vendredi 27 août 2021

A Nantes, la crise des vocations en Ehpad n’est plus une fatalité

Par     Publié le 26 août 2021



« Tu veux bien m’aider ? On y va ! Un, deux, trois ! » : les deux blouses blanches redressent la frêle silhouette de Madeleine D., 99 ans, dans son fauteuil roulant. Par l’ascenseur puis le long couloir jusqu’à la grande salle qui donne sur le parc, le trio arrive avant le chariot des petits gâteaux pour l’heure du goûter. Le tandem Agnès Janeau et Patricia Thibaud a commencé sa journée à 7 h 45. Cette fin juillet, pour lever, doucher, aider à se laver, habiller 70 résidents, elles étaient cinq : quatre aides-soignantes et Patricia Thibaud, « volante ». « En renfort sur tous les étages, sans cesse à cavaler, dit-elle, sans se plaindre. Ah ! les escaliers, ça y va ! »

A 57 ans, teint hâlé, yeux noisette, masque orange sur le nez, Patricia est encore une novice dans l’ancien couvent de Notre-Dame-du-Chêne. Dans l’immense bâtisse du XIXe siècle, reconvertie en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) par le groupe VYV 3, la quinquagénaire embauchée au printemps est surtout une exception. Elle est la seule agente d’accompagnement de l’établissement. A ne pas confondre avec les agents de soins, encore moins les aides-soignantes.

« Elle nous accompagne pour les prises en charge les plus difficiles », explique Agnès Janeau, aide-soignante et tutrice de Patricia. « Elle intervient aussi auprès des résidents les plus autonomes. Ce qui nous laisse du temps pour mieux nous occuper des autres », ajoute Maxime (le prénom a été modifié), un agent de soins.

Patricia Thibaud, agente d’accompagnement, dans l’Ehpad Notre-Dame-du-Chêne, à Nantes, le 29 juillet 2021.

« Méconnaissance du métier »

Après « seize ans dans la vente », Patricia en a « fait le tour ».En 2019, elle démissionne puis pousse la porte de Pôle emploi, qui, en janvier 2020, lui propose de suivre une formation pour travailler en Ehpad. « Je n’aurais jamais pensé à ce travail, confie-t-elle, si on ne m’avait pas proposé cette formation. » Elle qui veille sur sa maman en maison de retraite se laisse tenter. Après six semaines de stage, dont deux en immersion dans l’Ehpad, l’ancienne vendeuse est embauchée, en avril. « Je me sens épanouie dans ce job, heureuse d’être au service des personnes âgées pour leur confort et leur bien-être. » 

Former avant de recruter : la solution semble évidente. Elle est quasi expérimentale en Ehpad. Hormis les aides-soignantes ou les infirmières, tous les profils apprennent le métier sur le tas, sans qualification spécifique. Certains agents de soins finissent même par « faire fonction » d’aide-soignant sans avoir le diplôme. « Parfois, ça fait mal au cœur de voir des gens sans expérience s’occuper des personnes âgées, observe Agnès Janeau. Patricia est motivée. On sent qu’elle en veut, ça donne envie de l’aider. »

Face à la pénurie de plus en plus critique de candidats pour travailler en Ehpad, VYV 3 a cherché la parade en menant une expérience dans les Pays de la Loire. Avec l’aide de Pôle emploi, le groupe a sélectionné seize chômeurs. L’OPCO Santé, organisme gestionnaire de la formation professionnelle des Ehpad privés, a financé la formation conçue par VYV 3. Les stagiaires étaient assurés dès le départ de signer un CDD d’un an au sein d’un Ehpad du groupe dans la région. « En proposant cette formation initiale, on a capté des personnes qui n’auraient pas pensé d’emblée travailler auprès des personnes âgées, sans doute par méconnaissance du métier », se félicite Valérie Levacher, directrice du pôle accompagnement du groupe VYV 3. « On s’aperçoit que quand les gens suivent la formation ils trouvent un intérêt à notre secteur », confirme Valérie Demarle, directrice générale du pôle personnes âgées de VYV 3 dans les Pays de la Loire.

Patricia Thibaud s’occupe d’une résidente à l’Ehpad Notre-Dame-du-Chêne, à Nantes, le 29 juillet 2021.

