vendredi 24 juin 2022

Comment les hôpitaux se préparent à passer l’été

Par  et    Publié le 22 juin 2022 

Les postes d’aides-soignants et d’infirmiers ne trouvent pas preneurs, alors que les besoins augmentent avec les congés. Selon une étude de la Fédération hospitalière de France, 99 % des hôpitaux se disent en difficulté. Chaque établissement cherche des solutions.

Le panneau d'informations à destination des soignants dans la salle du personnel de l’unité Lambling dans le  service hépato-digestif au CHU de Rennes, le 15 juin 2022.

Comment conserver la sécurité des soins quand les effectifs se réduisent ? C’est ainsi que pourrait se résumer le dilemme du secteur hospitalier à l’approche de l’été, alors que la plupart des directions s’engagent à ne pas toucher aux congés de leurs soignants, épuisés par deux années de crise sanitaire.

S’il est habituel de fermer des lits tous les ans pour s’adapter à ces équipes réduites, l’été 2022 s’annonce particulièrement difficile. Depuis le printemps, des difficultés de recrutement compliquent les plannings estivaux dans les établissements et obligent les équipes à chercher de nouvelles solutions.

Selon une enquête menée en avril et mai par la Fédération hospitalière de France (FHF) auprès de plus de 400 établissements et dont les données sont publiées en exclusivité, mercredi 22 juin, dans Le Monde, la quasi-totalité (99 %) des établissements connaissent des difficultés de recrutement, de manière permanente ou ponctuelle. Et ce, malgré une augmentation moyenne des effectifs de 3 % entre 2019 et 2021, ainsi qu’une hausse de la masse salariale de 16 %. « Cette situation n’a pas permis de réduire la proportion de postes vacants dans les professions d’aides-soignants et en infirmiers », écrivent les auteurs. En cause ? Une demande de soins en constante augmentation, notamment en raison des soins déprogrammés pendant la crise sanitaire.

Au niveau national, 74 % des centres hospitaliers (CH) et 55 % des centres hospitaliers universitaires (CHU) – de plus grandes structures – ont des problèmes de recrutement d’infirmiers, les difficultés se concentrant sur les postes de nuit.

Dans les CHU, les postes les plus en souffrance se situent dans les blocs opératoires et en chirurgie ; en services de médecine pour les centres hospitaliers. Mais c’est la gériatrie qui est au centre des préoccupations, pour 90 % des CHU et 84 % des CH. Selon la FHF, la réintégration des soignants suspendus pour non-vaccination ne résoudrait pas pour autant cette crise, puisqu’ils ne représentent plus que 0,3 % des agents des établissements.

« Resserrer nos liens »

« C’est comme la sécheresse, c’est tari », avance Gildas Le Borgne, directeur de cabinet à la direction générale du CHU de Rennes, pour évoquer l’assèchement du marché de l’emploi en Ille-et-Vilaine. Une « situation inédite », selon les mots de l’agence régionale de santé (ARS) Bretagne, qui oblige le système hospitalier à l’introspection.

« Après la crise exceptionnelle du Covid-19, on espérait reprendre nos marques, mais là ce sont nos propres forces vives qui font défaut », regrette M. Le Borgne. Moins de personnes se sont présentées aux entretiens d’embauche, posant plus de conditions, notamment sur les horaires de nuit ou les postes en gériatrie. Y compris parmi les étudiants diplômés cette année. « On a l’impression que ceux qui s’interrogeaient sur leur métier ont vu que leur environnement de travail ne s’améliorait pas », analyse M. Le Borgne.

Résultat, sur le territoire de Rennes, établissements publics et privés confondus, la fermeture des lits de médecine va augmenter de 50 % par rapport à 2021, et de 30 % pour les soins de suite et de réadaptation. Outre les tensions aux urgences liées à la fermeture de celles, voisines, du centre hospitalier privé Saint-Grégoire, pour la première fois une unité de soins entière (seize lits) va fermer au CHU. L’été va exiger un pilotage fin, au jour le jour, avec la coopération des structures publiques et privées. « La crise nous oblige à resserrer nos liens, nous trouverons notre salut par la coopération », souligne M. Le Borgne.

Plus au sud, au CHU de Toulouse, le constat se fait moins sombre, malgré un conflit social aux urgences. La direction se réjouit de fermer une centaine de lits de moins qu’en 2019, malgré un pic à 385 lits sur 2 170 fermés début août, soit 18 % des places. Après un début d’année très compliqué avec la vague Omicron, l’absentéisme concerne désormais 11 % des effectifs et se rapproche du niveau de 2019.

Comment expliquer un tel optimisme ? Dès juillet 2021, le CHU a mis en place une politique de fidélisation et d’attractivité pour le personnel paramédical, en proposant, par exemple, un accès direct au CDI sur certains postes, la réduction du temps de « stagiairisation » ou des opérations de « job dating » toute l’année afin de pouvoir capter des personnes dans toute la France. « Notre fragilité de tous les jours, ce sont les RH, que les soignants soient là, qu’ils aient envie de revenir, explique Christophe Mazin, secrétaire général du CHU. L’enjeu principal dans ce casse-tête est de redistribuer les forces en fonction des compétences des soignants pour assurer la sécurité des soins. »

« Un effet domino »

Malgré un malaise global du système hospitalier, les situations diffèrent selon les territoires et les structures. « Il y a des difficultés dans tous les établissements mais les petites structures sont plus impactées, notamment avec des postes de médecins vacants aux urgences », avance Rémi Salomon, à la tête de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU, ajoutant : « Les fermetures se font avec un effet domino ; les CHU en difficultés le sont en partie à cause des structures intermédiaires qui ferment. »

