jeudi 5 mai 2022

Le boom de la médecine esthétique et ses risques chez les 18-35 ans

Par   Publié le 03 mai 2022 

Lèvres, fesses, seins, paupières… Les jeunes sont de plus en plus séduits par des injections ou des interventions esthétiques, en plein essor en France. Parfois proposées par de faux professionnels, celles-ci peuvent s’avérer très risquées.

Robes longues à paillettes aux fentes vertigineuses, décolletés plongeants… Les rideaux pourpres de La Cigale s’ouvrent sur trente femmes. En cette fin février, la salle de spectacle parisienne accueille la finale de Miss Esthétique. Les aspirantes peuvent être rondes, mariées, tatouées, et avoir eu recours à la chirurgie esthétique. A l’image de Milla Jasmine, l’actrice de télé-réalité qui préside la cérémonie en tenue argentée, et dont les passages sous le bistouri ont été suivis par des milliers de jeunes sur Instagram (3,3 millions d’abonnés).

« Il faut ouvrir la porte à toutes les silhouettes. Ce n’est pas parce qu’on a fait de la chirurgie esthétique qu’on n’a pas de valeurs », clame sur scène Chloé Raymond, candidate numéro 27. En coulisses, elle nous raconte sa première opération, à l’âge de 30 ans, une augmentation mammaire. « On me juge rapidement sur mon physique de bimbo, mais j’ai un bac + 5. Ce concours, c’est un bon moyen pour stopper les préjugés », estime cette responsable administrative dans un bureau d’architecture, sélectionnée parmi les trois finalistes. La gagnante du concours devait remporter, entre autres, 15 000 euros de soins en chirurgie esthétique. Mais, outré, le Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE) a saisi la justice et obtenu le retrait du lot. « Les jeunes qui ont eu recours à la chirurgie esthétique ne sont pas des parias. En revanche, offrir des milliers d’euros aux candidates pour aller se faire opérer, c’est choquant. C’est une incitation à la consommation. La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ! », s’indigne Adel Louafi, président du SNCPRE.

Nouvelles technologies

Orchestré par une société spécialisée dans les interventions esthétiques à l’étranger, le concours Miss Esthétique témoigne du rapport plus décomplexé des jeunes à la médecine esthétique… et à ses dérives. Depuis 2019, les 18-34 ans ont désormais davantage recours à la chirurgie que la tranche des 50-60 ans, selon une étude de l’International Master Course on Aging Skin, un congrès européen réunissant les professionnels du secteur. Leader de la médecine esthétique en France, le groupe Clinique des Champs-Elysées multiplie les ouvertures – dix cliniques supplémentaires verront le jour d’ici au mois d’octobre – et accueille une patientèle de plus en plus jeune. « Il y a douze ans, à peine 5 % de nos patients avaient moins de 35 ans, contre plus de 50 % d’entre eux aujourd’hui », résume Tracy Cohen Sayag, directrice du groupe.

Cette déferlante jeune s’explique en partie par les transformations que connaît ce secteur. Laser, injections, peelings, radiofréquence ont révolutionné le marché, souligne la directrice : « La chirurgie reste une opération lourde, il faut aller au bloc opératoire. La médecine esthétique, elle, n’est pas invasive et a énormément progressé. On peut tout traiter, à condition d’être récurrent dans ses actes. » Et avec très peu de risques. « Dans les années 1990, certains produits pouvaient entraîner des déformations à long terme ou des réactions allergiques, comme le silicone injectable, utilisé par les frères Bogdanov. Désormais, on utilise des produits résorbables, extrêmement fiables et tolérés », abonde Adel Louafi.

L’influence des réseaux sociaux

« Les jeunes sont demandeurs en première instance d’injections, viennent ensuite les interventions plus lourdes. La médecine esthétique est devenue la porte d’entrée de la chirurgie », estime Aurélie Fabié-Boulard, chirurgienne plasticienne et présidente de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (Sofcep). L’appétit pour la chirurgie esthétique est également nourri par les réseaux sociaux, note Adel Louafi : « Des jeunes patients me montrent des photos d’eux avec un filtre et me disent : je veux ressembler à ça. D’autres se trouvent bien en se regardant dans le miroir, mais pas sur les selfies. »

« Pour beaucoup de jeunes, le confinement a été dur, ils ont souffert de leur image. Ils ont voulu se faire plaisir », Stéphane Lafond-Berbon, responsable marketing chez Galderma

Avec la pandémie, l’usage des réseaux sociaux décolle et les interventions esthétiques suivent. En 2020, le nombre d’interventions de chirurgie esthétique a bondi de 20 % en France, selon le SNCPRE. Même constat auprès des laboratoires pharmaceutiques. En 2020, Galderma a doublé les ventes d’un produit injectable utilisé pour gonfler les lèvres. « Et en 2021, on a encore fait + 50 % sur ce produit particulièrement utilisé auprès des jeunes. Pour beaucoup d’entre eux, le confinement a été dur, ils se regardaient constamment sur les plates-formes de vidéoconférence et ont souffert de leur image. Ils ont voulu se faire plaisir », note Stéphane Lafond-Berbon, responsable marketing chez Galderma.

Des interventions converties en « stories »

Les tabous tombent et la nouvelle génération de patients n’hésite pas à partager son expérience chirurgicale. « Les interventions en médecine ou en chirurgie esthétique deviennent des “stories” », observe Aurélie Fabié-Boulard. D’après la présidente de la Sofcep, les jeunes femmes sont très demandeuses d’injections aux lèvres et les hommes, de plus en plus nombreux – ils représentent désormais 30 % de la patientèle –, consultent pour viriliser les angles du bas du visage avec de l’acide hyaluronique, ou pour contrer le vieillissement de la peau. Le Baby Botox®, des injections de toxine botulique microdosées pour prévenir l’apparition des rides et adoucir le visage, figure parmi les nouvelles tendances prisées par les plus jeunes.

