dimanche 9 mai 2021

Les crèches à l’épreuve du Covid-19 : « Notre métier a perdu de son essence avec la crise sanitaire »

Par    Publié le 8 mai 2021

Depuis un an, les structures d’accueil de jeunes enfants vivent au gré des protocoles sanitaires. Les personnels évoquent « un manque de sens » et s’inquiètent pour l’apprentissage des enfants.

Des enfants jouent avec des outils éducatifs, dans une crèche de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, en octobre 2018.

Lorsque Amir (le prénom a été modifié) a quitté le monde du management pour devenir éducateur de jeunes enfants en crèche, il entretenait l’optimisme des débutants. Celui de tout faire pour« permettre aux enfants de se développer de façon harmonieuse ». La crise sanitaire est passée par là. Quelques mois après l’obtention de son diplôme, le trentenaire a dû remiser ses ambitions pour s’adapter aux contraintes sanitaires instaurées dans la crèche du Var dont il est salarié.

« Mon rôle est de faire vivre des choses aux enfants, de leur offrir une diversité d’expériences… L’année écoulée a contraint tout cela », résume-t-il. Masques portés en permanence, distanciation sociale avec les familles et protocole sanitaire très strict sont venus bouleverser un quotidien déjà très encadré. A l’instar d’Amir, les personnels de crèches s’accordent sur un point : « Notre métier a perdu de son essence avec la crise sanitaire. »

Réglementations « contradictoires »

Les crèches sont pourtant coutumières des mesures sanitaires. Gastro, varicelle, grippe… : les établissements connaissent chaque année des épidémies. « Mais au lieu de durer trois jours, ça dure depuis un an », résume Elodie Desbois, éducatrice de jeunes anfants et directrice de crèches au sein des structures privées de La Maison bleue, en Moselle.

Dans la crèche où travaille Amir, les salariés ont vu les consignes changer une dizaine de fois en un an

« On vit désormais au rythme des guides ministériels réactualisés sans cesse », ajoute Emmanuelle Pierrejean, infirmière puéricultrice, et directrice de la crèche municipale Osiris à Nancy (Lorraine). Des protocoles, reçus parfois la veille pour le lendemain, qui demandent une adaptabilité permanente et charrient leur lot de stress. Dans la crèche où travaille Amir, les salariés ont vu les consignes changer une dizaine de fois en un an.

Que disent ces directives ? Respect de la distanciation sociale entre professionnels lors des repas, lavage de main à chaque interaction, nettoyage méticuleux de tous les objets… Les personnels évoquent des réglementations « contradictoires », parfois « déconnectées des réalités de terrain ».

Le premier protocole interdisait les objets extérieurs, dont les indispensables doudous, au sein des établissements. Amir, lui, se souvient des recommandations interdisant aux parents de se croiser à l’intérieur de la structure. « A moins de prévoir quatre heures pour récupérer son enfant, en faisant attendre les parents dehors, c’est impossible », ironise-t-il.

Avant d’être modifié, le protocole de la rentrée de septembre précisait qu’un enfant avec de la fièvre n’était pas accepté à la crèche. « Avec les dents qui poussent et la découverte des virus, les plus jeunes ont très souvent de la fièvre », souligne Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches, qui regroupe 1 900 établissements.

Problèmes liés au port du masque

Le masque reste le point de crispation central des personnels soignants. Si tous comprennent son utilité, ils constatent déjà des répercussions dans l’éveil des enfants, et s’interrogent sur les conséquences du masque à long terme. « Pour apprendre à parler, les enfants regardent beaucoup notre bouche », détaille Emmanuelle Pierrejean.

« Avec nos blouses et nos masques, ils nous confondent », remarque Nilda Santos, éducatrice de jeunes enfants, qui est intervenue dans douze structures différentes l’année écoulée. Nombre d’entre eux constatent une altération du lien avec les enfants et des problèmes d’autorité. « On voit bien que les enfants n’arrivent pas à identifier nos demandes », ajoute Mme Santos, précisant également que « les petits pleurent plus souvent ».

Comment rassurer un enfant en portant un masque ? « Quand un petit ne va pas bien, c’est important de pouvoir lui offrir un sourire pour le consoler », insiste Amir. Tous reconnaissent enlever leur masque de temps en temps pour se reconnecter avec l’enfant et permettre son développement. Le protocole du ministère des solidarités et de la santé précise d’ailleurs qu’« une dérogation au port du masque systématique peut cependant être proposée lors de contacts avec des enfants stressés et angoissés ou présentant des troubles du comportement, des difficultés relationnelles ou un handicap ».

