mardi 28 septembre 2021

Covid-19 : les nouveaux vaccins face au casse-tête des essais cliniques

Par    Publié le 27 septembre 2021

L’enrôlement de volontaires susceptibles de recevoir des placebos n’est plus acceptable éthiquement alors que des vaccins efficaces sont disponibles. Une difficulté majeure pour les laboratoires.

Applaudissements après l’administration du vaccin CoronaVac, de Sinovac, à un adolescent, à Pretoria (Afrique du Sud), le 12 septembre 2021.

Mais que deviennent les nouveaux vaccins ? Où sont passés les quelque deux cents projets annoncés en 2020 par des firmes pharmaceutiques ou des centres de recherches à travers le monde ? Quelques-uns ont été officiellement abandonnés, comme ceux lancés par le géant américain Merck ou celui à ARN messager du français Sanofi, qui en a fait officiellement l’annonce mardi 28 septembre. D’autres ont accumulé des retards, après des premiers résultats décevants, à l’exemple de deux des favoris, l’allemand CureVac et Sanofi, pour son autre candidat vaccin, fondé sur une protéine recombinante.

Un voile de mystère entourait jusqu’ici les autres… La Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), principale fondation internationale de soutien à la recherche en vaccinologie, vient en partie de le lever. Dans une lettre publiée le 7 septembre dans la revue Nature, sa directrice scientifique, Melanie Saville, réclame la mise à disposition de lots de vaccins déjà existants afin de pouvoir réaliser les tests comparatifs indispensables à leur homologation.

Pour la vaccinologue, la situation est d’une simplicité extrême : « Les scientifiques doivent développer la prochaine génération de vaccins Covid-19 dès maintenant, si le monde veut relever le défi des variants du SARS-CoV-2 et réduire l’iniquité vaccinale en augmentant l’offre mondiale. Cela ne peut se faire que si des vaccins Covid-19 de comparaison – ceux qui ont déjà été approuvés – sont disponibles pour soutenir les essais cliniques. Or, il est presque impossible de se procurer ces vaccins de comparaison ; les gouvernements, les développeurs et les fabricants doivent trouver une solution pour débloquer l’approvisionnement. »

Dit autrement, les laboratoires se heurtent désormais au casse-tête des tests. La rançon du succès des premiers vaccins. Pour réaliser leurs essais cliniques, il y a un an, Pfizer, Moderna, AstraZeneca ou Johnson & Johnson avaient conduit les fameux tests de phase 3 contre placebo, réalisés sur des dizaines de milliers de volontaires. Le principe en est connu : la moitié de l’échantillon reçoit le candidat-vaccin, l’autre moitié un produit inerte. Le tout est réalisé à l’aveugle. Puis l’on compare la progression de la maladie dans les deux groupes. C’est cet « étalon » qui a permis d’affirmer que les vaccins à ARN messager présentaient une efficacité de 95 %. Or, « ces tests deviennent de plus en plus difficiles à réaliser à mesure que le nombre de personnes vaccinées augmente », affirme Melanie Saville.

Ne pas être traités « comme des cobayes »

Le problème ne tient pas tant au manque d’individus non vaccinés – même en France, il en reste plusieurs millions – qu’à un obstacle éthique majeur. « On ne peut pas faire courir à un volontaire qui aurait reçu le placebo le risque de faire une forme grave alors qu’il existe des vaccins pour le protéger, résume Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et présidente du comité scientifique sur les vaccins Covid-19. Tant qu’il n’y avait pas de vaccins approuvés et disponibles localement, ce n’était pas un problème. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus tenable. Aucun comité d’éthique ne peut accepter ça. » Au centre de vaccinologie Cochin-Pasteur, première plate-forme d’essais en France, sa responsable Odile Launay refuse, depuis le printemps, toute étude contre placebo. « Ethiquement, c’est juste impossible, considère-t-elle. D’autant que ce qui nous intéresse est précisément de tester ces produits sur les personnes les plus à risque. »

Pour contourner l’obstacle, certains laboratoires réalisent leurs essais loin de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, dans des pays en développement ou peu vaccinés. Le chinois Livzon a lancé une phase 3 d’un vaccin à ARN messager aux Philippines et annonce un recrutement de nouveaux volontaires au Rwanda, en Malaisie et en Turquie. Un autre laboratoire chinois, Abogen, a opté pour l’Indonésie et le Mexique. L’américain Arcturus a choisi le Vietnam. Quant à l’Institut cubain Finlay, c’est sur 44 000 volontaires iraniens, sous la houlette de l’Institut Pasteur de Téhéran, qu’il teste actuellement son vaccin protéinique Soberana 2.

Mais, même dans ces pays, la vaccination progresse et change les règles du jeu. En juin, le Pakistan a ainsi rejeté cinq demandes de laboratoires qui souhaitaient y opérer des tests contre placebo. Et l’a fait savoir. Un responsable du comité d’éthique national a ainsi précisé au journal The News que ces candidats, « pakistanais et étrangers, proposant des vaccins à ARN messager ou traditionnels »,ne pouvaient pas conduire de tels essais « alors même que des vaccins sont désormais disponibles au Pakistan ». Il a conclu que les citoyens pakistanais ne devaient plus être traités « comme des cobayes ». D’autres pays en auraient fait autant, mais dans la discrétion.

