lundi 20 juin 2022

Un visage humain à celui qui souffre

Nathalie Plaat 20 juin 2022


J’ai d’abord failli m’étouffer avec mon café, vous vous en doutez bien. La gorgée de ce lundi matin passait difficilement, quand j’ai lu l’article « Une séance unique avec un psy pour gérer un problème » dans mon Devoir.

C’est qu’il contenait beaucoup de ces mots contre lesquels je braque tout mon être, de mes neurones à mon coeur, en passant par ma langue, que j’essaie d’aiguiser pour dire quelque chose qui loge exactement au pôle opposé. On dit : « moins de temps, toujours moins de temps pour gérer un problème et donner des outils ». Je dis : « Du temps, il en faut, et beaucoup, pour entendre et non gérer, pour accueillir et non outiller, parce que non, nous ne “gérons” pas notre souffrance, nous traversons les choses qui, elles aussi, nous traversent ».

La plupart des réactions, notamment celle de la présidente de l’Ordre des psychologues, tendaient vers une série de mises en garde contre les raccourcis de ce genre dans notre réseau de soins de santé. En filigrane, toutefois, on entendait aussi ce qui fait partie intégrante du problème d’accessibilité aux soins de santé mentale : soit la protection de la profession elle-même et des chasses gardées qu’elle a réussi à établir au cours des vingt dernières années.

 Nous fêtons cette semaine les dix ans de l’application des dispositions législatives et réglementaires réservant la pratique de la psychothérapie et l’usage du titre de psychothérapeute. La fameuse loi 21, qui a modifié le visage des soins en santé mentale, hissait les psychologues et détenteurs de permis de pratique de la psychothérapie au rang des professionnels reconnus compétents dans la pratique de cet acte complexe. Elle visait à protéger le public contre les charlatans et autres prétendus thérapeutes, tout en bonifiant les mécanismes internes de l’Ordre qui assurent de bonnes pratiques auprès de ses membres.

Environ dix ans plus tôt, les exigences pour l’obtention du titre de psychologue étaient aussi passées graduellement de la maîtrise au doctorat, restreignant l’accession au métier à ce que nous pourrions qualifier une certaine élite universitaire.

Cela tombait sous le sens, embrassait la modernité et redonnait ses lettres de noblesse à un métier qui, il est vrai, comporte de grandes responsabilités.

Dix ans plus tard, nous sommes aussi en droit de nous demander si cette professionnalisation d’un ensemble de compétences relevant d’abord et avant tout d’un savoir-être et l’encadrement législatif parfois lourd, couplé au certain gonflement de « l’image prestigieuse » du psychologue dont elle s’accompagne, sont toujours au service du plus grand nombre.

J’avoue que quand on lit des « cris du coeur » de finissantes en psychologie pour ne pas travailler dans le public, nous pouvons nous demander ce qui est advenu du « coeur » de ce métier magnifique, qui repose essentiellement sur un souci de l’autre. Si les conditions offertes aux psychologues dans le réseau sont certainement à améliorer, il y a aussi lieu de s’inquiéter qu’une profession puisse se désengager à ce point de la chose publique, de la communauté qui inclurait les moins privilégiés.

J’avais déjà ces réflexions en tête alors qu’un autre café se préparait, avant ma rencontre avec Kathy Perreault, la psychologue à l’origine de l’implantation de ce projet-pilote au sein de son GMF. Elle a accepté d’échanger avec moi, insistant toutefois pour que ce soit par visioconférence. « J’aime quand même mieux quand on se voit le visage. » Déjà, le clin d’oeil à mon philosophe chouchou Levinas me plaisait.

J’ai rencontré une psychologue qui ne plaçait au premier plan ni son diplôme ni un discours de gestionnaire, mais bien un visage, justement, empathique, engagé auprès de « ce qui souffre », disposé à user de créativité pour offrir à celui qui appelle au GMF où elle travaille un accueil qui vise d’abord à dire : « Je vais être là pour vous, entièrement, pendant cette heure. Nous n’avons qu’une heure, oui, mais nous avons TOUTE une heure, aussi. »

C’est que Kathy et moi partageons quelque chose qui nous ramène automatiquement aux bases de notre métier : un vécu avec la maladie grave. Il faut parfois que les grandes pertes existentielles nous frôlent de très près pour saisir qu’il n’y a pas de diplômes garantissant la vraie empathie, qu’il y a de ces caissières de cafétéria d’hôpital, de ces préposés aux bénéficiaires qui savent nous sauver d’un regard sincère ou d’une parole issue d’une humanité partagée. Nous savons que ce qui nous garde du côté du vivant est souvent fait d’une matière de plus en plus rarissime : une présence simple et authentique qui ne fuit pas devant nos ruines.

Ce que Kathy souhaite offrir, c’est ce visage, pendant une heure, rapidement, qui dit seulement : « Je suis là, qu’est-ce qui vous arrive ? »

Prétend-elle que cela remplace la psychothérapie ? Jamais ! « La séance unique ne remplace rien ! Elle existe pour ce qu’elle est : une personne qui vous reçoit rapidement, au lieu d’une inscription sur une liste d’attente, simplement. » « Il n’y a pas de séance ratée si on a écouté quelqu’un pendant une heure », ajoute-t-elle.

« Est-ce que ça doit absolument être un psychologue qui offre ceci ? »

« Bien sûr que non ! En même temps, le public est maintenant convaincu qu’il a besoin de voir un psychologue. »

Elle dit : « en attendant, pour les 19 000 personnes inscrites sur les listes, il me semble qu’il y a mieux que de les laisser sans aucun service ». Et j’ose penser avec elle : et si ce n’était pas « en attendant », mais bien « en revenant » à ce qu’étaient les CLSC au départ, avec leur accueil à échelle humaine ? Et si c’était un retour à l’essentiel, à quelque chose qu’on aurait perdu de vue, aussi, et auquel il serait bien intéressant de revenir ?

Kathy Perreault, comme tant de psychologues du réseau, aurait pu partir pour établir une pratique privée. À la place, elle offre un visage humain à celui qui souffre, une heure à la fois.

 

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