mercredi 23 mars 2022

Trouble du déficit de l’attention chez l’adulte, le grand oublié des troubles du neurodéveloppement

Par   Publié le 21 mars 2022

Méconnu du grand public, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) toucherait 2,5 % des adultes. Anxiété, dépression, addiction, délinquance, précarité financière : le TDAH et ses comorbidités affectent pourtant toutes les sphères de l’existence. Faute de formation des professionnels de santé et de moyens, le parcours diagnostic et la prise en charge se révèlent totalement insuffisants.

En février 2021, Rachel apprend qu’elle souffre d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). C’est un soulagement pour l’employée de Pôle emploi. « Je n’étais pas dingue », affirme-t-elle dans un sourire pendant que sa main gauche malaxe un accessoire antistress. « J’ai vécu trente-cinq ans avec la sensation que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, ça me torturait, confie-t-elle. Le diagnostic a changé ma vie et ma perception de moi-même. » 

En parallèle de son bilan, Rachel met des mots sur ses difficultés en calcul (dyscalculie), en orthographe (dysorthographie), et à coordonner ses gestes ou à les planifier (dyspraxie). « On estime qu’entre 25 % et 30 % des personnes souffrant d’un trouble “dys” ont un TDAH associé », précise Anne Claret-Tournier, psychiatre et responsable de la consultation TDAH adulte au sein du service psychiatrie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).

Le TDAH concernerait 5,9 % des jeunes et 2,5 % des adultes selon la Déclaration de consensus international de la Fédération mondiale du TDAH, qui s’est basé sur plusieurs méta-analyses pour formuler ses conclusions. « La triade classique des symptômes cliniques est le trouble attentionnel et exécutif, l’hyperactivité et l’impulsivité », détaille la docteure Claret-Tournier. Comme d’autres troubles du neurodéveloppement tels que l’autisme, il s’agit d’un trouble spectral avec des intensités différentes, sans profil type – son repérage arrive plus tard chez l’enfant, lors de l’entrée à l’école primaire. Les retentissements fonctionnels dans la vie quotidienne sont variables et peuvent toucher aussi bien la sphère familiale, professionnelle, que sociale. La frontière entre le normal et le pathologique est fine : « On parle de “trouble” quand son impact dans la vie de la personne devient significatif », explique Clémence Cabelguen, psychiatre au centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nantes.

En France, de nombreuses personnes échappent au diagnostic. « Il y a une méconnaissance profonde du TDAH par le grand public et les soignants, surtout chez l’adulte, commente la docteure Cabelguen. Beaucoup considèrent qu’il s’arrête à l’adolescence. » Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, appelé DSM, ne l’a d’ailleurs intégré pour l’adulte qu’à partir de 2013. Les symptômes persistent pourtant après la majorité chez deux tiers des patients. Quant à la Haute Autorité de santé (HAS), ses premières recommandations sur le TDAH chez l’enfant à destination des médecins de premiers recours – généralistes en tête – datent de 2014, laissant plusieurs générations sans diagnostic pendant l’enfance. Le 8 mars, l’association HyperSupers TDAH lançait à ce propos une série de questions aux candidats à la présidentielle à travers des vidéos. Dans la première, Nathan, 26 ans, les interrogeait, face caméra : « Comment envisagez-vous de faciliter l’accès au diagnostic du TDAH adulte ? »

Les professionnels de santé et les associations de patients dénoncent aussi de sérieux manques de moyens dans sa prise en charge et une gestion trop légère du TDAH par les pouvoirs publics. « En France, il persiste une position idéologique et un déni total du diagnostic du TDAH, déplore Etienne Kammerer, ancien médecin généraliste et addictologue. Beaucoup de professionnels sont anti-traitement, et le méthylphénidate  la molécule active que l’on retrouve, par exemple, dans la Ritaline et qui peut être prescrite dans le traitement du TDAH  a, à tort, une réputation sulfureuse. »Depuis peu, les modalités de prescription et de remboursement évoluent pour l’adulte.

