mercredi 23 mars 2022

La résilience s’invite dans les discours de l’exécutif

Octave Larmagnac-Matheron publié le 

Adaptation, absorption d’un choc, dépassement d’un traumatisme…Depuis quelques années, le concept de « résilience » a envahi l’espace public – qu’il s’agisse de résilience psychologique, économique ou écologique.

Les politiques, conscients de la popularité d’un terme en vogue, n’auront pas tardé à essayer de s’approprier ce terme fourre-tout. En témoigne le grand « plan de résilience économique et sociale » annoncé il y a quelques jours par le Premier ministre français Jean Castex. Mais, au juste, d’où vient cette notion ? Retour sur une histoire plurielle, du philosophe Francis Bacon à l’écologue Crawford Stanley Holling, en passant par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui l’a popularisée.

C’est par l’entremise du philosophe anglais Francis Bacon que le terme résilience (du latin resilire, « rebondir, sauter en arrière »), fait son apparition, discrète, dans le champ de la philosophie. Étudiant la propagation des sons dans le Sylva Sylvarum (1625), Bacon fait état de leur résilience : de leur capacité à revenir en arrière, à rebondir sur une surface. C’est donc dans le champ des sciences de la nature, et plus encore de la physique, que la résilience trace son sillon. En 1824, l’ingénieur britannique Thomas Tredgold reprend la notion pour parler de l’élasticité des matériaux, c’est-à-dire leur capacité à endurer des chocs et à retrouver leur état initial après déformation. C’est en ce sens qu’on appelle alors la « résélience » fait son apparition en français en 1906.

Les interprétations psychiques de la résilience – beaucoup plus connues aujourd’hui – sont en fait plus tardives. Thomas More, philosophe néoplatonicien anglais, évoque ainsi, dans ses Divine Dialogues (troisième dialogue, 1668) la « résilience face à la région sordide de la misère et le péché », qui se produit par la « libération de l’âme à l’égard du corps ». La résilience est une guérison de l’âme face au mal.

De la matière à l’esprit

C’est dans une certaine mesure sur un plan psychologique, et non plus théologico-éthique, que la psychanalyse reprendra la notion pour interroger la question du traumatisme (un vocable cette fois emprunté à la biologie) qui déchire, « effracte » (Sigmund Freud) les structures psychiques, mais peut être contrebalancé par des forces de résilience. Ces questionnements, déjà présents chez Freud et qui s’inscrivent alors dans le sillage de la Première Guerre mondiale et de ses nombreux soldats traumatisés, sont poursuivis par Anna Freud et René Spitz, qui travaillent avec des enfants victimes de traumatismes dans les années 1930.

C’est cependant à la psychologue britannique Mildred Clare Scoville que l’on doit la conceptualisation du terme en psychologie. En 1942, elle évoque ainsi « l’incroyable résilience des enfants confrontés à des situations dangereuses pour leur vie » – la Seconde Guerre mondiale en l’occurence. L’acception psychologique se popularise lentement. On la retrouve dans Lélia ou la Vie de George Sand (1952), de l’écrivain André Maurois : « Dans ce deuil, encore une fois, elle étonna ses amis par son immédiate résilience. » Dans la seconde moitié du XXe siècle, la psychologue américaine Emmy Werner fera beaucoup, pour la popularisation de cette acception psychologisante. Elle se dira notamment « impressionnée par la résilience de l’écrasante majorité des enfants et leur potentiel de changement positif et de croissance personnelle » en dépit des traumatismes, dans « The Children of Kauai: A Longitudinal Study from the Prenatal Period to Age Ten » (1971).

Du système économique au système Terre

Mais le psychisme n’est pas le seul domaine dans lequel la résilience est réemployée. Le terme est repris en économie. Dès 1936, dans L’Elasticité américaine, l’écrivain français Paul Claudel évoque l’étonnante capacité des Américains à rebondir après la crise de 1929 : « Il y a dans le tempérament américain une qualité que l’on traduit là-bas par le mot resiliency, pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact, car il unit les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur. » Les économistes Xavier Comtesse et Mathias Baitan définiront, des décennies plus tard, le rétablissement d’une économie résiliente après un choc suivant l’équation : « résistance, reset, relance ». De plus en plus, la résilience apparaît comme une notion transversale qui peut être transposée dans différents champs de recherche, afin d’étudier n’importe quel système et ses perturbations.

C’est dans cet horizon que le canadien Crawford Stanley Hollingreprendra la notion pour l’appliquer à la nature et à la crise écologique. Dès 1973, dans « Resilience and Stability of Ecological Systems », il développe l’idée de « résilience des systèmes écologiques », définie comme « capacité […] à absorber les changements et les perturbations ». Il insiste notamment sur l’importance de la biodiversité dans la capacité des écosystèmes à surmonter les catastrophes.

 

Une notion instrumentalisée ?

La résilience, devenue l’un des mots-clés de notre époque, est porteuse de cet héritage multipleC’est à Boris Cyrulnik que l’on doit sa popularisation en France : importée depuis le champ de la psychologie, la notion prend chez lui un sens très large. « La définition de la résilience fait référence à la reprise d’un nouveau développement après un fracas traumatique. Cette définition est très simple et logique. La difficulté réside dans le fait de découvrir les facteurs de résilience », explique-t-il. Cette dilatation du modèle de la résilience est sa force. Mais c’est sans doute aussi sa faiblesse : celle d’un concept tellement englobant qu’il risque d’en devenir inopérant, à force d’abus.

La récupération politique n’arrange rien, bien entendu. Car si la politique est définie par la capacité à agir, la résilience invite au contraire à une certaine passivité. Instrumentalisée, elle risque toujours de se muer en résignation à l’inaction.


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