jeudi 24 février 2022

Dans le labyrinthe de l’accès aux études de santé

Par    Publié le 22 février 2022

Depuis la réforme de 2020, deux voies s’offrent aux bacheliers qui se destinent aux disciplines médicales : PASS et L.AS. Mais, selon les facultés, les modes d’organisation diffèrent. Difficile de faire un choix éclairé.

Pour tenter de démêler la mise en place de la réforme des études de santé, mieux vaut s’armer d’une bonne dose de patience et de concentration. « Je vais vous envoyer une diapositive, mais vous risquez de reculer d’un mètre ! », prévient Cyrille Blondet, maître de conférences des universités et praticien hospitalier à la faculté de médecine de Strasbourg. « Ça y est, je vous ai perdue ? », s’inquiète Nicolas Lerolle, doyen de la faculté de médecine d’Angers et membre du comité de pilotage de cette réforme dite « du premier cycle », entamée à la rentrée 2020.

Sur le papier, les objectifs étaient clairs : en finir avec la première année commune aux études de santé (Paces), concours ultra-sélectif permettant de poursuivre en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie (MMOP) et, parfois, kinésithérapie, conditionné par un numerus clausus qui laissait de côté nombre d’étudiants dépités. Avec deux nouvelles voies d’accès, le PASS – pour « parcours d’accès spécifique santé » – et la L.AS, pour « licence avec option accès santé », afin de varier les modes de sélection, diversifier le profil des candidats et sortir de la logique d’échec en ayant toujours un plan B.

« C’était un vrai crève-cœur de voir des jeunes qui, après deux années de Paces, se retrouvaient sans rien. Là, ils peuvent valider leurs années de licence et avancer », fait valoir Vincent Deramecourt, médecin neurologue et assesseur du PASS et de la L.AS à la faculté de médecine de Lille.

Des possibilités variées

En PASS, l’étudiant suit des cours en santé (sa « majeure »), avec, en plus, une mineure de son choix (droit, psychologie, langues, biologie, histoire…), selon ce qui est proposé dans son université. Si, à la fin de l’année, il n’est pas reçu dans l’une des cinq filières médicales mais qu’il a bien les 60 crédits qui valident son année, il poursuit en deuxième année de licence de sa mineure, le redoublement n’étant plus possible. Il sera alors en L.AS 2 : le droit, la psychologie ou les langues prendront le dessus par rapport à ses enseignements de santé.

En L.AS, c’est l’inverse. L’étudiant opte pour une licence de biologie, Staps ou encore philosophie, à laquelle est adossée une mineure en santé. S’il échoue au classement des études de santé mais valide son année, il passera dans la L.AS 2 de sa discipline. Au total, plus de 500 L.AS étaient proposées cette année sur Parcoursup : les possibilités sont variées.

Bien que toujours sélectif, le désormais « numerus apertus », fixant le quota de places en deuxième année, s’accompagne d’une augmentation du nombre d’admis. En 2020-2021, plus de 17 000 étudiants ont été admis en MMOP, dont plus de 11 000 en médecine – soit une hausse totale de 13 %, et de 19,5 % pour la filière médecine. « L’admission est gérée par chaque université en fonction des besoins de santé du territoire, précise le ministère de l’enseignement supérieur. Le nombre d’inscrits et les besoins de soins territoriaux peuvent créer quelques disparités. » 

Le risque d’une rupture d’égalité

Sur le terrain, la mise en place a été chaotique en 2021, menée au pas de charge, qui plus est dans un contexte de crise sanitaire et en cohabitation avec les derniers redoublants de Paces, selon de nombreux doyens de faculté de médecine. Mais, depuis septembre 2021, les choses s’améliorent : « C’est mieux, parce qu’on ne pouvait pas faire pire », observe, comme d’autres, Lucas Farrugia, vice-président du Tutorat santé de Bordeaux, association de soutien aux étudiants en PASS et L.AS. « Globalement, le contexte est beaucoup plus apaisé », affirme-t-on au ministère.

