samedi 9 avril 2022

Rita Charon, la médecin qui voulait « lire » ses patients

  • Alice Le Dréau, 

Rita Charon, la médecin qui voulait « lire » ses patients

Au début des années 2000, une Américaine férue de littérature développe le concept de « médecine narrative ». Aujourd’hui, cette approche est enseignée dans 80 % des universités outre-Atlantique.

Impossible de parler de médecine narrative sans entendre prononcer son nom. À l’origine du développement de ce concept en France, il y a une professeure américaine, Rita Charon, 73 ans aujourd’hui. C’est elle qui, en 2000, a créé la première chaire sur le sujet, au sein de la prestigieuse université de Columbia, à New York.

Le déclic : son installation comme médecin dans un hôpital new-yorkais. Là, « je commençais à connaître des personnes qui m’étaient jusqu’ici étrangères, et allaient devenir mes patients pendant plus de vingt ans », raconte-t-elle dans son livre fondateur, Médecine narrative, Rendre hommage aux histoires de maladies (paru en France en 2015, aux éditions Sipayat). « La plupart étaient des pauvres, des malades, des femmes de couleur, venues de République dominicaine, de Porto Rico, d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud. J’ai compris, peu à peu, que mon travail consistait à développer des compétences pour écouter de façon plus attentive les histoires compliquées et contradictoires de leurs maladies… »

Rita Charon conjugue sa vocation de médecin avec une passion pour la littérature nourrie depuis l’enfance (elle décrochera un doctorat sur l’écrivain britannique Henry James, en 1999). « Je me suis rendu compte que ce que je faisais en tant que lectrice, je voulais le faire avec mes patients », écrit-elle encore. À savoir : « Être une bonne lectrice. » Lire un patient, dit-elle, passe par une capacité à « reconnaître, absorber, interpréter et transposer l’histoire de la maladie ». Une ambition dans l’air du temps de l’Amérique des années 1970, où une partie du monde médical, notamment à New York, entend donner plus de pouvoir aux malades, en réponse à une médecine et des médecins jugés paternalistes.

C’est à cette époque qu’elle commence à forger les grands principes de la médecine narrative. Qui tient en un fameux triptyque, repris depuis à travers le monde : la lecture attentive, l’écriture créative et le partage de ses textes. Le rapport avec la médecine ? « Lire un livre est comme examiner un patient, estime Rita Charon. Il faut observer le contexte dans lequel le texte a été écrit, sa forme, le temps dans lequel il s’inscrit, l’intrigue qu’il raconte. » Le fond ne peut être séparé de la forme. À ses patients, elle lance souvent : « Dites-moi ce que je devrais savoir à propos de votre situation ! » Le patient transmet des informations par son corps, par ses mots, mais aussi par ses silences, ses non-dits. En résumé, il doit être pris dans sa globalité et non pas être considéré comme une simple collection de symptômes.

Aujourd’hui, la médecine narrative est enseignée dans 80 % des facultés de médecine américaines, d’après le New York Times. Un concept qui s’est aussi exporté au Royaume-Uni, en Espagne, au Danemark, en Italie…


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