Les contraintes ont changé

C’est pourtant bien un essai de ce type que conduit actuellement le français Sanofi pour tenter de valider sa ou plutôt ses formules à protéines recombinantes, l’une centrée sur la souche originelle, l’autre sur le variant Beta, le plus susceptible d’échapper aux vaccins existants. Sollicité par Le Monde, le géant de l’industrie pharmaceutique a précisé que, pour cet essai, des volontaires avaient été recrutés, en avril, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Sanofi n’a pas souhaité préciser les pays concernés. Ni le rôle des volontaires américains. Il a toutefois assuré avoir choisi ce type d’essai « afin de se conformer aux exigences des autorités sanitaires américaines et européennes ».

Des contraintes qui ont pourtant changé depuis cet été. Lors d’une rencontre, le 24 juin, les différentes autorités de régulation médicale à travers le monde, parmi lesquelles l’américaine Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence européenne des médicaments (EMA), ont constaté la difficulté croissante de réaliser ces tests contre placebo. « Dans certains pays, c’est encore possible, indique au Monde Marco Cavaleri, responsable de la stratégie vaccinale à l’EMA. Mais pas en Europe. Aussi il ne nous semble plus possible d’exiger de tels essais pour valider un candidat-vaccin. »

L’alternative peut sembler simple : plutôt que de comparer le nouvel entrant à un placebo, pourquoi ne pas l’opposer à un vaccin existant et efficace ? Ces tests dits de « supériorité », ou de « non-infériorité », sont régulièrement utilisés pour valider des médicaments. Mais mettre en évidence de tels résultats sur les vaccins impose des échantillons deux à trois fois plus importants, ou une attente deux à trois fois plus longue. Trop cher, alors que les pays riches ont déjà fait leur marché. Ou trop lent, en période de pandémie.

Une « solution globale »

La solution tient en un mot, anglais comme toujours :« immunobridging ». Cela consiste à comparer non plus les effets cliniques de deux produits mais leurs paramètres immunologiques, notamment les anticorps neutralisants qu’ils permettent de développer. Une méthode moins indiscutable, faute d’une correspondance absolue rigoureusement établie entre la quantité d’anticorps neutralisants et la protection contre le virus. Mais qui permet de diviser par dix le nombre de volontaires et assure un résultat en quelques mois. « Nous n’avons pas encore publié de document d’orientation à ce sujet mais nous sommes prêts à examiner des dossiers s’appuyant sur de tels tests », indique Marco Cavaleri. L’autorité de régulation britannique, elle, a déjà sauté le pas. Elle suit actuellement l’essai « de supériorité » lancé en mai par le français Valneva, face au vaccin AstraZeneca. L’EMA a également commencé des discussions avec le laboratoire nantais, même si Marco Cavaleri admet sa « préférence pour une comparaison avec un vaccin à ARN messager ».

Ce qui nous ramène au cri d’alarme de la CEPI. Comment trouver ces vaccins de comparaison ? « Normalement, les laboratoires devraient pouvoir les acheter sur le marché commercial, explique Melanie Saville. Mais ils ne sont pas disponibles puisque ce sont les Etats qui passent directement des contrats avec les fabricants. » Or personne n’attend de ces derniers qu’ils fassent directement la courte échelle à un concurrent, fût-ce pour le bien de l’humanité. Restent les Etats eux-mêmes, qui rechignent à céder les quelques centaines ou milliers de doses demandées, pris entre priorité sanitaire et clauses contractuelles.

La France, ici, se distingue toutefois. Le ministère de la santé a ainsi mis à disposition du centre de vaccinologie Cochin-Pasteur plusieurs centaines de doses de Pfizer et de Moderna afin de réaliser des essais de comparaison, notamment pour évaluer le vaccin de Sanofi en « booster », six mois après les deux injections initiales. Une position saluée tant par la CEPI que par l’EMA, saisies, à elles deux, par une douzaine de laboratoires bloqués faute d’accès aux vaccins homologués. Mais, face à un problème sanitaire mondial, la fondation et l’agence sanitaire réclament une« solution globale ». L’EMA assure avoir commencé des discussions avec la Commission européenne. La CEPI a choisi le pavé dans la mare. En espérant voir bientôt pleuvoir les nouveaux vaccins.

Vers un vaccin à deux doses pour J & J

La firme Johnson & Johnson a annoncé, mi-septembre, les résultats de son vaccin testé non plus dans un schéma à une dose mais à deux doses. Ils font apparaître une augmentation importante de la protection par rapport au protocole initial. L’efficacité contre les symptômes modérés est de 74 %, contre 53 % pour l’injection unique. J & J annonce une efficacité contre les Covid sévères de 100 %. Dans cet essai, réalisé sur 30 000 volontaires recrutés dans de nombreux pays, dont la France, les deux injections étaient réalisées à 56 jours d’intervalle. La quantité d’anticorps neutralisants augmente de quatre à six fois après la deuxième dose. Le géant américain a transmis ces données à la FDA avant une même démarche auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA) et l’organisation mondiale de la santé (OMS). L’agence sanitaire américaine devrait les examiner afin de transformer éventuellement le schéma d’administration du produit.



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