lundi 17 mai 2021

La mort au filtre de la photographie


 


Par Marion Dupont  17/05/2021

Les images des crématoriums dédiés aux morts du Covid en Inde ont fait le tour du monde. Cette fascination pour les images de la mort de masse interroge : alors que le seuil des 110 000 morts a été atteint en France, pourquoi n’avons-nous vu pas vu d'images de nos propres morts ?

Des bûchers funéraires de victimes du Covid-19 brûlent sur un terrain qui a été converti en crématorium pour une crémation de masse à New Delhi
Des bûchers funéraires de victimes du Covid-19 brûlent sur un terrain qui a été converti en crématorium pour une crémation de masse à New Delhi Crédits :  Amarjeet Kumar Singh -Getty

Cadrages serrés sur les bûchers, images voilées par des panaches de fumée noire, cadavres et vivants unis par les mêmes blouses blanches... Les photographies des crémations à ciel ouvert des victimes du Covid en Inde se sont étalées sur pages de la presse internationale comme sur les réseaux sociaux, suscitant la fascination à travers le monde. Notre intérêt pour ces images, parfois interprété comme du voyeurisme par les premiers concernés, renvoie peut-être à une autre question : alors que le seuil des 110 000 morts a été atteint en France, pourquoi n’avons-nous vu pas vus nos propres morts ? Comment se fait-il que pour représenter le nombre de victimes nationales, de nombreux titres de presse, comme le quotidien Le Monde, ont choisi de se tourner vers l'infographie plutôt que vers la photographie ? 

Celle-ci se pose avec une acuité d’autant plus grande que les morts ne sont pas absents des pages des journaux, loin s'en faut : accidents, crimes, attentats, guerres ou génocides sont une des matières premières du journalisme ; suicides, assassinats et faits-divers en tous genres s'étalent dans les colonnes de la presse depuis le XIXe siècle. Pourrait-on lire la mort, écouter la mort, mais non la voir ? La forte présence de l'image de la mort dans la peinture, la vidéo ou dans le cinéma de fiction par exemple infirme cette hypothèse. Pour quelles raisons notre aversion pour la représentation de la mort s'est-elle ainsi restreinte spécifiquement à l'image de presse photographique ? Et à quelles conditions ce tabou est-il parfois dépassé ?

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