Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.
dimanche 14 novembre 2021
Un vétérinaire au chevet des bêtes… et des âmes
Par Pascale Krémer et Amaury da Cunha (Photos) Publié le 20 octobre 2021
FRAGMENTS DE FRANCE Le docteur Pierre Fabing, de VetoAdom, file d’une urgence à l’autre en région parisienne. Le Covid-19 et les confinements ont renforcé l’attachement aux animaux, souvent sur fond de solitude.
Celui qui a aidé Virginieà traverser l’épreuve du confinement est tombé du deuxième étage, cette nuit. Dépêché en urgence, le docteur Pierre Fabing ausculte sa lèvre tuméfiée. Rien de cassé, le beau ténébreux s’en sort bien. Peu à peu rassérénée, la trentenaire au cheveu ras et au bras tatoué qui partage avec l’imprudent son deux-pièces d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) évoque leur « rencontre, carrément ». Loky, jeune matou noir de jais, a été son compagnon de pandémie.
« J’ai adopté ce chat dans une période compliquée de confinement et aussi de vulnérabilité, pour moi, pose sans s’épancher l’éducatrice spécialisée, qui œuvre dans un foyer de jeunes. Au quotidien, il m’empêche de tourner en rond dans mes pensées. Il concourt à ma santé mentale. Je dois être attentive, jouer avec lui, je me sens utile. » L’échelle de poulailler qui pourrait descendre de la fenêtre jusqu’à la cour de l’immeuble occupe déjà ses pensées.
Stéthoscope au cou, Pierre Fabing remballe son imposant sac ouvert à même le sol, avant de le charger à l’épaule. Le vétérinaire à domicile porte une clinique sur le dos. Le coffre de sa voiture renferme les réserves, dans une armoirette à tiroirs. Patient suivant ? Contre son volant, à l’arrêt, le docteur Fabing fait défiler sur son smartphone les urgences triées par le centre de régulation, ce lundi soir du début du mois de septembre. A 33 ans, voilà six années, déjà que le calme et disert barbu se fraie à petite vitesse un chemin dans les encombrements d’Ile-de-France pour VetoAdom, sorte de SOS-Médecins des animaux.
Vieille de quarante ans, la plus grosse société d’urgences vétérinaires à domicile reçoit près de 500 000 appels par an, dont s’emparent par rotation 55 vétérinaires. Comme le hamburger, le « véto » est livré « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » chez des Franciliens dont l’emploi du temps ne souffre aucun imprévu.« Dix vétérinaires ont été recrutés depuis le Covid, précise M. Fabing. On en compte plus en région parisienne qu’ailleurs, mais c’est encore insuffisant face au nombre de chiens et surtout de chats. » L’activité de l’entreprise a « explosé » en période de confinement. « Les cabinets vétérinaires ne fonctionnaient que partiellement, les cliniques d’urgence étaient fermées. Et il y a eu des adoptions en masse. »
Le vétérinaire Pierre Fabing intervient dans le 16e arrondissement de Paris, le 10 septembre 2021. Quelques jours avant, il était dans le 17e arrondissement pour soigner Djeeya, une chienne qui souffre de problèmes oculaires.
