vendredi 22 octobre 2021

Loi grand âge : qui va s’occuper des boomers ?

par Maïté Darnault, correspondante à Lyon  publié le 20 octobre 2021 

D’ici à 2050, le nombre de plus de 85 ans aura triplé. Un changement démographique majeur qu’aucune grande loi n’est encore venue embrasser dans sa globalité, alors que le système de prise en charge des personnes âgées montre déjà des signes de fatigue.
à 20h30

Le quinquennat d’Emmanuel Macron n’aura pas su surfer sur la vague grise qui afflue. Portée par la génération des boomers, qui fêteront massivement leurs 80 ans à partir de 2025, l’accélération du vieillissement de la population augure pourtant un bouleversement tant des équilibres familiaux que du socle des politiques publiques de solidarité hérité de la Libération. D’ici 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans aura triplé, représentant 4,8 millions d’individus. Les personnes dépendantes seront, elles, deux fois plus nombreuses – il y en aura 40 000 supplémentaires par an à partir de 2030.

En matière de grand âge et de perte d’autonomie, on ne peut pas reprocher au président de la République d’avoir trahi des promesses de campagne : dans le programme du candidat Macron en 2017, aucune ligne ne figurait sur le sujet. Mais ce dernier s’est rapidement imposé au chef de l’Etat au fil des nombreux – et parfois exceptionnellement longs – mouvements de grève menés par les personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des services d’aide et de soins à domicile durant l’année 2017. Leur point d’orgue : la grande manifestation intersyndicale du 30 janvier 2018, qui a mobilisé à travers le pays près du tiers de la profession.

En juin 2018, le président de la République s’est opportunément offert une session de rattrapage en annonçant au congrès de la Mutualité française le vote d’ici à la fin 2019 d’une loi consacrée au grand âge. Trois ans plus tard, cette ambition a fait long feu, suscitant un tollé des fédérations de professionnels du secteur, «déçus», «désabusés» voire «trahis»«Nous répondons avec pragmatisme aux attentes des Français et du secteur, en déployant rapidement des moyens massifs leur permettant de voir dès 2022 l’impact dans leur quotidien de nos politiques, ma réforme de l’autonomie s’accélère en réalité», fait savoir à Libération Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie.

La crise sanitaire aura achevé les velléités parlementaires

En réalité, faute d’une loi de programmation pluriannuelle, sa réforme recourt au seul moyen restant en fin de mandat : le levier budgétaire. Le 8 septembre, le Premier ministre, Jean Castex, a indiqué que le gouvernement s’apprêtait à «renforcer» la cinquième branche de la sécurité sociale, créée l’année dernière et dédiée à l’autonomie – une avancée en soi face au vieillissement croissant. Ces nouvelles orientations seront débattues cet automne lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de 2022, qui a été présenté en Conseil des ministres le 7 octobre.

Dans ce texte figurent plusieurs mesures techniques phares : la fusion entre 2022 et 2025 des différentes catégories de services à domicile existantes (aide, accompagnement, soins infirmiers), qui pâtissent d’une gouvernance éclatée entre l’Etat (via les agences régionales de santé) et les départements ; la refonte de leur financement, avec l’instauration dès 2022 d’un tarif plancher national de 22 euros par heure d’intervention pour les prestataires d’aide et d’accompagnement (le chantier des soins infirmiers est remis à 2023). L’objectif : remédier aux inégalités territoriales en matière de rémunérations, à ce jour variables d’un département à l’autre. Autre piste intéressante : les Ehpad pourront devenir des «centres de ressources territoriaux», afin de renforcer les liens avec les professionnels du domicile et rendre plus progressive l’intégration des personnes âgées qui le nécessitent dans les établissements collectifs.

«Ce sont quelques avancées structurelles qui permettent de se projeter sur l’avenir en termes de modèle», salue Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). Mais le prochain PLFSS contient tout de même, selon elle, une «pilule amère» : l’annonce du recrutement d’ici cinq ans de 10 000 personnels soignants supplémentaires (infirmiers, aides-soignants, encadrants, professionnels spécialisés) dans les Ehpad. Insuffisant, jugent à l’unisson les fédérations du secteur : avec 7 500 Ehpad en France, cela revient à créer 1,2 poste par établissement. On est loin de la recommandation de former 350 000 professionnels d’ici à 2025, préconisée par le rapport El Khomri sur les métiers du grand âge, remis au gouvernement en octobre 2019. Quelques mois plus tôt, un premier rapport sur le grand âge et l’autonomie, fruit d’une intense concertation menée par le spécialiste de la sécurité sociale Dominique Libault, avait déjà dressé une liste de 175 recommandations pour préparer l’avènement d’une «société de la longévité». Cette somme aurait logiquement dû accoucher d’une loi, bouclée avant la fin du quinquennat. Mais la crise sanitaire a achevé de geler les velléités parlementaires.

«Tous les présidents de la République ont promis une grande loi, aucun ne l’a faite»

«Ce n’est pas plus la faute de ce gouvernement que de tous les gouvernements qui ont reculé depuis quinze ans. Sauf qu’il y a quinze ans, on avait un peu plus de temps», commente Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadépa). «En fait, les arbitrages n’ont pas été faits, il n’y a pas eu de travail interne pour rédiger le texte, qui n’a d’ailleurs jamais circulé, relève Luc Broussy, spécialiste des questions liées au vieillissement et président du conseil national du Parti socialiste. Ils ont fétichisé eux-mêmes l’idée d’une loi sans avoir avancé sur le fond, alors que des réformes ont été faites par ailleurs.» Des avancées indéniables, mais conquises sous la pression du Covid qui a décimé la population du quatrième âge ou, a minima, a creusé sa solitude, comme le montre le récent baromètre des Petits Frères des pauvres sur l’isolement des personnes âgées de 60 ans et plus.

A la faveur du Ségur de la santé, les Ehpad ont bénéficié d’une enveloppe d’aide à l’investissement de 2,1 milliards d’euros sur la période 2021-2025 (1,5 milliard pour les opérations immobilières et 600 millions pour les projets numériques). Depuis le 1er octobre, l’augmentation de 183 euros net par mois accordée durant la crise aux personnels hospitaliers a été élargie aux 9000 salariés des établissements publics autonomes et concernera aussi à partir du 1er janvier les 65 000 salariés du secteur privé à but non lucratif. Près de 210 000 personnels des services à domicile du secteur associatif bénéficient également d’une revalorisation de 13 à 15 % de leurs salaires, après la renégociation des accords de branche.

In fine, ces différentes strates viennent compléter le millefeuille entamé de longue date. Qui commencerait à prendre véritablement forme, juge Florence Arnaiz-Maumé, du Synerpa : «Depuis Chirac, tous les présidents de la République ont promis une grande loi, aucun ne l’a faite, mais tous ont contribué, par touches, à une réforme de la dépendance. Le foisonnement législatif de ces vingt dernières années a créé un socle juridique et financier beaucoup plus ambitieux qu’une seule grande loi. Le seul échec, à mon sens, réside dans la parole politique qui veut faire croire que par une grande loi unique, tout ira bien.» Puisqu’un certain nombre de paliers techniques ont été franchis, une loi pourrait justement apporter une pérennité et le supplément d’âme qu’il manque au prochain PLFSS. Encore faut-il s’intéresser, en parallèle des lignes comptables, au fond du sujet : l’inclusion concrète des aînés dans le projet sociétal des prochaines décennies. A l’issue de son quinquennat, Emmanuel Macron est désormais bien outillé sur un sujet qu’il snobait il y a cinq ans. Ne manque plus que le passage à l’acte.


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