samedi 30 avril 2022

Pourquoi la pilule contraceptive pour hommes a tant de mal à passer

Joséphine Robert publié le  

Image d'illustration. © iStockphoto

« Je prends la pilule. » Une phrase qui sortira bientôt de la bouche d’un homme ? Des chercheurs américains ont mis au point une pilule non-hormonale qui empêcherait la production de spermatozoïdes. Deux questions se posent : les hommes veulent-ils assumer cette responsabilité ? Et les femmes, la leur laisser ? Grâce à vos réactions, nous avons pu nous interroger sur cette pilule masculine qui vient bouleverser notre vision de la sexualité, de la fécondité, du couple et du corps.

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La responsabilité contraceptive repose aujourd’hui davantage sur les femmes que sur les hommes. L’arrivée de méthodes médicales féminines comme l’implant, le stérilet et la pilule, ont renforcé l’asymétrie de responsabilité. Le préservatif masculin reste une option, mais si ce dernier est absent ou déchiré, c’est encore et toujours sur la femme que l’on compte. Aujourd’hui, la dynamique est souvent la suivante : l’homme protège des MST avec le préservatif, et la femme empêche la grossesse avec sa contraception. Alors, que se passerait-il si les hommes prenaient la pilule ? Cette contraception masculine remplacerait-elle le préservatif ?

Jean V. confesse : « J’ai toujours la crainte que ma partenaire ne prenne pas la pilule de manière sérieuse. » Ce serait peut-être un moyen de minimiser les inquiétudes, des deux côtés. Mais la commercialisation d’une pilule pour homme n’aurait rien d’évident. Elle marquerait une réelle révolution de la répartition genrée de la contraception. Cette petite pilule déstabiliserait notre société au niveau légal, politique et économique. Qu’adviendrait-il si une femme tombait malgré tout enceinte ? Faudrait-il allonger le droit à l’IVG ? Les femmes devraient-elles reconnaître un enfant dont elles ne soupçonnaient pas l’arrivée ? Autant de questions qui demeurent pour l’instant sans réponse.

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Cette pilule pour les hommes, contrairement à celle des femmes, n’est pas hormonale. Les chercheurs ont ciblé une protéine et non pas la testostérone. Cette protéine, le « récepteur alpha de l’acide rétinoïque » aussi appelé RAR-α, participe à la formation des spermatozoïdes. Au contact d’un composé appelé YC-529, RaR-α serait alors éliminée, interrompant la production de spermatozoïdes. Par contraste, la pilule féminine est « seulement » hormonale. Elle libère de l’œstrogène, du progestatif, ou les deux en même temps, de manière à modifier l’endomètre, épaissir la glaire cervicale pour empêcher les spermatozoïdes de traverser le col de l’utérus ou supprimer l’ovulation.

Un souci demeure : pourquoi la manière dont cette pilule « interrompt la fertilité » est-elle source d’anxiété ? Cette crainte renvoie plus généralement aux rapports entre hommes et médecine. L’intrusion médicale envers leur corps n’est pas habituelle. Contrairement aux femmes, ils ne vont pas chez le gynécologue, n’ont pas entendu qu’il est « normal d’avoir mal pendant les règles », ils n’avortent pas. « Messieurs, on ne touche pas au corps des hommes. Surtout pour la contraception. Les femmes sont faites pour cela ! », s’écriait un responsable de l’Ordre des médecins lors de ces expérimentations de la pilule hormonale masculine (Roger Mieusset, Jean-Claude Soufir, La Contraception masculine, Springer, 2013).

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Le corps, un « conservatoire du social » selon Pierre Bourdieu, perpétue la notion de virilité. Le corps contient et reproduit les marques de genre. Changer les hormones d’un homme s’oppose à l’image traditionnelle du corps masculin. La pilule hormonale masculine est effrayante pour certains, comme nous l’avons constaté en recueillant ces témoignages, car elle suggère une forme de féminisation de leur identité : prendre la pilule reste considéré comme un geste féminin. Laisser un produit se diffuser dans le corps renvoie à une certaine passivité. Mettre un préservatif, en revanche, est un acte actif. L’idée d’un homme qui ingère une pilule n’est donc pas anodine.

Les premiers essais sur les souris démontrent qu’il est possible, pour les rongeurs, de se reproduire 4 à 6 semaines après avoir cessé de recevoir la pilule. Sur un strict plan technique, si tant est que les résultats sont transposables à l’homme, la pilule masculine ne menace donc pas plus la fertilité que la pilule féminine. Mais la peur de devenir stérile a une résonance particulière auprès de la population masculine, censée être fertile en permanence. Par contraste, pour les femmes, les cycles menstruels définissent des périodes de fertilité réduites (quelques jours par mois).