Selon Catherine Bergeret-Galley, secrétaire générale du SNCPRE, les codes esthétiques sont aussi devenus plus provocateurs : « Avec la pandémie, de nombreux faux professionnels ont investi les réseaux sociaux. Ils proposent des prestations extrêmes : bouches marquées, très gros seins, très grosses fesses, yeux de biche en étirant la fente palpébrale vers le haut et l’extérieur… J’oriente les jeunes vers des demandes plus raisonnables. Et je les mets en garde contre les escroqueries. »

Début janvier, le SNCPRE et plusieurs sociétés savantes ont lancé une alerte nationale contre les « injecteurs illégaux », ces faux médecins, pseudo-spécialistes ou prétendus cosmétologues qui cherchent à appâter les jeunes avec des images d’interventions réussies et des prix au rabais. « Une véritable économie parallèle s’est montée en quelques années. Celle-ci s’est engouffrée sur un vide juridique : l’acide hyaluronique, utilisé pour les injections, est en vente libre. Sans parler des fois où l’on injecte de l’huile de paraffine ou du silicone industriel », s’inquiète Catherine Bergeret-Galley.

« Botox party »

Posts sponsorisés sur Instagram, recrutement d’influenceurs… Les injecteurs illégaux ont une communication très agressive sur les réseaux sociaux. « Certains organisent même des “botox party” : si une jeune ramène ses copines, elle aura un tarif préférentiel », explique Adel Louafi. Ses patients lui rapportent des injections pratiquées dans des chambres ou des cuisines, sans respect des mesures élémentaires d’hygiène.

« Ces piqûres sont dangereuses lorsqu’elles sont réalisées par des non-professionnels qui ne connaissent pas l’anatomie et sont incapables de réagir en cas d’effets indésirables. On peut se retrouver avec des déformations du visage, des croûtes noires, une peau rétractée, voire une partie du nez amputée », alerte M. Louafi. Ce médecin s’inquiète également des effets secondaires invisibles : « Les injecteurs illégaux n’hésitent pas à utiliser la même aiguille sur plusieurs clients. On risque de voir apparaître une déferlante d’infections chroniques transmissibles, comme l’hépatite C. »

Il y aurait en France plusieurs centaines d’injecteurs illégaux, avec des milliers de patients concernés, selon le SNCPRE. Dans son cabinet, Adel Louafi reçoit régulièrement des jeunes qui consultent après des complications : « Rien que la semaine dernière, j’en ai fait hospitaliser deux. » La Clinique des Champs-Elysées aussi voit défiler les patients souhaitant rattraper les dégâts provoqués par les injections illégales. « Nous dénonçons énormément de comptes sur les réseaux sociaux, mais ils sont recréés dès le lendemain », constate Tracy Cohen Sayag. Si le phénomène est difficile à endiguer, c’est aussi parce que les victimes n’osent pas porter plainte.

« Je connais une seule fille qui ait osé porter plainte. Je vous passe la réaction du policier quand elle lui a expliqué qu’elle avait voulu se faire augmenter les fesses » – Adel Louafi, président du syndicat SNCPRE

Les injecteurs illégaux ciblent les 15-35 ans, un public impressionnable qui croit agir en toute légalité, s’indigne Adel Louafi : « Une jeune femme a été physiquement menacée par le réseau de son “injectrice” si elle “ouvrait la bouche”. Je connais une seule fille qui ait osé porter plainte. Je vous passe la réaction du policier quand elle lui a expliqué qu’elle avait voulu se faire augmenter les fesses. »

Ana fait partie des rares victimes qui osent prendre la parole. Elle a démarré la chirurgie à 26 ans, avec une rhinoplastie, suivie d’une abdominoplastie pour perdre deux centimètres de taille. Pour gonfler ses lèvres, la trentenaire – qui raconte sur son compte Instagram ses expériences de chirurgie – repère sur le réseau social le profil d’une « docteure à la réputation incroyable, explique-t-elle.Il fallait attendre deux ans pour la voir. Je commentais toutes ses photos sur Instagram pour avoir un créneau, et finalement, au bout d’un an, j’ai pu prendre rendez-vous, en effectuant un paiement préalable de 50 euros sur PayPal ».

La suite de l’histoire est relatée dans le procès-verbal de sa plainte : pour voir le médecin, Ana se rend dans un appartement de luxe à Paris. Elle patiente en salle d’attente – une cuisine – avec deux autres jeunes. Elle règle 2 400 euros en liquide pour ses injections. Deux heures après, alors qu’elle est rentrée chez elle, son visage a triplé de volume et reste gonflé pendant plusieurs semaines. Un mois plus tard, Ana recontacte la « docteure » car son visage est partiellement paralysé. Pour contrer les effets secondaires, on lui propose des injections réparatoires pour 600 euros. Ana se méfie, contacte un vrai chirurgien esthétique, qui lui explique que la paralysie faciale a été provoquée par un nerf sectionné et que le produit qu’on lui a injecté n’était pas approprié. « Depuis, j’ai été soignée, mais j’ai encore des séquelles. Quand je ris, il n’y a qu’un côté qui sourit et mon œil se ferme. J’aurais pu rester paralysée à vie », précise celle qui a créé un nouveau compte Instagram, alladubasovavictims, pour rassembler les témoignages de victimes. « Avant cet accident, de nombreuses jeunes filles me contactaient sur les réseaux sociaux pour me poser des questions sur la chirurgie esthétique. J’étais un modèle pour elles. Aujourd’hui, je raconte mon histoire, et je leur dis : votre héroïne, voilà ce qui lui arrive. Faites attention. »


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