement évité la catastrophe. Les mesures prises pour réguler les passages, et notamment l’appel à la population de passer par le 15 avant de se rendre aux urgences, nous ont permis de passer le cap a priori sans drame. Si contrairement aux années précédentes, l’activité n’a pas baissé en août, du moins elle n’a augmenté que de façon modérée, de l’ordre de 3 % de passages en plus alors même que jusqu’à quatre services ont fermé simultanément au cours de l’été.

En revanche, l’activité des Samu a explosé, d’environ 30 % sur notre territoire de santé, qui englobe le CHU de Rennes, les hôpitaux de Vitré, Fougères, Redon, mais aussi Saint-Malo. En première analyse, c’est une bonne nouvelle. Cela veut dire que les campagnes d’information ont fonctionné, que les gens sont passés par le 15 plutôt que de se rendre directement aux urgences. Cela a permis d’orienter les demandes de soin vers des réponses appropriées, et donc de permettre aux urgences hospitalières et aux structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) de se concentrer sur les urgences vitales, leur cœur de métier. Le revers de la médaille, c’est que les centres de régulation du Samu ont croulé sous les appels, sans toujours avoir les moyens d’y répondre.

Pourtant, la mission flash sur les urgences pilotée par François Braun avant l’été avait recommandé de renforcer les moyens de ces centres…

Cela a été suivi d’effets. L’agence régionale de santé de Bretagne a libéré des moyens financiers pour permettre à la régulation du Samu 35 [d’Ille-et-Vilaine, ndlr] de faire face. En revanche les ressources humaines n’ont pas suivi. On a manqué d’agents de régulation médicale (ARM) formés. Sur ce point en particulier, le ministre doit prendre des mesures immédiates. Après la mission flash, on a été autorisés à faire appel aux étudiants de troisième année de médecine pour assurer la régulation. Mais identifier une détresse vitale au téléphone réclame un peu de formation et de bouteille. Il est clair que la qualité de réponse de notre régulation n’a pas toujours été optimale au cours de l’été.

Y a-t-il eu embouteillage téléphonique au 15 ?

Chez nous, c’est beaucoup dire. Mais le temps de réponse de la régulation s’est allongé. Depuis l’affaire Naomi Musenga, jeune femme décédée fin 2017 après avoir été éconduite par une opératrice de régulation à Strasbourg, le Samu a mis en place des indicateurs. L’objectif aujourd’hui, c’est que 90 % des appels doivent être décrochés dans les 30 secondes et les demandes orientées aussitôt soit vers les urgences hospitalières, soit vers la médecine de ville. C’est très ambitieux.

Même si on n’a pas connu de temps d’attente au téléphone aussi long que ce qui a été rapporté, notamment à Bordeaux, le temps de réponse de la régulation du Samu 35 s’est dégradé cet été, et ponctuellement de manière préoccupante. Cet été, 80 % à 90 % des appels ont été pris dans la minute. Mais la nuit a posé problème. Pour cause, on a huit à neuf ARM le jour en sus d’un médecin régulateur mais seulement cinq la nuit, alors que c’est entre 18 heures et minuit que l’activité est la plus forte pour la simple raison que les cabinets des médecins de ville ferment.

Pourquoi une telle différence de moyens entre le jour et la nuit ?

Cela tient au déploiement du Service d’accès aux soins (SAS). Lancé à titre expérimental dans 22 territoires dont le nôtre, le SAS permet à la régulation de proposer aux gens des rendez-vous non programmés en ville mais seulement jusqu’à 20 heures. Du coup, les moyens de régulation ont été concentrés sur le jour… Ici, nous souhaitons prolonger le SAS jusqu’à 23 heures. La médecine libérale s’organise en conséquence. Tout le monde se mobilise et même si cela prend du temps, je pense qu’on va y arriver.

Est-ce que la régulation Samu 35 a pu proposer à la population une alternative pertinente aux urgences ?

La régulation 35 a reçu cet été 1 300 à 1 400 appels en semaine et de l’ordre de 1 800 le week-end. La moitié de ces appels sont du ressort de régulation de médecine. Dans 15 à 20 % des cas, cette dernière a orienté les patients vers les urgences. Dans la moitié des cas, un simple conseil médical téléphonique a suffi. Aux autres, la régulation médicale a proposé un rendez-vous dans un cabinet de médecine de ville quand c’était possible. Dans 10 % à 15 % des cas, soit environ 80 appels par jour, elle n’y est pas arrivée, faute de disponibilité en ville.