Appétence pour le danger

Les conséquences dans le quotidien des personnes atteintes sont multiples. Rachel décrit un cerveau « jamais en pause », qui lui cause une fatigue psychologique lourde. Sydney, psychomotricien de 35 ans, n’a été diagnostiqué que l’année dernière. Agitation, impulsivité, oublis fréquents et appétence pour le danger gênent sa vie courante. « Quand j’étais jeune, je m’amusais à escalader les immeubles ou à faire des rallyes sur la neige. » Sydney s’est fracturé les doigts, le genou et les orteils. Le psychomotricien a une passion pour la création d’entreprises, qu’il lance à ses frais et finit par liquider. « J’ai été interdit bancaires à deux reprises en quatre ans », raconte-t-il. Sans compter que certains comportements ne sont pas toujours adaptés en société ou dans le milieu professionnel, comme le fait de couper la parole ou de finir les phrases des autres, et peuvent mener à une forme de rejet.

« La présence du trouble double les risques de développer des conduites addictives », ajoute l’addictologue Etienne Kammere. Enfin, les patients et les spécialistes décrivent une émotivité exacerbée qui peut véhiculer une impression d’instabilité, bien que la dysrégulation émotionnelle – très présente chez l’enfant également – ne soit pas un critère diagnostic selon le DSM-5.

« Le modèle actuel du TDAH est expliqué par un dysfonctionnement global des systèmes de régulation, indique la docteure Claret-Tournier. Les patients éprouvent des difficultés à mettre des freins au bon moment. » La fluctuation de la quantité de dopamine dans le cerveau, médiateur du circuit de la motivation et de la récompense serait l’une des hypothèses principales pour l’expliquer. « Il faut la juste dose, détaille le professeur Benjamin Rolland, psychiatre-addictologue aux Hospices civils de Lyon. S’il y en a trop ou pas assez, la personne devient distraite ou dans l’incapacité de mener une tâche dans la durée. »

L’origine du TDAH reste pour le moment discutée. « L’héritabilité a été démontrée, rapporte néanmoins Régis Lopez, psychiatre et spécialiste des troubles du sommeil au CHU de Montpellier. Nous sommes dans un modèle d’interactions entre des facteurs de risque environnementaux pour 20 %, et génétiques pour 80 %. » Les recherches en génétique et en épigénétique n’ont pour l’heure pas permis d’identifier de manière satisfaisante les gènes ou allèles impliqués.

Stratégies de compensations

Avec les années, les personnes porteuses d’un TDAH développent des stratégies de compensation. « A mon arrivée au collège, j’ai réalisé qu’en pratiquant le sport, j’étais moins agité et anxieux », se souvient Sydney, qui finit par passer trente heures hebdomadaires à faire de l’exercice. « Il suffit d’avoir un bon niveau intellectuel, un certain encadrement familial ou d’avoir intégré les règles de fonctionnement sociales pour n’avoir que peu de symptômes externalisés à la majorité », ajoute la docteure Claret-Tournier. Après des années d’efforts pour contenir son trouble, Sydney a cependant craqué et fait deux burn out en 2014 et en 2015.

Le risque de ces tactiques plus ou moins conscientes est de développer d’autres pathologies à l’âge adulte. Selon les études scientifiques, plus de 50 % des adultes avec un TDAH présentent des troubles anxieux, un tiers des dépressions et un quart des troubles de la personnalité. « Entre 20 % et 30 % de mes patients souffrent d’un TDAH », estime pour sa part Oussama Kébir, psychiatre et addictologue au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris). Enfin, une méta-analyse de 2018 estime que 26,6 % des personnes incarcérées souffrent d’un TDAH.

« Le stress et mes astuces me faisaient tenir, comme préparer des mails types au bureau pour éviter les fautes d’orthographe, détaille Rachel. J’étais sur-organisée pour ne rien oublier. » Les femmes auraient davantage une forme inattentive qu’hyperactive du TDAH et seraient sous-diagnostiquées. Les études épidémiologiques chez l’enfant donnent un rapport d’environ une fille pour trois garçons porteurs d’un TDAH : « C’est probablement lié en partie au phénotype enseigné du trouble : on se le représente davantage comme masculin », estime la docteure Cabelguen, qui suggère d’adapter les échelles diagnostic au genre.

