samedi 9 octobre 2021

Les psychothérapies low-cost risquent de plomber patients et soignants

publié le 9 octobre 2021

La prise en charge financière des consultations psychologiques est un progrès. Mais avec un plafond à 40 euros, sans dépassement d’honoraires, cela revient à mettre en place une psychologie libérale à deux vitesses. Des alternatives existent.

par Emilie Consoloni-Ritter, Célia Briot, Marie Louvet, Matthieu Chevassus, Senja Stirn et Arnaud Stehly, membres du Cercle des neuropsychologues libéraux d’Alsace (CNLA), Ann-Sylvie Man, membre du réseau des psychologues libéraux d’Alsace spécialisées dans les TSA et Fanny Reder

Le gouvernement a annoncé, mardi 28 septembre, le remboursement des consultations des psychologues libéraux. Si cette initiative, réclamée de longue date par la profession, se doit d’être saluée, les propositions et les modalités sont en complet décalage avec la pratique actuelle.

D’abord, le plafonnement tarifaire : 40 euros la première consultation et 30 euros les suivantes, sans dépassement d’honoraires, le psychologue étant libre d’adhérer à ce dispositif ou pas. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que le psychologue est un professionnel de première ligne sur la question de la santé mentale. La crise sanitaire l’a encore rappelé. La prise en charge des séquelles traumatiques après les dernières vagues d’attentats aussi. Ces professionnels, lorsqu’ils exercent la fonction de psychothérapeute, sont régulièrement les derniers maillons des soins lorsque la réponse médicamenteuse ne suffit pas. En côtoyant la détresse psychique de près, ce sont aussi les premières figures dans le repérage et la prévention du suicide en France, deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Ce sont également ces professionnels qui interviennent dans la prise en charge des addictions comme le tabac, ainsi que l’alcool. On en connaît aujourd’hui les ravages sur la santé publique des Français.

Des rendez-vous façon speed dating

Or, quel est le sens d’un tel plafonnement ? Il revient à mettre en place une psychologie libérale à deux vitesses et à ubériser cette profession : les patients qui n’auraient pas les moyens de financer le coût normal d’une consultation – dont la durée est de quarante-cinq à soixante minutes pour un tarif de 50 à 90 euros – se retrouveraient dans des cabinets qui, pour «s’en sortir», n’auraient d’autres solutions que de proposer des consultations low-cost, façon speed dating, d’une durée de vingt minutes. Le tout pour aboutir à un revenu mensuel net de seulement 1 200 euros environ pour le psychologue. Or, il s’agit d’un professionnel qui, rappelons-le, s’est formé pendant cinq à huit ans post-bac et a la santé mentale de ses patients comme lourde responsabilité.

La durée de vingt minutes pour une consultation est aussi critiquée parce qu’elle ne permet pas de mettre en confiance la personne pour aborder ses traumatismes. Par conséquent, une telle inégalité dans l’accès aux soins et dans la rémunération des professionnels de santé devrait interpeller d’emblée les Français. En effet, il est évident qu’à long terme un tel plafonnement de la tarification des consultations psychologiques ne pourra que diminuer la qualité de l’offre de soin en libéral. C’est courir le risque de décevoir les patients et les détourner des soins qui auraient pourtant pu les aider. Ainsi va la santé mentale à l’heure de la start-up nation !

La prescription médicale par un médecin généraliste prévue dans la réforme est quant à elle coûteuse et inadaptée : d’abord, le médecin généraliste est moins expert qu’un psychologue ou un psychiatre pour effectuer des diagnostics psychologiques ; ensuite, cela aura pour conséquence de surcharger encore un peu plus les médecins généralistes, à un coût non négligeable pour la sécurité sociale ; enfin, concernant les patients, un tel parcours de soins vient alourdir le nombre de consultations et retarder le démarrage d’une psychothérapie.

Améliorer la prise en charge financière

Des alternatives existent pourtant. La prise en charge financière des consultations psychologiques est un progrès pour notre société ; en économisant le passage chez les généralistes, il est possible de prévoir un remboursement à hauteur de 40 euros, comme c’est le cas pour beaucoup de spécialistes. En permettant également un dépassement d’honoraires avec tact et mesure, il serait possible d’améliorer la prise en charge financière – pour l’instant inexistante – sans pour autant la détériorer d’un point de vue qualitatif.

Enfin, alors que l’égalité entre les femmes et les hommes a été présentée comme «la grande cause du quinquennat» par le président de la République, force est de constater que cette réforme frappe de plein fouet une profession fortement féminisée, comme de nombreux métiers du «care». Elle viendra ainsi aggraver les différences de salaire entre les hommes et les femmes, à rebours des objectifs affichés. Et alors que le ministère de la Santé a systématiquement rejeté toutes les demandes de rendez-vous des psychologues, nous ne pouvons que nous interroger sur une forme de mépris qui ne frappe pas toutes les professions de la même façon.


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