mercredi 12 janvier 2022

Laelia Benoit, pédopsychiatre : « L’inaction écologique est une forme d’abus contre la jeunesse »

Propos recueillis par  Publié le 04 janvier 2022

L’écoanxiété, cette angoisse à l’égard du changement climatique dont témoignent de plus en plus de jeunes, n’est pas une maladie. Ce trouble appelle plutôt à une « réponse sociale », selon la pédopsychiatre Laelia Benoit.

Laelia Benoit est pédopsychiatre et chercheuse associée au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de l’Inserm, à Paris. Elle mène en ce moment une vaste étude sur l’impact du changement climatique sur le bien-être et la santé mentale des enfants et des adolescents au Yale Child Study Center (Yale School of Medicine) à l’université de Yale (à New Haven), aux Etats-Unis.

L’écoanxiété est-elle une maladie mentale ?

L’écoanxiété est une réaction naturelle et légitime à la crise écologique. Il ne s’agit pas d’une maladie. Ce n’est pas une nouvelle forme de dépression, et elle n’appelle pas un traitement médical : l’écoanxiété appelle une réponse sociale. De plus en plus de jeunes vont souffrir d’écoanxiété. Mais ne nous trompons pas de problème : c’est leur solitude face à une société qui ignore le changement climatique qui les fait souffrir.

Dans la crise climatique, les enfants et les adolescents sont une minorité dénuée du pouvoir de déterminer son avenir et subissant des choix qui lui sont néfastes. L’inaction écologique est donc une forme d’abus contre la jeunesse. Pour rappel, toute forme d’oppression sociale cause de réelles souffrances mentales et physiques : les enfants écoanxieux subissent les mauvais traitements d’une société qui ignore leur droit à vivre. Inutile, donc, de chercher le médicament miracle pour votre adolescent écoanxieux. C’est en combattant le changement climatique que nous les aiderons à reprendre espoir et à aller mieux.

Vous travaillez à une nouvelle enquête sur l’écoanxiété chez les jeunes de trois pays. Quels sont les premiers résultats ?

Notre enquête part d’un constat simple : tout le monde n’est pas aussi militant que Greta Thunberg. Mais alors, comment des enfants et adolescents « ordinaires » vivent-ils le réchauffement climatique ? Osent-ils passer à l’action ? Nous interrogeons en ce moment 120 jeunes de 6 à 18 ans, issus de milieux variés, et qui vivent en France, aux Etats-Unis et au Brésil, sur leurs émotions et leurs actions climatiques. Les premiers résultats montrent que les enfants sont ravis d’« aider » le climat avec des moyens à leur portée.

Les plus petits (6-10 ans) sont très empathiques envers les animaux, et ressentent une tristesse profonde face à l’extinction d’espèces. Aux adultes revient alors la tâche d’aider les enfants à accueillir ces émotions douloureuses, sans chercher à relativiser, à détourner l’attention, ou à cacher des vérités difficiles. Accepter la perte est une étape saine pour s’adapter à la réalité du monde, et les enfants savent mieux que quiconque accueillir leur tristesse lorsque l’on ne cherche pas à les en détourner.

Autre résultat : les enfants sont très enthousiastes quand les parents ou les enseignants leur proposent des actions positives et concrètes comme trier, faire du compost, planter un arbre. En revanche, les enfants ne comprennent pas la signification des écogestes si leurs parents ne leur expliquent pas le contexte. Comment différencier le tri des déchets du brossage des dents ? Le manque de communication crée des malentendus. Qui plus est, de nombreux parents évitent de leur parler du changement climatique par crainte de les inquiéter. C’est le rôle des parents d’accompagner dans la parole leurs actions environnementales, si modestes soient-elles, avec des mots adaptés à l’âge de l’enfant.

Que se passe-t-il au moment de l’entrée dans l’adolescence ?

C’est à l’adolescence, quand les jeunes ont accès à de nouvelles informations, que le manque de dialogue familial devient problématique, et que certains peuvent se sentir trahis par la génération de leurs parents. Pourtant, notre étude montre que, si les adolescents entament le dialogue avec leurs parents, ils sont souvent surpris d’apprendre qu’ils ont eux aussi pris des initiatives.

Il est également temps de sortir de la caricature de l’adolescent activiste et prétentieux, qui imposerait son idéologie. Ceux que nous avons interrogés, bien qu’en colère contre l’inaction générale, se disaient attentifs à ne pas heurter leur entourage par des propos écologistes au ton moralisateur. Avec gravité, ils exprimaient leur sensibilité au point de vue de l’autre avec les mots de leur culture : les jeunes Américains témoignent ainsi de leur « respect pour les choix et la liberté de chacun », et les jeunes Français craignent d’être taxés d’« écolos de service ». Ces adolescents, pourtant extrêmement inquiets pour leur avenir, font preuve d’un tact que de nombreux adultes n’ont pas à leur égard.


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