mercredi 8 décembre 2021

Prisons : «Les premiers instants d’enfermement sont un choc»

par Juliette Delage   publié le 8 décembre 2021 

Dans un rapport paru ce mercredi, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, examine les premiers instants d’enfermement dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les cellules de garde à vue et tous les autres lieux soumis au regard de l’institution.

C’est un passage difficile qui s’accompagne souvent d’un «choc» tant il constitue «une rupture radicale». Les premiers instants dans des lieux de privation de liberté ont été jusqu’ici peu documentés. Ils font l’objet d’un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, rendu public ce mercredi et accompagné de 56 recommandations aux autorités publiques. Dominique Simonnot, ancienne plume de Libération désormais à la tête de l’institution, explique l’importance de ce «moment charnière» et les atteintes aux droits fondamentaux qui l’accompagnent parfois.

Le rapport met en avant le «choc de l’enfermement» que peut ressentir toute personne arrivant dans un lieu de privation de liberté (cellule de garde à vue, maison d’arrêt, hôpital psychiatrique…). En quoi consiste ce choc ?

J’espérais qu’avec le confinement les gens allaient comprendre ce que c’était, de perdre sa liberté. J’aime beaucoup le texte de Victor Serge, en préambule du rapport : «Hier, il y avait au centre même de la vie la compagne, l’enfant, les amis, les camarades […]. Et tout à coup : rien. Le silence. L’isolement. L’oisiveté. La fadeur du temps vide.» Les premiers instants d’enfermement sont un choc, une rupture brutale avec le monde «du dehors». Tout d’un coup, on se retrouve face à son destin et on ignore ce qui va nous arriver. Bien sûr, quand on est en garde à vue ou en maison d’arrêt, on sait pourquoi on est là. Ce qu’on ne sait pas, ce sont les modalités. Qui nous dit qu’il n’y a pas d’eau, que les matelas sont immondes ? A être dépossédé de ses effets personnels en garde à vue, lunettes ou soutien-gorge, ce qui nous laisse handicapé et humilié ? Qui nous a préparés à la surpopulation carcérale ? A être attaché lorsqu’on arrive en hôpital psychiatrique ? Quand on arrive dans de tels endroits, vétustes, immondes, surpeuplés, avec peu d’explications, on est forcément saisi d’effroi.

Les «quartiers arrivants» sont une spécificité pénitentiaire censée atténuer ce choc. Remplissent-ils leurs missions ?

Le «quartier arrivant» doit permettre de faire retomber un peu la pression après une garde à vue et un passage devant le juge. C’est un moment où l’on explique au nouvel arrivant comment va se passer sa détention, on lui remet un livret spécifique, on le présente à un médecin, on l’observe afin de déceler un éventuel problème. Quand vous êtes dans une bonne taule, on fait attention à vous. Mais si le quartier arrivant de la maison d’arrêt est plein à craquer, que le personnel qui travaille dans des conditions difficiles est déjà débordé, c’est plus compliqué. L’arrivée ne peut pas être bien accompagnée. Un autre problème récurrent, c’est le manque d’interprète. De manière générale, la personne enfermée doit pouvoir bénéficier d’information dans la langue qu’elle comprend. Trop souvent, ce n’est pas le cas.

Comment mieux accompagner ces premiers instants d’enfermement ?

En garde à vue, en prison, peu importe où, on ne peut pas s’habituer à entasser des gens. C’est négligent, c’est malfaisant. Il faut réguler la population carcérale. Mais il faut aussi des professionnels formés à expliquer ce qu’il va se passer pour la personne qu’ils ont en face d’eux et qui s’apprête à être enfermée, et ce, dans la bonne langue. Il faut aussi s’assurer que tous ceux qui arrivent dans des lieux de privation de liberté disposent de produits d’hygiène, d’un repas, d’un accès à une douche. La fouille à nu, qui reste une humiliation bien qu’elle soit très encadrée et qui intervient avant l’enfermement dans plusieurs lieux de privation de liberté, doit impérativement être faite par du personnel formé, dans un endroit loin du regard des autres. L’enfermement comporte des risques de violence, de tentatives de suicides ou de suicide.


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