Néanmoins les mesures prises après la mission flash étaient-elles indispensables ?

Oui, cela a permis de limiter la casse. Mais nous avons toujours un énorme problème de lits d’aval. Cet été, un quart des lits d’hospitalisation de notre groupement hospitalier territorial étaient fermés, les soignants n’étant pas assez nombreux pour s’en occuper. Du coup, les patients brancardisés en attente d’hospitalisation s’accumulent aux urgences. J’en avais encore 18 ce matin. La semaine prochaine, avec le retour des congés, les lits devraient rouvrir. Mais comme l’activité de soins programmés va reprendre, ce ne seront pas forcément des lits disponibles pour les urgences. De ce point de vue, rien n’est réglé.

Y a-t-il eu malgré tout du progrès dans la gestion des lits ?

Oui. Sur notre territoire de santé, on a commencé à recenser quotidiennement les lits d’hospitalisation disponibles dans le public et le privé. Néanmoins, le dispositif n’est pour l’heure ni exhaustif ni véritablement fiable. En nuit profonde (passé minuit), on n’arrive toujours pas à trouver des lits pour nos patients. On travaille à la mise en place d’une cellule de gestion des lits qui soit opérationnelle vingt-quatre heures sur vingt-quatre au niveau territorial, comme le préconisait la mission flash, mais on n’y est pas.

Les brancards aux urgences, ce n’est pas nouveau. Pourquoi êtes-vous plus inquiet que par le passé ?

C’est que les jeunes médecins supportent de moins en moins bien cette situation. On vient de mesurer à quel point. Depuis cinq ans, le diplôme d’études spécialisées de médecine d’urgence a été mis en place dans toutes les facs, comme à Rennes. La deuxième promo sort en novembre. On a sondé les internes pour savoir ce qu’ils comptaient faire après. L’année dernière, sur nos quatorze diplômés, on en a conservé la moitié dans les services d’urgences de notre territoire. Cette année, ce sera deux au maximum ! Les autres vont travailler à Mayotte, s’accorder une pause ou faire de l’intérim. Surtout, certains ont décidé de prendre un poste dans une spécialité moins pénible. Ce n’est pas qu’ils n’aiment pas le travail d’urgentiste mais ils ne supportent plus d’avoir à gérer des patients âgés et polypathologiques qui stagnent dans le service faute de lits dans les étages. Ce problème récurrent de l’aval nous bouffe complètement. Si on n’arrive pas à garantir une activité centrée sur notre cœur de métier, on ne gardera pas les jeunes urgentistes.

Les jeunes urgentistes sont-ils plus exigeants que leurs aînés ?

Clairement, il y a un changement sociétal. Les jeunes veulent avoir une certaine qualité de vie. Et les postes ne manquent pas… A minima, ils veulent que la pénibilité de leur travail soit reconnue. Pour permettre aux urgences de remplir leur tableau de garde cet été, la mission flash a obtenu que les gardes de nuit soient revalorisées jusqu’au 15 septembre. La mesure a été très importante.

Il faut la pérenniser pour les médecins comme pour les soignants. Même avec cela, on ne réussit pas toujours à combler les trous. Dans la nuit de samedi à dimanche, il nous a manqué un médecin de garde. Comme on a eu une série d’urgences liées à des événements festifs, ça a été l’enfer. Aujourd’hui de nouveau, le planning n’est pas complet. Ça effraie les jeunes car si on a une grosse activité et qu’il manque quelqu’un, c’est un cauchemar.

Qu’attendez-vous aujourd’hui de la conférence des parties prenantes sur la santé, promise par le Président et prévue pour la rentrée ?

Avant tout qu’elle permette de fluidifier la prise en charge des patients en attente d’hospitalisation. L’hôpital manque de lits. On paye le virage ambulatoire impulsé par la tarification à l’activité. Raccourcir la durée d’hospitalisation n’est pertinent que pour des maladies ciblées. On a complètement occulté qu’une population vieillissante et souvent polypathologique nécessitait une hospitalisation plus longue et plus compliquée. Il faut remettre tout cela à plat, redimensionner les services de médecine polyvalente, de gériatrie et de soins de suite… La conférence doit impérativement impulser cela. Mais le timing nous inquiète. L’exécutif a décidé d’inscrire la conférence santé dans le cadre du Conseil national de la refondation, qui s’ouvre le 8 septembre. On a peur que cela augure de grandes discussions qui durent des mois…


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