Ce donné physiologique se transforme pour ainsi dire symboliquement. Cyril Desjeux, docteur en sociologie et auteur d’Histoire de la contraceptionmasculine (2010), estime que « la fertilité masculine est renvoyée à l’imaginaire du divin (les dieux étant immortels), et la fertilité féminine à celui du mortel (les êtres ayant une durée de vie limitée) ». La paternité est comme sacralisée car elle ne réside pas dans une chronologie périodique. En rendant les hommes stériles, la pilule remettrait en question la fertilité continue de l’homme et troublerait la toute-puissance paternelle. 

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Les pilules hormonales masculines testées jusqu’ici avaient révélé des effets secondaires similaires à celle des femmes, tels que la dépression, la prise de poids, la baisse de libido et l’augmentation du taux de cholestérol. Les effets secondaires de la nouvelle pilule semblent pour l’instant exempts de tels symptômes, ce qui pourrait faciliter sa mise sur le marché.

Toutefois, on ne peut s’empêcher de remarquer une différence de traitement entre les pilules hormonales masculine et féminine : la première est toujours absente du marché, tandis que la pilule féminine, loin d’être parfaite, a été commercialisée moins de dix ans après son développement. Faut-il croire qu’en termes de résistance à la douleur et aux complications, les femmes seraient naturellement plus fortes que les hommes ? Ou plutôt en déduire que la société tolère davantage ces désagréments chez les femmes, les hommes se sentant plus légitimes à se plaindre ? Des études vont en tout cas dans ce sens.

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Certes, pour certaines femmes, la pilule permet la réduction du flux et de la durée des saignements, la diminution de la douleur pendant les règles et l’amélioration des symptômes de l’acné. Mais les « bénéfices » supposés de la pilule chez les femmes sont peut-être un moyen d’aborder un autre problème : le rapport entre contraception et plaisir.

Le docteur Desjeux soutient que « la contraception féminine tend dans l’imaginaire érotique masculin à maximiser la dimension féminine, c’est-à-dire la possibilité de plaisir et de jouissance ». Chez la femme, la maternité s’oppose symboliquement à la jouissance. La femme est réduite à sa fonction maternelle lorsque qu’elle est capable de procréer. La procréation est rarement, si ce n’est en aucun cas, associée à l’épanouissement sexuel. La dimension maternelle est même parfois jugée castratrice.

La contraception n’a pas la même signification chez l’homme. Pour lui, la fécondation et la reproduction ne se sont pas contraires au discours de plaisir : le sperme renvoie au contraire à la jouissance. Selon Desjeux, le sperme peut même se traduire en une forme d’appropriation symbolique du corps de l’autre. L’éjaculation est un échange matériel et corporel du plaisir. Coït interrompu, préservatif ou pilule, la contraception masculine met en danger la symbolique phallique et créatrice de l’homme, elle-même associée au plaisir.

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La pilule pourrait avoir un poids sur l’identité paternelle chez les hommes car elle reformulerait les logiques de négociations au sein du couple. La révolution contraceptive a donné aux femmes un contrôle presque absolu de la filiation : elles gèrent la procréation. En donnant une place aux pratiques contraceptives masculines, l’homme se trouverait différemment impliqué dans la décision de paternité par son investissement corporel dans la contraception.

Notre conception de procréation pourrait même être renouvelée : l’homme ne serait plus simplement l’individu qui féconde la femme mais un être maîtrisant sa propre fécondité. Le désir de paternité serait davantage individualisé, même externalisé car il ne se trouverait plus au sein du corps de la femme. Il ne serait plus limité au royaume sacré de la femme. La pilule serait une opportunité pour les hommes de réfléchir au « devenir-père » d’une toute autre manière. Aujourd’hui, on devient père lorsque la femme accouche. Mais avec une pilule masculine, est-il possible de devenir père bien avant ? Dès lors de la fécondation ? Repenser la notion de père pose un problème car elle n’est pas compatible avec la notion actuelle, selon laquelle la femme décide de son corps et l’homme n’a pas droit de regard. Il y a bien une tension, qui a une portée existentielle. On voit qu’une toute petite pilule change la conception du monde des uns et des autres. C’est peut-être parce qu’elle serait révolutionnaire qu’elle met autant de temps à être normalisée ?


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