samedi 1 janvier 2022

La pilule philosophique. Le génie caché de ma main gauche, cet “autre moi” godiche




  • THE ATLANTIC - WASHINGTONPublié le 
  • Chaque semaine, Courrier international vous propose un billet qui soulève des interrogations sur notre condition moderne en s’appuyant sur des œuvres littéraires, scientifiques et, bien sûr, philosophiques. En guise de bonne résolution pour ce premier jour de l’année 2022, ce chroniqueur de The Atlantic vous invite à explorer votre côté non dominant, cet alter ego “qui voudrait qu’on le laisse tranquille”.

    J’ai levé la baguette, je l’ai abaissée, et un monde inimaginable s’est ouvert devant moi. Pour être plus précis, un monde inimaginable d’incapacité. D’incompétence et de nullité. Un écroulement du tempo, un vrai gouffre. J’étais assis derrière mon kit d’entraînement et j’essayais de reproduire l’un des mouvements caractéristiques de John “Bonzo” Bonham, le regretté batteur de Led Zeppelin : les triolets de la main gauche [dans la vidéo ci-dessous, un de ses solos lors d’un concert au Madison Square Garden en 1973].

    Bien exécutés, avec le bon dosage de force et de délicatesse dans chaque frappe, les triolets de la main gauche donnent un son extraordinaire de tonnerre jazzy. Mal faits, on dirait une armoire qui dégringole des escaliers. Quand je les commence de la main droite, mes triolets sont corrects. Pas “bonhamesques”, pas “bonzoïdes”, mais convenables. En revanche, quand je passe à la main gauche…







    Led Zeppelin - Moby Dick Drum Solo (Madison Square Garden 1973)

    A voir ici ...

    Comme vous êtes aussi un être humain, cher lecteur, vous voyez sans doute très bien de quoi je parle. Droitier ou gaucher, vous savez que lorsque vous faites quelque chose avec votre main non dominante, que ce soit vous brosser les dents ou désamorcer une bombe, vous devenez l’incarnation parfaite de la maladresse avec son cortège de clichés : vous avez l’impression d’être un vrai manche, d’avoir des mains de beurre, de vous y prendre comme un pied.

    Pourquoi cette asymétrie intrinsèque ?

    Pourquoi cette asymétrie intrinsèque, ce déséquilibre de nos fonctions motrices ? L’anatomie des mains est très complexe, mais j’ai une explication psychologique qui, à mon avis, tient tout à fait la route : à l’intérieur de notre système nerveux vit une autre personne, un autre nous timide et maladroit qui ne contrôle pas ses gestes, a peur de la lumière et ne fait pas les choses aussi bien que nous. Un nul qui aimerait bien qu’on le laisse tranquille. Et nous nous relions immédiatement et directement à cette personne lorsque nous utilisons notre main “faible”.

    Travaillez le côté gauche, ne cessent de répéter les entraîneurs sportifs. Apprenez à attraper une balle, à donner un coup de poing, à lancer avec votre main la plus faible. Les coachs de vie devraient le dire aussi. Car en sollicitant notre moi godiche, le moi vasouillard qui se lève et se couche avec nous, nous doublons nos capacités. Traitons-le avec une gentillesse exigeante, avec une douceur réprobatrice. Insistons sur la discipline. Émerveillons-nous, en toute humilité, de ses lents progrès.

    Des possibilités cachées dans l’ombre

    Et si nous réussissons un jour – c’est-à-dire si je réussis un jour – à reproduire le roulement mélodieux d’un triolet bonzoïde de la main gauche alors, qui sait, il ne faut jamais dire jamais, peut-être m’attaquerai-je à ce roman inachevé qui tangue d’un bord à l’autre de mon cerveau comme un bateau démâté.

    Ce sont des possibilités qui se cachent dans l’ombre, dans le brouillard de ceux qui ne se sont pas encore entraînés, dans la duplicité de notre main faible.

    James Parker

     

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