dimanche 10 octobre 2021

Santé : « La psychiatrie de secteur, publique ou associative, disparaît en vérité »

Benjamin Weil  Psychiatre  Publié le 06 octobre 2021

Dans une tribune pour « Le Monde », le psychiatre de secteur Benjamin Weil réagit à la tenue, les 27 et 28 septembre, des Assises de la psychiatrie et de la santé mentale qui ont, selon lui, fait la part belle aux démarches neuroscientifiques, négligeant « la question de la souffrance psychique des gens », et ceux qui la soignent au quotidien.

Tribune. La psychiatrie disparaît au profit de la santé mentale. C’est un constat partagé par le plus grand nombre, qu’ils voient dans cette évolution une solution ou un problème. La santé mentale s’organise en deux pôles, coordonnés : une compréhension politique du fait psychique à l’échelle de la santé publique, du grand nombre et une compréhension scientifique exclusivement nourrie par les neurosciences.

Evidemment, on peut trouver insupportable la disparition de la question de la souffrance de nos patients, qui fonde notre engagement. Bien entendu, on doit dire notre exaspération devant le dédain des tutelles pour le travail du secteur psychiatrique qui soigne l’écrasante majorité des troubles psychiatriques graves en France, avec d’autant plus de succès qu’il est soutenu par l’environnement social des patients et les acteurs politiques locaux.

Mais, au lendemain des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, dont les psychiatres n’ont rien su de l’organisation, durant lesquelles les mots science et progrès n’ont été associés qu’aux démarches neuroscientifiques, il faut surtout souligner l’effondrement de la rigueur scientifique. Il faut craindre les conséquences de la disparition du souci épistémologique, c’est-à-dire de la question du dessein de la science que l’on produit, de sa structure et de ce par quoi elle est déterminée.

Nul doute que le secteur coûte cher

La réduction du fait psychique à ses manifestations neurobiologiques et comportementales, la recherche de compatibilité entre ces savoirs que l’on crée et le savoir économique, la disparition totale de la question de la subjectivité dans l’assourdissant silence de la science psychiatrique : voilà le plus inquiétant. Il ne s’agit plus d’un affrontement conceptuel, il s’agit d’observer la psychiatrie académique accepter de produire une science telle qu’on l’espère aujourd’hui du côté des tutelles.

Une science qui néglige la subjectivité, le continu, l’informel et la souffrance. Une véritable science du néolibéralisme en somme. Nul doute que le secteur coûte cher. Il faut en effet avoir de véritables équipes, dûment formées pour accueillir ou aller rencontrer la souffrance psychique où elle se trouve. Il faut être nombreux pour offrir à chacun de nos patients de les écouter, pour offrir à chacun d’eux la création d’un lien d’un sujet à un autre.

Car c’est, d’expérience et d’après les recherches pour le moins sérieuses des sciences humaines du XXe siècle, ce qui soigne. Au motif que cette pratique, indispensable pour les malades les plus graves, ceux qui souffrent le plus, ne trouve plus personne pour en défendre les fondements conceptuels auprès des décideurs politiques, elle disparaît.

Au cœur du débat la question de la souffrance psychique

Car c’est bien là l’essentiel : la psychiatrie de secteur, publique ou associative, disparaît en vérité. Les psychiatres la désertent, las de l’absence de reconnaissance, des conditions de travail dégradées du fait de l’attribution exclusive des moyens aux centres experts, aux lieux de l’innovation putative. Les infirmiers ne restent dans nos services que lorsqu’ils sont engagés dans des soins dont ils comprennent le sens.

Il paraît indispensable que se tiennent des assises de la psychiatrie qui aient pour cœur de débat la question de la souffrance psychique des gens, et non pas celle du coût de la dépression. Il paraît indispensable qu’y soient entendus ceux qui soignent au quotidien et qui sauront en dire quelque chose de juste et d’actuel.

Car l’espoir que l’on nourrit dans nos équipes n’est pas celui de voir advenir une solution objective à la maladie mentale (dont rien aujourd’hui ne laisse penser qu’on s’en approche), mais que la société constate d’abord et accepte ensuite que certains d’entre nous souffrent et que l’on doit avoir les moyens de s’en occuper.


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