« Les femmes se fatiguent beaucoup plus pour faire illusion et en développent d’autres troubles : alimentaires, dépression, perte d’estime de soi », ajoute l’addictologue Etienne Kammerer, également coordinateur de la Coordination nationale TDAH adultes. Née en 2018 de la fusion de plusieurs groupes de travail sur le TDAH, et soutenue par la Fédération française d’addictologie, cette structure n’a pas attendu que les institutions se saisissent du problème. Elle leur a fait parvenir un recueil de propositions pour améliorer la prise en charge chez les adultes et leur faciliter l’accès aux soins. Elle compte 130 cliniciens (médecins généralistes, psychiatres, neurologues, psychologues, pharmaciens…), dont 50 % d’addictologues.

Un diagnostic difficile

Les suivis du TDAH sont pluriels, rappelle la docteure Cabelguen, qui pilote le groupe de travail « structuration de la filière de soin » au sein de la coordination : psychoéducation, thérapie cognitive et comportementale, remédiation cognitive – une sorte d’entraînement pour « remuscler » certains réseaux du cerveau touchant, par exemple, la concentration ou l’inhibition –, traitement médicamenteux selon les comorbidités, la sévérité des symptômes et l’efficacité des autres traitements non médicamenteux. L’idée n’est pas de faire disparaître le TDAH, mais bien « d’agir sur l’intensité des symptômes et leur retentissement », explique-t-elle.

Les comportements d’adaptation à ce trouble et les comorbidités peuvent rendre difficile son identification et entraînent parfois un diagnostic erroné ou partiel. Le docteur Lopez insiste sur l’importance d’un diagnostic différentiel : « Certains troubles du sommeil, par exemple, sont des symptômes du TDAH, comme l’hyperactivité mentale qui empêche de bien dormir, quand d’autres ne sont pas liés mais vont donner des problèmes de concentration. »Il poursuit : « Il y a enfin les vraies comorbidités. On a affaire à deux pathologies qui évoluent en parallèle. La prise en charge de l’une ne fait pas disparaître l’autre. » La docteure Claret-Tournier insiste :« L’anxiété est typiquement un symptôme aspécifique qu’on retrouve dans d’autres pathologies comme la dépressionIl faut alors faire une sorte “d’autopsie mentale du patient et remonter à l’enfance. »

Les spécialistes et les associations de patients dénoncent un manque de formation aux spécificités du TDAH de l’adulte. Il n’existe pas d’enseignement obligatoire au TDAH au sein du tronc commun d’internat de psychiatrie ou de médecine générale. Les seules formations certifiantes récemment mises en place sont optionnelles, dispensées en ligne et d’une durée de six heures, incluant d’autres troubles du neurodéveloppement. Quant aux diplômes universitaires en psychologie, tout dépend du cursus et des facultés.

Ainsi, les professionnels s’y intéressent par goût personnel ou selon leur patientèle. Si quelques filières hospitalières de prise en charge se sont montées ici et là sur le territoire – à Paris, Nantes, Lille, Strasbourg, Bordeaux et Montpellier –, elles sont aujourd’hui engorgées malgré les besoins, et les délais de prise en charge s’allongent : « Il y a deux ans, il y avait six mois d’attente pour un diagnostic. Désormais, nous sommes à plus d’un an », témoigne le psychiatre Sébastien Weibel, qui propose une consultation consacrée aux plus de 18 ans au CHU de Strasbourg (Bas-Rhin). « La communication sur le sujet augmente, se réjouit de son côté Christine Gétin, présidente de l’association HyperSupers TDAH France. Nous avons reçu 6 000 demandes d’aide en 2021, contre 4 000 en 2020, et nous sommes passés de 100 000 visiteurs par mois sur notre site Internet à 130 000. » Un constat confirmé par le docteur Weibel, qui assure que le sujet est davantage abordé durant les congrès de psychiatrie.

Les filières de soins sont le fruit de la débrouillardise de soignants volontaires et il n’existe pas à proprement parler de centres experts pour le TDAH

Reste que les filières de soins sont le fruit de la débrouillardise de soignants volontaires et il n’existe pas à proprement parler de centres experts pour le TDAH. « Il faut partager les compétences en développant un réseau locorégional entre la ville et l’hôpital, tout en s’appuyant sur des centres de référence », estime la docteure Cabelguen.