Tirer sur le masque est devenu le jeu préféré des petits. Les personnels décrivent ce moment interdit, où l’enfant, l’air bravache et malicieux, ôte le masque de l’adulte, observe son visage, décrypte sa réaction… avant de le lui remettre. Pour les nouveau-nés, a contrario, l’absence de masque provoque souvent des pleurs. « Ils ne sont tellement pas habitués », s’inquiète Julie Marty-Pichon, présidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje). Même constat avec les masques transparents qui déforment légèrement le visage et inquiètent les enfants.

Protocoles d’hygiène chronophages

« Il est difficile de quantifier l’impact du masque, seul l’avenir permettra d’évaluer les choses, mais que les seuls contacts avec des gens non masqués se situent dans la sphère familiale (parents, frères et sœurs), pour un tout-petit, peut avoir un effet sur la qualité de ses interactions sociales », expliquait, en décembre, la psychiatre pour enfants et adolescents Marie Touati-Pellegrin. Dans une tribune publiée dans Libération, intitulée « Ne jetons pas les besoins des bébés avec l’eau du bain », plusieurs spécialistes de la petite enfance s’inquiétaient des risques de possibles entraves au développement des tout-petits.

Un membre d’une brigade de désinfection nettoie une crèche, à Cannes (Alpes-Maritimes), le 6 mai 2020.

A cela s’ajoutent des protocoles d’hygiène chronophages, d’environ une heure par jour, au détriment du temps passé avec les enfants. « Il s’agit de tout laver, tout le temps, les jeux, les sols, les mains », résume Lucie Robert, auxiliaire de puériculture dans une structure de Chalon-sur-Saône, qui accueille plus de soixante enfants. De plus en plus de crèches avaient pourtant amorcé, il y a quelques années, un virage écolo, avec des produits plus naturels. Ces nouveaux protocoles, qui imposent des produits « conventionnels », ont marqué un retour des problèmes cutanés des personnels.

Les contraintes de lavage conduisent à réduire le nombre de jouets et jeux à la disposition des petits

« Avec ces protocoles hyperhygiénistes, les enfants ont intégré que leurs pairs pouvaient être un danger pour eux », s’alarme Lucie Robert, co-secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE). Inquiète pour cette génération qui n’a connu que le Covid-19, elle poursuit : « Si on crée une génération d’enfants insécurisés, ce seront des adultes qui auront du mal à s’insérer dans la vie professionnelle ou à construire des liens affectifs. » Au quotidien, ces protocoles ont des répercussions sur les activités proposées aux enfants. « L’enfant grandit à travers la diversité des expériences sensorielles », rappelle Amir. Mais les contraintes de lavage (nettoyer chaque pièce des puzzles en bois, passer les peluches à la machine à laver, désinfecter la pâte à modeler) conduisent à réduire le nombre de jouets et jeux à la disposition des enfants.

Burn-out

Les salles de motricité, où les enfants peuvent se défouler, sont moins facilement accessibles pour éviter le mélange des groupes, les espaces extérieurs sont quadrillés pour éviter les brassages d’enfants, les sorties sont à l’arrêt, tout comme les projets annuels. Des activités essentielles qui permettent de développer la motricité, la socialisation, la propreté, expliquent ces professionnels. « Certaines équipes constatent un retard dans l’apprentissage du langage », rapporte par ailleurs Amir. D’autres évoquent des comptines qui mettent plus de temps à être apprises.

« Avec toutes ces restrictions, on ressent un manque de sens de notre travail », appuie Nilda Santos, qui s’inquiète des burn-out de certains collègues, dans un contexte général anxiogène. Dans la crèche où travaille Emmanuelle Pierrejean, à Nancy, neuf employés et trois enfants ont été diagnostiqués positifs au Covid-19. Arrêtés plusieurs mois, certains personnels de crèche sont revenus travailler avec des symptômes persistants, notamment une extrême fatigue.

« Le bien-être des professionnels est aussi lié à celui des enfants », rappelle Amir, qui regrette un manque de reconnaissance des autorités publiques. Une auxiliaire de puériculture (métier exercé à 95 % par des femmes) gagne environ 1 300 euros net par mois en début de carrière. Mobilisées pour les enfants de soignants lors des confinements successifs, elles n’ont eu aucune prime après le premier confinement.


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