C’est ainsi que Rubis, pelage tigré rehaussé d’un collier à clochette carmin, trône désormais en pacha sur la table de cuisine, dans son panier d’osier à intérieur molletonné. Le docteur Fabing a gagné Chaville (Hauts-de-Seine), et pénétré dans la meulière cossue d’un couple de quinquagénaires. Pascale et Luc s’inquiètent pour leur « petite mémère » d’un an qui boîte de la patte arrière gauche après avoir découvert la sauvage griserie des bagarres entre félins voisins. Injections d’antibiotique, d’inflammatoire ; le coussinet probablement mordu est soigné. « Pendant un an et demi de télétravail, j’étais bien contente d’avoir mes deux chats, l’un sur mes genoux, qui montait parfois sur le clavier, et l’autre à côté. Avec les collègues, on se les montrait même à l’écran, se souvient en souriant la blonde propriétaire de Rubis en réglant la facture de 180 euros. Descendre ouvrir la porte aux chats me donnait aussi l’occasion de bouger, entre deux calls[“appels”]. »
Le « dernier chat »
Il ne l’évoquera qu’une fois réinstallé en voiture, mais les tournées de confinement du docteur Fabing l’ont souvent mené chez des personnes qui ne côtoyaient, pour tout être vivant, que leur chat ou leur chien. Comme ces dames fort âgées, si avides de conversation qu’il lui fallait parfois s’inventer l’urgence suivante. « Une jeune femme qui travaillait dans la musique » l’a aussi marqué. « Elle n’avait vu personne depuis deux mois, n’avait parlé qu’à son chat, qui souffrait d’une pathologie cardiaque grave. Il n’était pas question qu’il meure… » Au vétérinaire venu en messie sauver la bestiole adorée, à poils, plumes ou écailles, les clients de VetoAdom se confient volontiers. « On écoute leur détresse. Ils sont à fleur de peau, sait le soignant en chemisette bleu nuit.Parfois, même, le soin aurait pu attendre. Mais il y a un côté urgences psychiatriques… »
Pierre Fabing se déplace avec son sac, une mini-clinique à lui tout seul. Ce 10 septembre 2021, il a été appelé par un particulier à Paris.
Au prétexte de l’animal, les personnes âgées lui parlent de leur propre mort. Du « dernier chat », puisque le suivant vivrait plus longtemps qu’elles. Un nouvel appel, justement, mène le vétérinaire à Montreuil (Seine-Saint-Denis), chez Monique, charmante octogénaire aux courts cheveux gris dont il s’est récemment résolu à euthanasier le chat. C’est la fille de cette dame, en visite, qui a appelé pour son propre matou, stressé par le changement de domicile. Le chat halète ; l’atmosphère est lourde dans l’appartement imprégné d’un bonheur qui semble avoir fui. Au milieu des souvenirs de voyage, debout, comme perdue, Monique observe le vétérinaire en action. Puis doucement pleure. « Le départ de ma minette m’a bien déprimée. Je vis seule, je suis veuve, c’était ma petite compagne, elle était marrante, elle se pointait partout où j’étais. » Monique, c’est prévu, entrera bientôt en clinique. Sa fille espère qu’on l’y requinquera.
La maîtresse de Dim Sum a appelé VetoAdom après que ce british shorthair de 4 mois a chuté du 3e étage, à Paris, le 10 septembre 2021.
Pierre Fabing accuse le coup, ouvrant son coffre en silence. Lorrain d’origine, il en a pourtant vu de plus rudes dans « la rurale », en Mayenne, où sa carrière a démarré. Incessantes nuits de césariennes sur des vaches portant des veaux trop gros pour elles. Crise économique dans les fermes. Deux suicides d’éleveurs dans sa clientèle… Toute relative soit-elle, par comparaison, l’urgence en ville lui plaît pour ce qu’elle démontre d’amour des animaux, dans tous les milieux sociaux. En quelques minutes, il passe du chat de race, pelage aussi immaculé que le pull de sa propriétaire, dans un 250 mètres carrés sublimement décoré – une chute du premier étage, sans gravité –, à ce vieux molosse baveur qu’il faut gaver de Knacki pour pouvoir l’ausculter, dans un minuscule rez-de-chaussée où s’amoncellent les affaires au pied de murs en travaux.
Le vétérinaire Pierre Fabing en intervention à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 10 septembre 2021.
« S’il te plaît chérie… Chouchou… », tente de canaliser son avenante propriétaire, employée de crèche. « Vous savez, c’est un membre de la famille. Une fois qu’elle connaît, elle est très collante ! » L’ulcère à l’œil droit de sa chienne lui coûte ce soir 237 euros, réglés sans barguigner. Chez VetoAdom, la facture moyenne s’élève à 140 euros. « Les clients sont avertis du tarif avant ma visite. Ils peuvent payer en trois fois, tient à préciser le vétérinaire. Mais le prix n’est pas un problème, même si la clientèle n’est pas si riche que ça. Les gens sont prêts à beaucoup pour leur animal. »
Logorrhée anxieuse
Programmer, par exemple, son euthanasie à domicile, pour lui épargner un dernier souffle en territoire inconnu. Et même sacrifier les vacances, dans le cas d’Anaïs et Timothé, 23 et 24 ans, chez qui le vétérinaire fait halte, ensuite, dans le 15e arrondissement de Paris. Elle est vendeuse en chocolaterie, lui électricien. Il y a quatre mois, il a extirpé une minuscule chatte tigrée de la laine de verre d’un faux plafond de chantier. La boule de poils gris blanc n’avait pas plus d’une semaine.