Comme Rachel, Sydney a dû se résoudre à consulter en libéral pour son diagnostic et échapper aux douze mois d’attente annoncés. Il a la chance de vivre à Paris, où les praticiens compétents sont un peu plus nombreux qu’en province. « Du fait de leur trouble, beaucoup de patients n’ont pas d’emploi stable et donc les moyens financiers de parcourir des centaines de kilomètres pour se faire soigner », rappelle Etienne Kammerer, de la Coordination nationale TDAH adulte.

Le retard de la France dans la prise en charge du TDAH chez l’adulte, et du TDAH en général, serait dû, d’après plusieurs spécialistes, en partie à la place dans les formations universitaires de la psychanalyse, qui rejette l’idée d’un trouble d’origine neurobiologique. Et à la méfiance des médecins envers le méthylphénidate, molécule encore assez méconnue des praticiens. En 2018, 87 079 patients étaient traités par la molécule, d’après le rapport de la HAS sur le méthylphénidate de mars 2021, un chiffre relativement bas au regard de la prévalence du trouble dans la société.

Depuis quelques mois, les pouvoirs publics multiplient les initiatives. Saisie par le ministère des solidarités et de la santé, les associations de patients et certaines sociétés savantes, la HAS prépare des recommandations de bonnes pratiques pour le repérage, le diagnostic et la prise en charge du TDAH chez l’adulte. Elles sont attendues pour 2023.

Formation des médecins

Le TDAH et les troubles « dys » ont été intégrés au Plan autisme, rebaptisé « Stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement » en 2018 et doté d’un budget de 490 millions d’euros, tous troubles confondus. « L’un de nos axes prioritaires est le repérage précoce, entre 0 et 12 ans, pour éviter la situation qu’on connaît », assure Claire Compagnon, déléguée interministérielle auprès du premier ministre et chargée de la mise en œuvre de la stratégie. Qu’en est-il des adultes qui ont échappé au diagnostic ? Claire Compagnon rappelle, entre autres, le déploiement de la formation continue des soignants à ce propos, coordonnée par l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) : « Grâce à un budget de 22 millions d’euros, l’ANDPC va mettre en place des formations gratuites et labellisées autour des troubles du neurodéveloppement d’ici trois ans. »

De leur côté, des membres de la Coordination nationale TDAH adultes – dont le docteur Weibel et le professeur Rolland – ont pris les devants en créant un diplôme interuniversitaire (DIU) intitulé « TDAH à tous les âges » et accessible à tout moment de la carrière des professionnels. Lancé l’année dernière en visioconférence, le DIU dispense une centaine d’heures de cours et a été suivi par une cinquantaine de personnes.

Deux avancées majeures en ce qui concerne le traitement médicamenteux sont à souligner. La prescription de méthylphénidate est autorisée chez l’adulte depuis avril 2021, bien que son remboursement ne soit toujours pas paru au Journal officiel malgré le récent avis favorable de la HAS. Enfin, le lancement du traitement n’a plus besoin d’être réalisé à l’hôpital. « Il y a eu un effet pervers à cette limitation de “primo-prescriptionhospitalière : les médecins de ville ne se sentaient pas compétents », analyse la docteure Claret-Tournier.

A la fin de l’année 2021, la sénatrice de l’Essonne Jocelyne Guidez (Union centriste) a déposé une proposition de loi sur le sujet. Il imposait, entre autres, deux dépistages obligatoires et gratuits du TDAH à 5 et 11 ans et le renforcement de la formation des enseignants et des professionnels de santé. Mais elle a préféré retirer son texte. « Les propositions n’étaient pas forcément adaptées aux problématiques des familles et aux spécificités des adultes », explique la sénatrice Annick Jacquemet (Union centriste), membre de la commission des affaires sociales et désignée rapporteuse du projet. Preuve que le sujet est loin d’être simple et que les acteurs concernés par le TDAH sont multiples. « Cela a néanmoins permis d’en débattre et nous présenterons un nouveau texte à l’automne », promet-elle.

Mais Etienne Kammerer, auditionné pour l’occasion, prévient : « Il faut avant tout relever le niveau de formation des intervenants. Le repérage systématique n’est pas rentable et risque d’être mal fait. Mieux vaut faire la publicité de cet acte de dépistage auprès des professionnels – de l’éducation nationale, des médecins généralistes, des personnels sociaux , qui pourront en référer aux médecins formés. »


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