dimanche 26 juin 2022

Chronique «Aux petits soins» Les troubles autistiques en panne de traitement

par Eric Favereau   publié le 21 juin 2022 

L’Inserm a rendu public, la semaine dernière, un travail d’expertise sur la prise en charge des «troubles du spectre de l’autisme». Un tour d’horizon un rien désespérant, avec une recherche thérapeutique encore très lente et une prise en charge complexe.

L’autisme reste un continent toujours aussi mystérieux, lourd de douleurs et de souffrances. Sur ce dossier longtemps polémique – avec une guerre éternelle entre ceux qui y voyaient une forte composante psy et les autres qui ne décelaient qu’un dérèglement neurologique –, les avancées scientifiques et cliniques sont en effet limitées, comme le montre une expertise de l’Inserm, rendue publique la semaine dernière.

D’abord donc, exit le diagnostic d’autisme, on parle désormais de troubles du spectre de l’autisme (TSA), tous provenant d’imperfections dans le neuro-développement. «Ces troubles apparaissent au cours de la petite enfance ; ils persistent à l’âge adulte. Environ 700 000 personnes en France seraient concernées, note l’Inserm. Ils se caractérisent par des altérations des interactions sociales, des problèmes de communication (langage et communication non verbale), des troubles du comportement, un répertoire d’intérêts et d’activités restreint et répétitif (tendance à répéter les mêmes gestes, paroles ou comportements) et enfin des réactions sensorielles inhabituelles.»

On le voit, c’est un fourre-tout compliqué, aux signes variés. Et ainsi sont mis dans le même ensemble des personnes atteintes du syndrome d’Asperger – une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage – avec des enfants catatoniques, silencieux, s’automutilant profondément. «Les TSA peuvent également être associés à des comorbidités : troubles anxieux, problèmes de sommeil, déficits de la fonction motrice, épilepsie…» complique encore un peu l’Inserm.

Des causes en pagaille

Face à ce trouble confus, une partie des chercheurs ont beaucoup espéré des neurosciences et de la génétique. Les résultats, aujourd’hui, sont parcellaires, comme le concède l’Inserm. «Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA, mais leurs causes demeurent encore assez mal comprises.» Ou encore : «L’autisme et les autres TSA sont liés à des anomalies très précoces – d’origine anténatale – du neurodéveloppement. L’imagerie médicale a mis en évidence des défauts de mise en place et d’organisation de certains réseaux cérébraux spécialisés, dédiés à la communication sociale et à la modulation du comportement en fonction de l’environnement et de ses changements. La biologie moléculaire a pour sa part identifié plusieurs centaines de gènes dont l’altération semble conduire à une plus grande susceptibilité à l’autisme.» Puis : «Il est désormais bien établi qu’il s’agit de maladies d’origine multifactorielle, avec cependant une forte composante génétique. Etre un garçon et présenter des antécédents familiaux sont deux facteurs de risque reconnus. Cela n’exclut pas l’intervention de facteurs environnementaux durant la grossesse, mais leur nature exacte n’est pas connue. La naissance prématurée constitue un autre facteur de risque. Par ailleurs, certains médicaments antiépileptiques administrés à la mère durant la grossesse, comme la Dépakine, sont actuellement sur la sellette.» En tout cas, pour l’Inserm, pas un mot sur les causes relationnelles des TSA.

Des essais cliniques abandonnés

Dans ce contexte, quid de la recherche thérapeutique ? Elle avance très lentement, en dépit d’annonces tonitruantes faites régulièrement. Ainsi, plusieurs essais cliniques ont été récemment abandonnés, «en raison de résultats jugés peu concluants, alors que les molécules étudiées avaient au départ généré beaucoup d’espoirs», note l’Inserm dans son expertise. Exemples : une molécule appelée balovaptan devait améliorer les capacités de socialisation et de communication d’adultes atteints de TSA, mais voilà : «Les résultats, publiés dans The Lancet Psychiatry, montrent que le traitement n’a pas eu d’effet probant sur ces deux aspects.»

Même échec dans un essai sur des enfants et adolescents qui avaient reçu de l’ocytocine par voie intranasale. «Dans l’étude publiée dans le New England Journal of Medicine, les résultats suggèrent que ce traitement n’a pas d’impact significatif sur les interactions sociales et le fonctionnement cognitif dans le groupe traité, par rapport au groupe contrôle qui recevait un placebo.» Enfin, «un troisième essai clinique portant sur une molécule appelée bumétanide n’a pas permis de mettre en évidence d’amélioration du comportement social». Aujourd’hui, une des rares pistes qui demeurent tourne autour des médicaments anti-épileptiques.

Dépister le plus tôt possible

Il y a aujourd’hui, comme un consensus sur un dépistage précoce. Même si certains s’inquiètent des effets délétères de la pose d’un diagnostic aussi lourd chez le tout jeune enfant. Pour l’Inserm, en tout cas, pas de doute, il faut dépister le plus tôt possible : «La priorité est de continuer à raccourcir les délais entre l’apparition des premiers signes évocateurs d’une trajectoire atypique et la mise en place d’interventions ciblées.» Ajoutant : «On sait désormais que plus ces signes sont identifiés tôt, dès les premières années de la vie, mieux on est capable d’accompagner et de prendre en charge les enfants et leurs familles. Identifier ces enfants de manière ultra-précoce, en s’intéressant par exemple à leur motricité dès le plus jeune âge ou à leur histoire pré et périnatale, est à l’heure actuelle un axe de recherche intéressant. Par ailleurs, continuer à proposer des prises en charge individualisées, reposant sur des équipes multidisciplinaires et sur des interventions dites comportementales et développementales, a également un intérêt majeur pour accompagner de manière bénéfique le développement des enfants.» A noter l’oubli complet de toute référence à l’aide psycho-thérapeutique dans la prise en charge.

Et puis, à l’autre bout de la chaîne, il y a les vieux autistes. Ils sont les grands oubliés. Enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, souvent sans moyens. Ou isolés dans des structures sociales. Ils sont plusieurs dizaines de milliers. «Il existe aujourd’hui une absence de continuum de prise en charge tout au long de la vie», constate diplomatiquement l’Inserm, qui ajoute : «Depuis plusieurs années, de nombreux programmes de recherche se mettent en place un peu partout dans le monde pour comprendre comment les personnes autistes vieillissent, si elles sont plus à risque de troubles neurodégénératifs et quelles interventions contribuent à augmenter leur qualité de vie et à lutter contre leur isolement social. On peut également citer l’importance des programmes de réhabilitation psychosociale dédiés aux adultes avec TSA et qui visent notamment à travailler leurs compétences cognitives et à accompagner leur insertion professionnelle et sociale.» Certes, mais là aussi il y a de très fortes inégalités territoriales. En d’autres termes, l’autisme a beau avoir été déclaré grande cause nationale en 2012, il reste encore bien des pas à franchir pour que la situation soit un peu moins désespérante.


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