« Les textes nous donnaient une certaine souplesse, d’où l’hétérogénéité. Mais il y a effort de convergence » – Vincent Deramecourt, faculté de Lille

Mais la situation reste très fluctuante d’une université à l’autre, y compris d’une licence à l’autre au sein d’une même université. « Les textes réglementaires nous donnaient une certaine souplesse, d’où l’hétérogénéité. Chacun fait sa sauce à l’intérieur d’un même cadre. Il y a quand même un effort de convergence, les modèles devraient s’harmoniser », défend Vincent Deramecourt. Le ministère relève que « dans le cadre de l’autonomie des universités, chaque établissement organise son offre pédagogique et définit les modalités de contrôle des connaissances ». Au risque d’une certaine souffrance et d’une possible rupture d’égalité des chances, notamment parmi les étudiants en L.AS.

A Nantes, Alizée (les prénoms apparaissant seuls ont été modifiés), 19 ans, est en L.AS 2 de chimie, après un échec en PASS pour entrer en médecine. « J’avais pris une mineure en chimie parce qu’il fallait que ça me prenne le moins de temps possible et que c’était là que j’étais le plus à l’aise en terminale, raconte-t-elle. Cette année, je regrette. J’ai l’impression que c’est plus difficile d’avoir de bonnes notes en chimie qu’ailleurs. Je trouve ça injuste : moi je n’ai pas choisi d’être là, mais c’est la seule opportunité qu’on m’a donnée. » En L.AS, chaque étudiant a droit à deux tentatives pour passer le concours, qu’il peut utiliser en première, deuxième ou troisième année.

Marina, mère d’une étudiante en L.AS 2 sciences de la vie, souligne aussi des inégalités à l’université de Nice : « Sur les 12 filières de L.AS, il y en a deux où les semestres ne se compensent pas : si un élève a 9 au premier semestre et 15 au second, il ne pourra pas candidater en MMOP. On compte aussi quatre filières avec des notes éliminatoires. La perte d’égalité est flagrante. » 

A Poitiers par exemple – où il n’y a que des L.AS et pas de PASS, comme dans un peu moins d’un quart des établissements –, ce type de problème a été anticipé. Dans le classement des filières santé, ce sont uniquement les notes en santé qui sont prises en compte. « Parce qu’il est compliqué de comparer un 13 en droit et un 16 en espagnol », explique Marc Paccalin, doyen de la faculté de médecine de Poitiers. Pour être éligible au classement MMOP, il faut avoir plus de 10 à la fois dans sa licence disciplinaire et en santé. Ensuite, selon les vœux de l’étudiant, on regarde ses notes en santé : certains feront partie des « grands admis » directement, tandis que le second groupe devra passer les épreuves orales.

La philosophie est encore différente à la faculté de Lille, où PASS et L.AS cohabitent. « Les étudiants de L.AS sont sélectionnés sur la performance de leur licence disciplinaire. La mineure santé ne doit être qu’une formalité à valider », détaille Vincent Deramecourt.Pour sélectionner les admis, toutes les têtes de promotion en L.AS – que cela soit en droit, sciences de la vie ou écogestion – se retrouvent côte à côte : c’est leur position dans leur promotion qui compte. Ensuite, la note obtenue dans la mineure santé les départage.

Difficultés de coordination entre les licences

Par ailleurs, l’équilibre des volumes d’enseignements entre la licence choisie et le bloc santé varie d’un établissement à l’autre. En L.AS à Lille, 80 % des crédits correspondent au contenu disciplinaire et 20 % à la mineure santé. A Poitiers, les deux arrivent à égalité.

Face aux difficultés de coordination entre les multiples licences L.AS concernées par la réforme, quelques facultés, comme celle de Strasbourg, ont réussi à harmoniser les calendriers : certaines journées de la semaine y sont banalisées pour le bloc santé, d’autres pour les enseignements disciplinaires. « C’était nécessaire pour éviter de devoir être à deux endroits à la fois, ou d’avoir cinq minutes pour traverser la ville », précise Cyrille Blondet. De même à Lille, où le vendredi est sanctuarisé pour la mineure santé.

