mardi 31 mai 2022

MacKenzie Scott, une vision désintéressée de la philanthropie

Par   Publié le 30 mai 2022

Depuis son divorce en 2019, l’ex-femme de Jeff Bezos, le richissime patron d’Amazon, a distribué 12 milliards de dollars à plus de mille associations. Sans exiger des récipiendaires qu’ils s’engagent sur l’utilisation des fonds.

MacKenzie Scott, l’ex-femme de Jeff Bezos, le richissime patron d’Amazon, à Beverly Hills, en Californie le 4 mars 2018.

LETTRE DE NEW YORK

Chez les milliardaires américains, il y a ceux qui cherchent à s’appauvrir volontairement, et ceux qui subissent la dégelée boursière en attendant que passe l’orage. Dans la première catégorie, on trouve MacKenzie Scott, qui a donné en l’espace de trois ans quelque 12 milliards de dollars à plus de mille associations philanthropiques, selon un décompte du Wall Street Journal. L’une des dernières donations en date, un don de 122 millions de dollars aux Big Brothers Big Sisters of America (les grands frères et les grandes sœurs de l’Amérique), une association d’aide à l’éducation et à l’enfance. Scott ? Le nom n’est peut-être pas connu, celui de Bezos l’est sans doute plus. MacKenzie Scott est l’ex-femme de Jeff Bezos, dont elle a divorcé en 2019 après un quart de siècle de mariage. Lors de leur séparation, elle a récupéré 4 % des actions Amazon, soit une fortune colossale estimée à 35 milliards de dollars.

Si MacKenzie Scott donne, c’est pour vraiment donner. « J’ai une somme d’argent disproportionnée à partager. Mon approche de la philanthropie continuera d’être réfléchie. Cela prendra du temps, des efforts et des soins. Mais je n’attendrai pas. Et je continuerai jusqu’à ce que le coffre-fort soit vide », avait-elle déclaré, en signant l’engagement des milliardaires à donner la moitié de leur fortune, système lancé en 2010 par Bill Gates et Warren Buffett.

MacKenzie Scott, 52 ans, n’a pas de fondation avec les avantages fiscaux et les obligations de transparence afférents. Avec son nouveau mari, Dan Jewett, un professeur de chimie de Seattle dans un lycée où étaient scolarisés ses enfants, elle fuit les projecteurs. Une rupture avec les milliardaires américains, qui se rebaptisent philanthropes une fois fortune faite, et qui affichent leur nom sur tous les frontispices. « Mettre les grands donateurs au centre des histoires sur le progrès social est une distorsion de leur rôle », écrivait Mme Scott en 2021.

Elle donne sans exiger des récipiendaires qu’ils répondent à mille questions et signent des engagements stricts sur l’utilisation des dons, une rupture avec la philanthropie pratiquée par la Fondation Bill et Melinda Gates, qui emploie 1 700 salariés pour dépenser 6 milliards de dollars par an. « Parce que nous croyons que les équipes expérimentées en première ligne sauront mieux utiliser l’argent, nous les avons encouragées à le dépenser comme bon leur semble. Beaucoup ont rapporté que cette confiance augmentait considérablement l’impact du don », a commenté Mme Scott.

« Toute richesse est le produit d’un effort collectif… »

Elle donne beaucoup, à de petites associations, et cible des domaines comme l’enfance, l’éducation, la lutte contre les discriminations. « Toute richesse est le produit d’un effort collectif… Les personnes qui luttent contre les inégalités méritent d’être au centre des histoires sur le changement qu’elles créent. » Parfois, MacKenzie Scott fait cause commune avec une autre ex-femme de milliardaire, Melinda French Gates, l’ancienne épouse de Bill Gates, le fondateur de Microsoft. Ensemble, en juillet 2021, elles ont donné 40 millions à quatre associations agissant en faveur de l’égalité des sexes.

Cette frénésie de dons est aussi le fruit de son expérience personnelle. Enfant privilégiée, MacKenzie Scott avait dû quitter son pensionnat, dans le Connecticut, après la faillite de la firme d’investissement de son père à la fin des années 1980. A l’université, un prêt d’un ami l’avait aidée à ne pas décrocher et elle avait étudié la littérature à Princeton en ayant pour professeur la romancière afro-américaine Toni Morrison, Prix Nobel de littérature en 1993, dont elle fut assistante de recherche.

Devenue romancière, elle s’est mariée avec Jeff Bezos et avait raconté lors d’une émission de télévision, il y a une dizaine d’années, un conte chinois intitulé « Le cheval perdu » (Lost Horse) sur les revers de fortune : c’est le destin d’un fermier dont le cheval s’enfuit (malchance), revient avec un autre cheval (chance) ; son fils le monte et se casse la jambe (malchance) mais échappe le lendemain à la conscription forcée pour partir à la guerre. « On ne sait jamais où ça va finir. Chance, malchance, ce n’est pas comme ça qu’il faut vraiment voir les choses », avait expliqué MacKenzie Bezos, estimant que les difficultés que nous vivons « nous mènent là où nous devons aller ». MacKenzie Scott a baptisé sa société patrimoniale « Lost Horse ».

On ne sait pas où va la fortune de son ancien mari Jeff Bezos, mais celle-ci a fondu de 61 milliards de dollars cette année pour tomber à 131 milliards, selon les calculs du Wall Street Journal. Une chute qui s’explique avant tout par le dévissage de l’action Amazon : le géant du commerce en ligne sort difficilement de la période du Covid-19 et a vu le cours de son action baisser de près de 40 % depuis le début de l’année. M. Bezos a promis de consacrer 10 milliards de dollars pour lutter contre le changement climatique. Forbes a calculé en janvier qu’il avait versé 2,1 milliards de dollars en dons de bienfaisance jusqu’à présent.


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