C’est notamment le cas au CH d’Ardèche méridionale, à Aubenas. En prévision du flot de touristes qui s’empressera de se jeter dans la fraîcheur des gorges de l’Ardèche cet été, le CH prévoyait de monter une seconde équipe de structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) mais elle ne devrait pas voir le jour « faute de médecins », regrette le directeur Gilles Dufour. Avant l’été, ce petit établissement a déjà dû fermer douze lits en gastro-entérologie, puis douze en cardiologie et six en courts séjours gériatriques. « Nos médecins quittent l’hôpital pour exercer dans le privé et nous ne parvenons pas à recruter par manque de marge de négociation salariale. C’est un facteur du manque d’attractivité de l’hôpital », constate, amer, le patron de l’établissement.

Le CH de Tourcoing (Nord) a déjà dû réduire ses capacités d’accueil d’environ 9 %, sur un total de 400 lits d’hospitalisation. Avec un taux d’absentéisme important de 14 % des personnels, les cadres de santé doivent chaque jour redéployer les équipes en fonction des forces restantes et des impératifs des services. Après deux années passées à lutter contre la pandémie, « le personnel est dans un état d’épuisement psychologique », diagnostique Isabelle Vérin, présidente de la commission médicale d’établissement.

Les hôpitaux de villes moyennes et des métropoles n’échappent pas à ce phénomène de baisse de capacité de soins. Au CH du Mans, on anticipe un taux de fermeture des lits de 10 % à 15 %. Aux Hospices civils de Lyon, un géant de plus de 5 000 lits, environ 15 % des postes consacrés aux urgences sont déjà vacants.

Optimiser

Alors comment l’hôpital peut-il passer l’été sans risquer une embolie à l’entrée des urgences ? C’est le casse-tête sur lequel phosphorent toutes les directions. A défaut d’avoir du personnel soignant en quantité, il reste à optimiser le parcours des patients.

La première chose est de s’assurer que les services d’urgences se concentrent sur leur mission originelle. A Lyon, leurs portes ne sont plus grandes ouvertes : un service d’accès aux soins a été créé en amont, avec la médecine de ville, pour qu’elle prenne en charge les patients qui n’y ont pas leur place. Idem à Rodez, où une maison médicale fait office de premier front, avec des médecins généralistes qui pilotent la prise en charge et redirigent les patients vers le service compétent.

Autre possibilité, la téléconsultation qui, depuis novembre 2021, est testée au Mans, sur un territoire qui figure parmi les déserts médicaux les plus arides – avec 235 médecins pour 100 000 habitants, selon l’Insee. Une permanence téléphonique est tenue par des généralistes, en collaboration avec le SAMU. Ils participent à la régulation du flux de patients et souvent la décision est prise de les renvoyer vers la médecine de ville ou vers une pharmacie avec, en poche, une prescription médicale faite à distance.

L’entrée aux urgences soulagée, il reste à optimiser les flux internes de l’hôpital. Lyon a inventé un « hub » afin de piloter les ouvertures et les fermetures de lits. « Sous le contrôle de l’ARS, ce département aura une visibilité sur l’ensemble des capacités du centre universitaire hospitalier, des hôpitaux publics et des établissements privés », expose le professeur Vincent Piriou, président de la commission médicale d’établissement des Hospices civils de Lyon. En clair, ce nouvel organisme prend la main sur la circulation des patients sur son territoire et empêche de garder en réserve des lits ouverts, même si l’hôpital voisin est dans le rouge.

Dans la Sarthe, une équipe de « bed managers [gestionnaires de lits] » supervise la disponibilité des lits sur le territoire. Un système de transfert est centralisé pour éviter « le gâchis de lits », explique Guillaume Laurent, directeur du CH du Mans. Seul bémol : les établissements privés n’ont pas encore intégré ce réseau.

« Cela ne règle pas le problème structurel »

Toujours pour permettre à l’hôpital public de passer l’été sans naufrage, la ministre de la santé, Brigitte Bourguignon, désormais sur le départ après son échec aux législatives, a annoncé, le 8 juin, des mesures d’urgence, comme le doublement de la rémunération des heures supplémentaires du personnel non médical et du temps de travail additionnel des médecins. Elle a aussi promis la facilitation du retour de retraités et l’arrivée anticipée des infirmiers et aides-soignants fraîchement sortis de l’école, avant l’obtention de leur diplôme.

L’arrivée dès juillet des jeunes soignants est accueillie avec soulagement. « C’est un coup de pouce, accorde Guillaume Laurent, mais cela ne règle pas le problème structurel de l’hôpital. » L’appât d’une augmentation des heures supplémentaires ne prend pas auprès des personnels médicaux et paramédicaux. « Ils font des heures supplémentaires depuis des mois, on ne peut se permettre des mesures contre-productives qui conduiront le personnel à se mettre en arrêt maladie », poursuit Isabelle Vérin.

En attendant les conclusions de la « mission flash » confiée par Emmanuel Macron à François Braun, président de SAMU-Urgences de France, sur le terrain hospitalier, on espère que la médecine de ville soit davantage mise à contribution dans le maillage du territoire. « La progression des déserts médicaux entraîne un report des soins vers l’hôpital et sa congestion. Il faut remettre en place une organisation entre ces deux acteurs de la santé », estime Vincent Piriou. Un débat récurrent, qui sera sûrement abordé lors de la « conférence des parties prenantes » promise par Emmanuel Macron en mars.


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