A Rennes, Armand Le Bayon doit organiser lui-même son emploi du temps. Etudiant en L.AS de Staps, ce rugbyman de 17 ans reçoit tous ses cours de santé sous forme de capsules vidéo : « C’est à moi de déterminer quand je travaille la médecine. On révise à notre rythme, sans contrainte et sans vraiment savoir où mettre le plus d’énergie. » 

Des étudiants « à bout »

« Comme ma fille, beaucoup de jeunes atterrissent chez le psy, déplore Marina. Certains sont à bout face à tant de boulot et d’injustice. Et ils sont trop fatigués pour entrer dans un bras de fer avec la fac : on a beau les bourrer de magnésium, ils saturent ! » 

Au point, parfois, de décrocher. A l’université de Bourgogne, Jean-Louis Alberini, professeur de médecine en biophysique et responsable pédagogique des PASS et des L.AS, regrette « un taux d’abandon en L.AS assez significatif ». L’année dernière à Dijon, plus de 95 % des étudiants entrés en médecine étaient issus de PASS, alors que la proportion prévue par la réforme était au maximum de 30 % de L.AS pour 70 % de PASS – l’objectif à terme étant d’atteindre la parité. En moyenne, selon le ministère, cette proportion a été de 28,5 % de L.AS et 71,5 % de PASS en 2021 – « avec quelques disparités ». « Faute de candidats de L.AS, il a bien fallu rebasculer les places, poursuit Jean-Louis Alberini. Je crains que ce ne soit encore le cas cette année : surchargés, les étudiants de L.AS n’arrivent pas à suivre. Ils assimilent leur L.AS à un double cursus. »

« Il y a encore beaucoup à modifier : alléger des programmes trop lourds, mieux équilibrer les crédits, revoir la réalisation des oraux… » – Nicolas Lunel, président de l’Anemf

Des associations étudiantes ont alerté quant à « la rapidité de la mise en place de la réforme et au manque de moyens alloués ». « Il y a encore beaucoup à modifier : alléger des programmes trop lourds, mieux équilibrer les crédits, revoir la réalisation des oraux, avoir une meilleure orientation pour les lycéens… », énumère Nicolas Lunel, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).

Même constat pour Juliette Marat, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), qui rappelle que l’affectation des étudiants sur Parcoursup ne correspond pas toujours à leurs attentes. C’est le cas de Julie Guénard, 18 ans, qui s’est retrouvée en L.AS d’allemand à Metz, alors qu’elle voulait une licence classique de Staps. La gymnaste aimerait entamer des études de kiné : en cas d’échec, plutôt que de persévérer en allemand, elle sait déjà qu’elle se réorientera.

« Autant partir à l’étranger »

Face à l’immense chambardement que représente la réforme, ses défenseurs admettent d’importants problèmes de communication, notamment vis-à-vis des lycéens et de leurs parents. « Il faut déstigmatiser la L.AS et faire davantage de pédagogie », martèle Vincent Deramecourt.

Pour les étudiants, il est parfois compliqué de se projeter dans un autre domaine alors qu’ils s’étaient engagés dans la santé par passion ou vocation. A 19 ans, Iris, en deuxième année de L.AS sciences de la vie à Strasbourg, cherche à « réaliser son rêve d’enfant » : devenir chirurgienne-dentiste, spécialisée en pédo-odontologie. Continuer en sciences de la vie ? « Ça serait mon plan Z !, lâche-t-elle. Si je grille toutes mes chances en France, autant partir à l’étranger. »

Reste que quelques-uns y trouvent leur compte, comme Alexis Maymo, 18 ans, en L.AS de droit à Bordeaux. « J’étais prédestiné à faire médecine. C’était la pression familiale. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas fait pour moi. » Il vient d’abandonner sa mineure santé pour se concentrer sur ce qu’il préfère, le droit. Lui, au moins, a trouvé sa voie.


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