mercredi 26 janvier 2022

Animal, on est mal Laurence Paoli: «Petit à petit, on a osé dire que la cohabitation avec un animal présentait des bienfaits psychologiques»

par Virginie Bloch-Lainé

publié le 28 janvier 2022
Au-delà du lien utilitaire et de leur rôle de compagnon de vie, les bénéfices thérapeutiques du contact avec les animaux sont enfin reconnus. Mais cette réalité souffre encore de son lot d’idées reçues. L’essai «Quand les animaux nous font du bien» veut les battre en brèche.

Ce qui se passe dans la relation entre l’humain et l’animal ne se mesure pas scientifiquement, cela relève de l’expérience individuelle, émotionnelle, et non de la certitude. L’attachement d’un humain à un animal est, de surcroît, toujours un peu honteux à raconter. Mais la reconnaissance du réconfort psychique obtenu grâce à l’animal ou de la peine que crée sa disparition existe. Des fictions en rendent compte depuis longtemps. Des romans (dont certains sont des chefs-d’œuvre, comme Niki, du Hongrois Tibor Déry), des séries télévisées et des films mettent en scène l’attachement de l’homme à l’animal, le bien-être, voire le salut que le premier trouve dans ce binôme, et l’accablement qu’il ressent lorsqu’il se délite.

Depuis quelques années, dans des services hospitaliers, des centres d’aide psychologique ou des maisons de retraite se développe la médiation animale. Elle ne se substitue aucunement à la médecine ni à la consultation avec un thérapeute ; elle peut, en revanche, les accompagner. Laurence Paoli a créé et a dirigé pendant onze ans le service de communication des parcs zoologiques du muséum d’Histoire naturelle, qui formaient le laboratoire de conservation des espèces animales. Dans Quand les animaux nous font du bien(Buchet-Chastel), elle s’est intéressée à l’expansion récente des soins humains attelés à la présence d’un animal. Ils peuvent atténuer l’angoisse ou la douleur.

Quelles traces avons-nous d’un lien émotionnel entre l’homme et l’animal ?

Ce lien existait dans la préhistoire. En 2018, des paléontologues ont étudié plus précisément le contenu de tombes découvertes il y a longtemps déjà, à Oberkassel, en Allemagne. Ils ont pu prouver que des chiens enterrés il y a 14 200 ans à côté de cadavres humains n’étaient pas de simples outils de chasse ou de protection. Un squelette de chiot portait des séquelles de maladie, et l’on voyait qu’il avait été soigné. Or le chiot ne servait à rien. C’était par affection pure que les hommes en avaient pris soin. On ne peut pas accuser les scientifiques qui sont arrivés à cette conclusion de subjectivité, puisque ce sont les tombes qui les intéressaient avant tout, pas le binôme homme-animal. Au Soudan, c’est une jument que l’on a trouvée dans un tombeau datant d’il y a 3 000 ans. Elle avait été enterrée avec des égards que l’on retrouvait dans des tombes humaines.

Quand les hommes commencent-ils à expérimenter les vertus thérapeutiques de la présence d’un animal ?

Au XVIIIe siècle, au Royaume-Uni. William Tuke, un humaniste effrayé par l’état des asiles et la façon dont on y traitait les gens, fonde, en 1792, une institution appelée The Retreat York qui permet aux patients de s’occuper d’animaux. Ils prennent plaisir à se concentrer sur des tâches simples et leur humeur s’améliore. En 1854, pendant la guerre de Crimée, la célèbre infirmière britannique Florence Nightingale part soigner des patients dans un camp, en Turquie. Elle remarque que la présence d’une tortue diminue l’anxiété des malades et les réconforte. La tortue n’est pourtant pas la reine de la communication et de la sociabilité.

Plus tard, dans la première moitié du XXe siècle, un hôpital new-yorkais réservé aux membres de l’armée de l’air accueille des chiens pour remonter le moral des soldats blessés. Puis après la Seconde Guerre mondiale, aux Etats-Unis toujours, une institution (Green Chimneys) aide les enfants atteints de troubles émotionnels en intégrant de nombreux animaux de ferme dont les enfants peuvent s’occuper.