Pierre Fabing, 33 ans, travaille depuis six ans pour VetoAdom, une sorte de SOS-Médecins des animaux. Ce 7 septembre 2021, il est appelé pour une consultation dans le nord de Paris.
Le couple l’a nourrie au biberon toutes les trois heures, organisant les allers-retours du midi depuis le boulot. Mais voilà que la prénommée Nala enchaîne les problèmes médicaux. Aujourd’hui, énumère le couple, caressant tour à tour l’objet de toutes ses attentions, c’est « diarrhée à 4 heures du matin », « des vomissements », « beaucoup d’urine », « le ventre qui gargouille, tout gonflé quand elle nous a réveillés dans la nuit en demandant des câlins, et des petits éternuements ». « Et la langue est très blanche, non ? »
Soudain consciente de cette logorrhée anxieuse, la jeune femme s’interrompt : « Désolée, on est trop en panique ! »Injections d’antibiotique, d’antidiarrhéiques, d’antidouleurs : la note (qu’ils paieront en plusieurs fois) monte à 264 euros ; à presque 1 000 euros depuis l’adoption. « C’est naturel de se priver pour elle, c’est vraiment notre enfant, on l’a eue bébé », justifie Timothé. Des planches à griffer, un parcours à balle, divers paniers en fausse fourrure et d’innombrables jouets sont alignés le long des murs du petit deux-pièces parfaitement ordonné. « Même s’il fait moche dehors, ajoute Anaïs, même si on a passé une journée un peu bof, on rentre, il y a ce chat qui réclame de l’attention, qui nous fait sortir de nos pensées mauvaises. Une petite perle à la maison. C’est comme un être humain, c’est un petit cœur qui bat. Elle donne de l’amour. »
Pierre Fabing soigne Bouba, une jack russell de 12 ans qui souffre d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, à Paris, le 7 septembre 2021.
« Là, on est sur de la pédiatrie, résume le docteur Fabing une fois la route reprise. Ils sont surinvestis. Ils vont rappeler dans une heure… » La nuit avance. Dans un arrondissement voisin, Jacques ouvre sa porte en chemise et bas de pyjama pilou. Le sexagénaire conduit le vétérinaire jusqu’au volumineux dossier posé sur la table du salon. Les malheurs successifs de sa chienne, une jack russell de 12 ans baptisée Bouba par son petit-fils. Soit, en un peu plus d’un an, un utérus enlevé, un cancer des mamelons, un virus respiratoire, une maladie inflammatoire chronique de l’intestin… Jacques saisit une photo d’examen. « D’après vous, ça a l’air cancéreux ? » Bouba vomi deux fois ces dernières heures. Jacques exhibe d’autres photos, sur smartphone cette fois : « Vous voyez, il y a des traces de sang… »
Bouba, placide, observe la scène de ses gros yeux globuleux. « Celle-ci, elle a un regard d’humain, commente son maître. Elle comprend tout. J’ai une relation avec cette chienne, quelque chose que je ne sais pas expliquer. Je ne suis pas en adoration, faut pas exagérer ! Mais la nuit, elle se colle contre moi, sur mon ventre. Et quand je lui souris, elle sourit, elle montre ses dents. » Le débit ralentit à mesure que le vétérinaire écarte tout danger immédiat. « Ça tranquillise, je suis content de vous avoir fait venir. » Bouba sourira encore.
Et pour 2022 ?
Pierre Fabing ira voter, « par principe ». Il se déciderasurtout « en fonction de la politique étrangère » : « Je suis pacifiste, j’estime que mon pays n’a pas vocation à être la police du monde, qu’il y a des conflits dans lesquels nous n’avons pas notre place. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire