jeudi 14 juillet 2022

Le portrait Caroline Brémaud, ça urge




par Anaïs Moran  publié le 13 juillet 2022 

Extravertie et passionnée, la médecin en chef de l’hôpital de Laval dresse un état des lieux calamiteux des services d’urgences, à l’heure d’un été sous haute tension. 

Ce matin-là, devant des sénateurs éberlués, elle a rembobiné. On est le 16 décembre 2021, la commission d’enquête parlementaire dédiée à la situation «extrêmement critique» de l’hôpital auditionne cinq responsables de services d’urgences. Caroline Brémaud, 40 ans, médecin en chef au centre hospitalier de Laval, lit ses notes manuscrites, placide, studieuse, pour ne surtout rien négliger, rien occulter de l’asphyxie qui décime son établissement. «Au niveau des effectifs médicaux urgentistes, on est à cinq équivalents temps plein, pour une cible entre 16 à 18 pour fonctionner correctement. On a un temps additionnel qui est colossal, on est à 400-500 heures sup par an. A l’échelle de l’hôpital, on a perdu 60 lits en 18 mois. On est passés de 340 à 280», dresse-t-elle. Sa voix est d’une douceur monotone, mais les mots se mettent à cingler. «Concernant la prise en charge des patients, je crois que le mot “indigne” est le plus simple et le plus parlant pour tout le monde.» Elle dit qu’une dame de 95 ans est restée 36 heures dans le couloir des urgences. Qu’il manque des brancards et des couvertures pour les malades. Que des patients urinent derrière des petits paravents.

«Les élus de notre pays m’ont donné l’impression qu’ils découvraient la crise à l’hôpital. Comme s’ils sortaient d’une grotte, déroule-t-elle, en ce début d’été, dans un café de Laval. Maintenant, ils ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas !» Caroline Brémaud est ainsi, cash, timorée sur aucun sujet. Boucles dorées comme le reflet de sa solarité, regard feu follet, elle occupe tout l’espace, traversée de grands éclats de rire et développant de généreux commentaires. Avec toujours, cette volonté de porter invariablement la parole d’un système hospitalier au bord du précipice. Les médias et la classe politique ont découvert son visage à l’automne dernier, quand son service a fait le choix de la grève illimitée.

Sur les réseaux sociaux, la médecin s’était alors filmée sous forme de journal de bord pour témoigner des effets dévastateurs d’un hôpital public sous-doté, contraint de fermer ses urgences des nuits entières faute de personnel. «Ne rien dire, c’est consentir, exposait-elle dans l’une des vidéos. Et vous monsieur Véran, à votre niveau, ne rien faire, c’est de l’abandon de population, de la non-assistance à personne en danger. Ayez le courage de relever le défi de la santé.»«Des collègues parisiens se sont demandé qui était ce bout de femme flamboyante, extravertie, qui du fin fond de la Mayenne, était en train de tout remuer», dit en souriant Laurent Chabot, son mentor et prédécesseur au même poste.

Aujourd’hui, les urgences de Laval sont toujours en nage et redoutent ces deux mois estivaux. «On va repousser nos limites, écourter nos heures de sommeil. Mais il y a des risques que nos voitures finissent cabossées, c’est une réalité», dégaine-t-elle. Olivier Véran ayant été remplacé au ministère de la Santé, c’est désormais François Braun qu’il faut interpeller. Un confrère. Un passionné de la même spécialité, venu lui rendre visite à Laval mi-juin dans le cadre de sa mission flash instruite par le gouvernement. Premier avis à son égard ? «Très mitigé, assume-t-elle. François Braun est quelqu’un à l’écoute, attentif à l’avis des autres, même si dans le fond il sait déjà quelle direction il veut prendre. Ses idées sont bien fixes, comme celle de considérer qu’il y a assez d’urgentistes, et que le cœur du problème est organisationnel. Je ne suis pas d’accord. Beaucoup d’espoir repose sur ses épaules, son statut d’hospitalier lui confère un gros crédit de sympathie. Il ne faudrait pas qu’il en abuse, comme a pu le faire le ministre avant lui.»

Formée à la médecine générale en terre angevine, à proximité du cocon familial (sa mère était au foyer, son père commercial), Caroline Brémaud s’est éprise du monde sous amphétamines des urgences à la faveur d’un stage, en dernière année d’internat. Elle parle, comme d’autres mordus, de «grande révélation» qui a changé sa vie. L’idée de départ était pourtant de devenir médecin de campagne. D’assurer une présence en zone reculée, loin du monde hospitalo-universitaire. «Mes études m’avaient dégoûtée du fonctionnement des CHU. J’avais trop vu de seniors soigner leur carrière, plus préoccupés par la recherche que par leurs patients.»Gérer «l’intimité dans ce qu’elle a de plus fort», au sein d’un centre hospitalier public de taille modeste, sur un territoire classé 3e désert médical de France, s’est révélé être le meilleur des «aboutissements». Qui le lui a bien rendu : en 2019, un an après l’obtention de son diplôme, Carole Brémaud était propulsée cheffe de service. Une rareté, tant les hommes continuent d’occuper les cimes de la discipline.

«Je suis passée en stage dans quasi tous les étages de l’hôpital de Laval. J’ai des liens avec tout le monde. Je pense que pouvoir dialoguer et bosser avec l’ensemble des collègues est apparu comme une grande qualité pour obtenir le poste.» Carole Brémaud disposait aussi de toute la bienveillance nécessaire. Et de l’envergure des médecins chevronnés par un parcours de vie. «J’ai terminé mon internat à l’aube de ma quarantaine car j’ai fait plusieurs pauses personnelles. J’ai donné naissance à trois enfants, j’ai pris le temps. Certains n’ont pas compris, me demandaient quand est-ce que j’allais me mettre à travailler. Moi, je sais que cette volonté constante d’équilibre entre médecine et vie privée me permet d’être une cheffe de service stable, solide, analyse-t-elle. Et puis… je travaille avec des gens qui ont sauvé ici, dans cet hôpital, la vie de mon fils aîné, victime d’un traumatisme crânien quand il était tout bébé. Cela confère un sens des responsabilités.»

Pile électrique méga volt, l’urgentiste bosse désormais à temps partiel au sein de l’hôpital, afin d’assurer tous les «autres rôles de sa vie» : pompier bénévole, médecin à la protection civile, et mère (séparée) de quatre enfants âgés de 6 à 11 ans. «Je ne sais plus ce que c’est que dormir, la maison n’est pas rangée, je ne suis pas à l’heure pour le linge. Mais je fais les sorties scolaires et je m’éclate.» Cette fidèle électrice écolo espère que ses petits gars connaîtront un monde où «l’éducation, l’environnement et la santé» seront les «seules boussoles». Elle ne croit pas une seconde aux bonnes intentions de ce nouveau gouvernement. Seulement à la «pression que les citoyens vont être capables de mettre sur lui». Y compris pour défendre l’hôpital public : «Tant que la population ne se saisira pas du dossier, il n’y aura que des mesurettes pour calmer les soignants, et puis c’est tout !»

30 avril 1981 Naissance à Tours.

Juillet 2020 Cheffe de service des urgences de Laval.

Octobre 2021 Début de la mobilisation.

16 décembre Audition devant la commission d’enquête parlementaire.

15 juin 2022 Visite de François Braun dans le cadre de la mission flash.

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