Théorise-t-on à ce moment-là le soin par le contact animalier ?

Non, il faut attendre pour cela les années 60. On doit au psychiatre Boris Mayer Levinson la première réflexion de fond sur le sujet. Son chien nommé Jingles était resté un jour dans son cabinet alors qu’il recevait un garçon de 7 ans replié sur lui-même. Le garçon a caressé le chien, qui lui a manifesté de l’affection. Pour la première fois, l’enfant a exprimé des émotions. Levinson a partagé ses observations à l’occasion d’un colloque et l’on s’est moqué de lui. Mais en discutant avec quelques confrères, il s’est aperçu qu’eux aussi avaient fait appel à un animal lors de consultations, avec succès, mais sans oser en parler dans une revue scientifique. Des psychanalystes avaient déjà eu recours de temps en temps à l’animal pour briser la glace avec leurs patients.

Au début des années 70, la pratique progresse encore avec l’émergence d’un domaine de recherche baptisé «HAI», Human Animal Interactions. Il est porté par l’industrie agroalimentaire destinée aux animaux et par des vétérinaires. Ils cherchent à promouvoir le bénéfice que peut tirer psychologiquement un homme de l’animal. Au début des années 80, se développe dans les pays anglo-saxons un courant académique, les animal studies. Il s’intéresse à la condition animale en observant la place laissée à l’animal côté humain.

C’est donc aussi par intérêt économique que se diffuse l’image de l’animal bienfaiteur de l’humeur des hommes ?

Des intérêts économiques pèsent bien sûr dans ce mouvement, mais pas seulement. C’est une conjonction d’intérêts. L’urbanisation prive les vétérinaires ruraux d’une partie de leur travail et les incite à s’intéresser aux animaux de ville, spécialité qui était jusque-là défavorisée, mais dont les propriétaires d’animaux ont grandement besoin. Le chien et le cheval sont devenus des animaux de compagnie davantage que des animaux utilitaires, ils ont gagné un rôle affectif. On a fait entrer les chiens dans le foyer sans craindre d’attraper leurs maladies parce que les vétérinaires rassuraient sur ce point la population. Petit à petit, on a osé dire que la cohabitation avec un animal présentait des bienfaits psychologiques, que le lien animal humain était positif.

Qu’est-ce que la «médiation animale» ?

Voici sa définition stricte : «Il s’agit de la mise en contact d’un animal avec un être en état de souffrance afin de soulager l’humain.» Il y a une intention soignante, et il y a en jeu trois acteurs : l’animal, son maître, la personne qui reçoit le soin. Il existe une définition plus vaste : la visite de proches accompagnés d’un chien dans une maison de retraite relève aussi de la médiation animale. En revanche, le chien qui partage le quotidien d’une personne non voyante n’entre pas dans la médiation animale. Il pallie une carence, idem dans le cas d’une personne handicapée.

Qui sont les bénéficiaires de la médiation animale ?

Un enfant autiste ou une personne atteinte d’Alzheimer, par exemple. Un infirmier travaillant dans un Ehpad a remarqué que, lorsqu’il demandait à un patient de faire un mouvement de bras dans le cadre d’une rééducation, le patient ne le faisait pas parce que le mouvement lui faisait mal. Il a eu l’idée de lui proposer de brosser un lapin, et le patient a volontiers fait le geste attendu.

Dans la satisfaction qu’apporte l’animal à l’humain, n’entre-t-il pas, parfois, la satisfaction d’un besoin de domination ?

Cela arrive si le rapport est biaisé, si l’humain en question a besoin d’exercer un pouvoir contre un plus faible que lui et que, n’y arrivant pas ailleurs, ou pas assez, il reporte ce besoin de brimades et d’autorité sur l’animal. Ce sont les mêmes personnes qui trouvent des satisfactions à exercer un pouvoir sur des enfants, sur des collègues, bref, sur des gens dépendants d’eux économiquement, et affectivement. Allons plus loin : à tous les coups, ceux qui maltraitent les animaux sont les mêmes qui maltraitent les humains qui ne sont pas en position de leur résister.