« Confort » pour l’équipe

« C’est pour les chaussettes ! » : chaque matin, Andréa Essomeyo arrive dans les chambres et commence par enfiler les bas de contention des pensionnaires. Elle désinfecte « les points de contact », vide les poubelles, fait les lits. Elle accompagne lors de leur toilette les plus autonomes. Elle « aide aussi [ses] collègues, celles qui ont des cas lourds et qui [ l’]appellent sur son bip ».

Andréa Essomeyo, 42 ans, est agente d’accompagnement à la résidence Le Repos de Procé, un autre Ehpad du groupe VYV 3 à Nantes. Agente de service intérimaire dans un hôpital de la ville, elle a cessé de travailler au début de la crise sanitaire pour « ne pas attraper le Covid et contaminer ses proches ». Pôle emploi lui propose alors la formation de VYV 3. « M’occuper des enfants m’aurait plu, mais je suis attachée aux personnes âgées, alors j’ai accepté. Je ne regrette pas, dit-elle. Leur donner le sourire, c’est ce qui me fait le plus plaisir. »

Andréa Essomeyo, agente d’accompagnement, aide une résidente dans le réfectoire de l’Ehpad Le Repos de Procé, à Nantes, le 29 juillet.

A toutes ses recrues sans expérience, Salim Bekhat, directeur du Repos de Procé, propose des formations successives une fois en poste. Le fait qu’Andréa Essomeyo ait reçu une formation initiale a fait gagner du temps, apprécie-t-il. Un mois après le début de son contrat, la quadra s’est vu confier « un secteur attitré avec des résidents relativement autonomes », explique Clarisse Ménard, l’infirmière de référence.

Sur le petit groupe de chômeurs formés, treize ont été embauchés dans neuf Ehpad de VYV 3 à Nantes ou ses environs. Le groupe a financé sur ses fonds propres un poste supplémentaire pour chacun d’eux. « Avoir un poste en plus apporte du confort, autant pour l’équipe que pour les résidents », se félicite Fanchon Lisse, directrice de Notre-Dame-du-Chêne, soulagée de cette « force d’appoint ». 

« Grande fatigue morale »

L’expérimentation n’est pas pour autant la solution miracle pour combler le manque structurel d’effectifs. « On a un accompagnement de qualité parce que les équipes font ce qu’elles peuvent. Mais si, au lieu d’une aide-soignante pour pratiquement douze résidents, elles étaient deux, ce serait l’idéal », poursuit la directrice de Notre-Dame-du-Chêne. « Pour être honnête avec vous, glisse Maxime, l’agent de soins, même avec Patricia en plus, il n’y a pas assez de moyens humains pour les résidents. Quand on s’occupe d’une personne et que notre bip sonne, on sait que quelqu’un d’autre nous attend. A force d’être obligés de faire vite, on a peur de devenir maltraitants. » Christelle Ernoux, aide-soignante, se dit « frustrée de ne pas pouvoir faire mieux faute de temps ». En découle, dit-elle, « une grande fatigue morale ». Patricia apporte un bémol : « Quand je vais faire des soins, je discute avec les résidents. J’essaie de réconforter ceux qui en ont besoin. Icic’est une bonne maison ! »

L’Ehpad Le Repos de Procé, où travaille Andréa, dispose de 19 postes d’aide-soignante pour 86 résidents. Fin juillet, sept de ces postes étaient occupés par des agents de soins qui n’ont pas de diplôme. « Pour faire mes plannings quotidiens, je ne m’arrête pas au fait qu’elles sont aides-soignantes ou agentes de soins », explique Mme Ménard. L’infirmière référente « regarde l’expérience des salariées, depuis combien de temps elles sont dans l’établissement, si elles ont suffisamment de connaissance pour arriver à accomplir des tâches de soignants sur une journée ». 

La formation de six semaines n’est pas un aboutissement, explique le groupe VYV 3. Les treize agents d’accompagnement recrutés sont encouragés à passer le diplôme d’aide-soignant. Cinq s’y préparent. Andréa fera partie de la cohorte. « Cette expérimentation est peut-être une goutte d’eau dans la mer, admet Mme Lisse. Mais toutes les solutions sont bonnes pour réussir à avoir du personnel formé. » Pour la directrice de Notre-Dame-du-Chêne, il y a urgence à inventer une filière de qualification pour les métiers du grand âge : « Les Ehpad ont un public de plus en plus complexe à accompagner. »

Andrea Essomeyo accompagne une résidente dans le réfectoire de l’Ehpad Le Repos de Procé, à Nantes, le 29 juillet 2021.

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