Le chat et le chien apportent une compagnie de tous les instants, qu’apporte un cheval ?

Grâce aux mouvements de son corps, le cheval permet certaines formes de rééducation physique. Des personnes atteintes d’énormes problèmes musculaires sollicitent certains muscles une fois en selle. Il ne s’agit pas de galoper, mais de marcher. On ne s’est d’abord intéressé qu’à cette rééducation physique. Avec le temps, on a pu observer que marcher à côté d’un cheval peut réconforter, apaiser. La masse du cheval sécurise.

La médiation animale fait-elle du bien à l’animal ?

Le chien est participatif, il est content de faire du bien. Mais il ne faut pas lui imposer trop de séances auprès de quelqu’un qui souffre. Un chien qui assiste à une fin de vie touche la main du mourant avec son museau. Il est secoué par de tels moments. Il faut que le maître le ramène chez lui pour qu’il reprenne sa vie de chien. C’est une question d’équilibre et de compréhension des signaux qu’envoie l’animal.

Est-ce par anthropomorphisme que l’on décèle des signes d’empathie chez un animal ?

Je ne suis pas scientifique, mais je vous dirais que l’empathie existe chez l’animal, et les scientifiques le disent de plus en plus. L’entraide entre les chimpanzés est bien documentée, chez les baleines à bosse également. Et figurez-vous que 89% de leurs interventions concernent des animaux qui ne sont pas des baleines à bosse. Quant au chat et au chien, lorsque vous n’allez pas bien, ils en ont parfaitement conscience et viennent vous entourer.

En dehors même du cadre de la médiation animale, en pensant aux animaux qui font du bien, c’est au binôme chien-SDF que l’on songe…

En effet, ceux qui sont dans une précarité extrême, qui vivent dehors exposés à toutes les violences témoignent de l’ultime rempart qu’est pour eux l’animal ; non pas contre les rixes éventuelles, mais contre la désagrégation sociale et morale. Christophe Blanchard, qui est sociologue, a consacré sa thèse à ce sujet. Il constate que ces hommes et femmes traitent souvent mieux leur animal qu’ils ne se traitent eux-mêmes. Plusieurs sans-abri ont insisté auprès du sociologue qui les interrogeait sur le point suivant : ils ne cherchent pas à exploiter l’animal en faisant la manche à côté de lui, c’est simplement qu’ils n’ont nulle part où le laisser.

Vous avez une bonne connaissance des zoos et vous leur avez consacré un livre (Zoos. Un nouveau pacte avec la nature,Buchet-Chastel, 2019). Alors que la captivité des animaux sauvages est de plus en plus critiquée, quelle est votre position sur le sujet ?

Je reste très favorable aux zoos, qui sont aujourd’hui des outils importants de la conservation de la nature. Les parcs se sont énormément améliorés. Dans l’Antiquité, c’était un signe de pouvoir de posséder des animaux sauvages enfermés. Puis est venue l’époque où les parcs animaliers faisaient de la pédagogie sauvage, montraient des animaux que l’on ne voyait pas ailleurs.

De nos jours les zoos préservent des animaux menacés. On le sait peu, mais les zoos investissent dans la préservation des écosystèmes. Ils font de la conservation in situ et ex situ. Ils financent des scientifiques et des missions de terrain. Mais il existe encore de mauvais zoos qui ne remplissent pas leurs devoirs fondamentaux que sont la conservation, la recherche, et l’éducation. Ils sont appelés à disparaître tant est puissant le mouvement en faveur de l’animal actuellement.

Qu’est-ce qu’un «mauvais zoo» ?

Des éléments objectifs permettent de le repérer. Il n’y a pas ou peu de cachettes, les animaux sociaux sont seuls ou les animaux non sociaux sont réunis en groupe. Les zoos qui ont ma préférence font des présentations mixtes : ils mélangent les animaux, c’est comme cela que ça se passe dans la nature.

Laurence Paoli : Quand les animaux nous font du bien, Buchet-Chastel, 256pp.


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